Hors-Série IA 2020

Retour d’expériences de la BVA Nudge Unit

L’aventure Nudge a commencé chez BVA en 2013, avec un cas emblématique, trois fois salué par le métier des études, en 2014 par le trophée des Études marketing, et par ESOMAR en 2014 et 2015. Ce cas, visant à utiliser le Nudge pour inciter les Français à déclarer leurs revenus en ligne, devait être le premier d’une longue série. Comment cette histoire est née, et surtout qu’est-ce qu’elle nous a appris ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans ce retour d’expérience d’une Nudge Unit qui fête ses 5 ans d’existence et une expérience de plus de 100 cas clients.

La naissance de la BVA Nudge Unit : le fruit d’une politique d’innovation forte

L’économie comportementale est sortie du monde de la recherche pour bénéficier d’une diffusion plus large grâce au prix Nobel de Daniel Kahneman, en 2002. Ce courant s’attache à comprendre les facteurs qui sous-tendent nos décisions quotidiennes. Il nous apprend que nous ne sommes pas des homo-economicus rationnels maximisateurs d’utilité, mais des êtres humains, guidés dans nos décisions par nos émotions et nos habitudes, influencés par notre environnement physique et social. Mais une fois que cela est dit, que fait-on de cette information ?

Le Nudge ? Qu’est-ce que c’est ?

L’être humain est irrationnel, soit. Mais comment utiliser ce paradigme montant, pour une meilleure efficacité des actions visant à changer les comportements ? Une partie de la réponse est donnée par Dan Ariely : l’irrationalité de l’être humain n’est pas aléatoire, elle est systématique et prévisible. C’est parce qu’elle est prévisible que l’on peut agir dessus afin de modifier les comportements. C’est là que le Nudge entre en jeu, notamment en 2008, avec la publication du livre fondateur de Thaler et Sunstein, intitulé « Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision ». Le Nudge, littéralement « coup de pouce », est le bras armé de l’économie comportementale. Il consiste à créer une architecture de choix qui encourage, sans les contraindre, les individus à prendre des décisions qui sont bénéfiques pour eux-mêmes, la collectivité ou la planète.

Par exemple, lorsqu’un fournisseur d’énergie propose de l’énergie verte par défaut, ce choix est retenu par 70 % de ses clients, alors même qu’ils sont bien informés du différentiel de prix (mineur) et qu’ils ont la possibilité de passer sur une énergie classique de façon très simple. Quand elle propose un contrat fournissant de l’énergie classique par défaut, ils ne sont plus que 7 % à choisir l’énergie verte. La décision du consommateur est influencée par la façon dont le choix lui est présenté, au-delà des préférences qu’il pourrait avoir.

Passer de la théorie à la pratique du Nudge

Dès 2009, BVA, société d’étude et de conseil spécialiste du comportement, s’intéresse aux enseignements de l’économie comportementale et du Nudge. C’est plus précisément au sein de son équipe Innovation qu’infuse le sujet qui anime les discussions entre 3 spécialistes du comportement et des marques, Eric Singler, Richard Bordenave et moi-même. Si l’intérêt d’intégrer l’irrationalité du consommateur dans les études et le conseil est vite acté, la question qui met plus de temps à être résolue est celle de la manière de le faire. Ce n’est qu’après de longues recherches et un processus d’essais/erreurs, propre à chaque innovation que naît le NudgeLab Process, une méthodologie qui permet de créer des Nudges, et répond ainsi aux besoins des clients de BVA de modifier les comportements des citoyens, usagers ou consommateurs.

Cette méthodologie repose sur quatre étapes, éclairée par une grille de lecture et des outils inspirés de l’économie comportementale qui permettent de susciter de nouvelles façons de penser, donc de trouver de nouvelles solutions à des problèmes anciens :
1. Une exploration in situ du comportement des citoyens, usagers ou consommateurs,
2. Une co-création de Nudges,
3. Un test des Nudges, afin de mesurer leur efficacité.

Méthode et organisation, les principaux défis relevés

Décrit dans le livre d’Eric Singler, « Nudge Marketing : comment changer efficacement les comportements », ce processus a évolué dans le temps.

La nécessité d’une approche agile

L’expérience et les pratiques nous ont montré que, selon les sujets comportementaux à traiter, certaines phases sont plus ou moins importantes. Par exemple, lorsqu’il s’agit de modifier des comportements très précis, la phase exploratoire, sur le terrain, peut-être réduite à sa portion congrue, dans un périmètre très précis et restreint. Tandis que lorsque le comportement est plus large et peut-être observé à plusieurs endroits (points de contact), la phase exploratoire est nécessairement plus importante. Dans tous les cas, la réalisation d’une phase d’exploration in situ est indispensable, quel qu’en soit le dimensionnement.

De même, la phase de co-création peut être menée différemment selon la maîtrise des supports à modifier et des points de contact : s’il s’agit d’améliorer un courrier, une interface web ou mobile ou s’il s’agit de créer des supports à part entière, les phases de co-création et d’optimisation n’ont pas les mêmes ampleurs.

Le test des Nudges ne se révèle pas systématiquement aussi simple que souhaité, et la mesure d’un comportement peut être plus complexe qu’il n’y paraît. L’expérience montre que les mesures de changement de comportement dans la vraie vie, sur le terrain, sont plus souvent plébiscitées que des mesures en laboratoire expérimental, qui pourraient, parfois, être plus simples.

Enfin, il est indispensable de penser à la logique de déploiement et d’industrialisation dès l’optimisation et le test des Nudges. Car démontrer l’efficacité d’un Nudge est de peu d’utilité si son déploiement ne peut se faire en temps souhaité : certains Nudges sont parfois utilisés comme des quick wins, tandis que d’autres seront déployables à plus long terme et avec plus d’efforts, après preuve d’efficacité.

Penser le Nudge sous toutes ses formes

Autre grand enseignement de 5 ans de pratique du Nudge, la forme que ces derniers peuvent prendre. Certains Nudges passent par un élément de communication (SMS invitant à aller voter en jouant sur l’aversion à la perte), d’autres prennent la forme d’un objet (pommeau de douche lumineux qui change de couleur pour inciter à ne rester que 5 min sous la douche), tandis que d’autres passent par l’intermédiaire du personnel en contact de l’usager/client (le voiturier qui, en rendant les clés de la voiture à son propriétaire, l’invite à attacher sa ceinture de sécurité). Dans ce cadre il est indispensable de dépasser le seul périmètre de la communication pour réfléchir et construire des Nudges, afin de ne pas limiter, par construction, l’univers des interventions possibles.

Doubler l’expertise Nudge d’une expertise métier

Créer une Nudge Unit dans un contexte, en 2013, où le concept est méconnu, a nécessité de relever deux défis : celui de la formation des équipes impliquées et celui de leur organisation. Des efforts importants ont été réalisés chez BVA pour insuffler la culture de l’économie comportementale et du Nudge auprès de tous les salariés de l’entreprise, et plus intensément auprès de ceux amenés à travailler au quotidien sur le sujet. Cet effort est d’autant plus remarquable, qu’en France, contrairement aux pays anglo-saxons, les formations universitaires sur le sujet sont peu nombreuses.

Parallèlement, il a été nécessaire de penser l’organisation de la BVA Nudge Unit au sein de l’organisation d’entreprise en place. Incubée par l’innovation dans un premier temps, avant de devenir une Business Unit à part entière, la BVA Nudge Unit s’est appuyée sur les expertises métiers présentes au sein de BVA pour monter les équipes projets qui puissent répondre au mieux aux besoins des clients. Ainsi, quand une organisation ou une institution souhaite trouver des Nudges pour favoriser l’observance des patients qui suivent un traitement, au-delà de l’expertise économie comportementale, la BVA Nudge Unit s’est associée, avec succès, l’expertise des meilleurs spécialistes du sujet issus du département Santé de BVA.

Au regard des différents dossiers traités, cette double expertise, métier et économie comportementale, apporte une réelle valeur ajoutée, à tel point que ce fonctionnement en mode projet transversal est devenu systématique.

La force du Nudge au service des pouvoirs publics et des marques dans le respect de l’éthique

Travailler sur des sujets de changement de comportement à l’aune du Nudge a permis de renforcer la logique de conseil et d’action de BVA, l’objectif de l’approche Nudge étant bien de proposer des solutions opérationnelles. Dans cette logique, la BVA Nudge Unit accompagne aujourd’hui des acteurs publics comme des acteurs privés, sur des sujets aussi variés que la digitalisation, l’expérience client et usagé on et off line, l’adoption de nouveaux comportements associés à de nouveaux produits et services, la santé publique, la sécurité dans les transports et dans les usines, l’expérience collaborateur et le bien-être au travail…

Nudge et secteur public

Le premier cas de Nudge traité par la BVA Nudge Unit concerne la digitalisation. Et plus précisément à inciter les Français à déclarer leurs revenus en ligne au lieu de le faire sur formulaire papier. En 2014, date à laquelle la loi n’était pas encore envisagée et l’incentive monétaire n’était plus d’actualité, l’état français était en recherche d’un nouveau levier pour changer les comportements.

L’exploration sur le terrain a permis de se rendre compte d’un élément majeur. Lorsqu’un citoyen déclare ses revenus, il s’assied à une table, avec un stylo, une calculatrice (parfois), le formulaire de déclaration de revenus, la notice pour l’aider à remplir ce formulaire et une enveloppe. En bref, le digital est totalement absent au moment de la décision et la déclaration papier s’impose comme un choix par défaut. L’approche Nudge a renversé cette logique par défaut en proposant de renommer la notice, qui s’est appelée « Je déclare en ligne », et d’en faire une notice qui explique comment déclarer en ligne au lieu d’expliquer comment remplir le formulaire papier. En jouant sur ce levier puissant de l’économie comportementale, qu’est le choix par défaut, mais aussi sur la norme sociale en précisant que 13,6 millions de foyers déclaraient en ligne, l’approche Nudge a permis d’augmenter de 1,1 million le nombre de télé-déclarations.

Nudge et secteur privé

Mais l’approche Nudge n’est pas réservée aux politiques publiques. Les marques, en contact quotidien avec les consommateurs, peuvent porter des messages et inciter à adopter des comportements durables. Les pouvoirs publics ont peu d’occasions d’interaction avec les consommateurs. Les marques en ont tous les jours. Elles sont dans une position privilégiée pour les aider à réaliser des gestes responsables. Combien de produits de marques avez-vous dans votre cuisine, dans votre salle de bain… ? C’est ainsi que BVA a travaillé avec AIM – The European Brands Association, qui regroupe plus de 1800 producteurs de marques, pour accompagner les marques afin de les aider à faciliter l’adoption de comportements responsables par les consommateurs. Cette initiative intitulée Nudging For Good, a été soulignée par Cass Sunstein, pour qui cette complémentarité entre marque et politique publique n’était pas évidente, et qui l’a partagé sur Twitter avec son coauteur du livre Nudge et prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler.

Au-delà d’AIM, la BVA Nudge Unit a accompagné aujourd’hui plus d’une cinquantaine de grandes entreprises sur des programmes de changement de comportement, tant en interne qu’en externe, dans des secteurs d’activité aussi variés que la Grande Consommation, la santé, le retail, les transports, la banque, l’assurance…

Un respect éthique du Nudge

La question de la finalité de l’utilisation du Nudge se pose nécessairement pour le secteur privé, notamment au regard des outils marketing, déjà largement utilisés par les marques. Au niveau des praticiens, comme des académiques, la remarque selon laquelle les marketeurs font déjà du Nudge depuis longtemps revient fréquemment. Oui, les marketeurs font du Nudge sans le savoir, à l’instar de M. Jourdain qui fait de la prose sans le savoir. D’ailleurs, Kotler, pape du marketing, se plaît à dire que les économistes, traditionnels et comportementaux, devraient regarder d’un peu plus près ce que fait le marketing et que les marketeurs devraient regarder d’un peu plus près ce que font les économistes, traditionnels et comportementaux.

Au-delà de ce débat, le Nudge est un des outils à disposition du marketing qui mérite d’être utilisé à bon escient, car toutes les techniques marketing ne sont pas nécessairement en ligne avec l’approche Nudge. Notre parti-pris, à la BVA Nudge Unit, est d’utiliser le Nudge dans le respect et au bénéfice du consommateur, ce qui est compatible avec le bénéfice de la marque, pour l’aider à consommer mieux. Parallèlement, en tant qu’entreprise responsable, nous participons bénévolement et soutenons des programmes sociétaux en faveur d’une consommation alimentaire responsable, pour lutter contre le changement climatique, pour aider les ménages défavorisés à diminuer leur consommation d’énergie, pour aider les lycéens à mieux s’orienter pour leurs études supérieures…

Trois critères pour identifier un sujet Nudge

Travailler à créer des Nudges pour changer les comportements n’est pas chose aisée. L’expérience accumulée au cours des différents cas que nous avons eu à traiter nous a permis de tirer quelques enseignements précieux sur lesquels capitaliser pour les cas à venir.

Penser comportement et non objectif

Le choix du sujet et du comportement se révèle crucial. Il est important de ne pas confondre objectif et comportement. Par exemple, maigrir est un objectif qui peut passer par de nombreux comportements : faire de l’exercice, ne pas prendre de pâtisserie au dessert, manger des portions plus petites… Le premier travail consiste donc à bien définir le comportement à modifier.

Aider à passer de l’intention à l’action

En accord avec la définition de Thaler et Sunstein, qui précisent qu’un Nudge doit aider les gens à atteindre leurs propres objectifs, il convient de s’assurer que le comportement à atteindre est acceptable par les personnes visées et qu’elles disposent d’un minimum de motivation, implicite ou explicite, à basculer vers ce comportement. Pour résumer, un Nudge n’est pas une baguette magique qui permet de faire faire à quelqu’un ce qu’il n’a pas envie de faire, mais un moyen pour faire passer un individu de l’intention à l’action. Dans le cadre d’un changement de comportement, on estime que 30 % des gens adopteront, en pionnier, le nouveau comportement, 10 % des gens y seront réfractaires et 60 % y sont prêts, mais ont besoin d’un petit coup de pouce. Ce sont ces derniers que le Nudge peut aider à changer de comportement. Ni les réfractaires, qui auront besoin de beaucoup plus qu’un Nudge, ni les pionniers, qui changeront d’eux-mêmes. Pour résumer, le comportement désiré doit être bénéfique pour la personne ciblée, et l’intention d’agir doit être présente, même si elle est juste latente : le Nudge ne crée pas la motivation si elle est absente.

Utiliser le Nudge en complément des actions existantes

Le Nudge est un outil complémentaire à toute la panoplie des outils visant à modifier les comportements, à savoir la loi, l’incitation monétaire et l’information. Dans ce cadre, aborder un changement de comportement par une approche Nudge est d’autant plus utile que l’information a été donnée au préalable, et que les incitations monétaires ou la loi sont de peu d’effet. Par exemple, alors que la loi et les amendes ne suffisent pas à faire en sorte que les enfants de 10 à 19 ans mettent leur ceinture de sécurité dans les cars scolaires et que les campagnes d’information peinent à augmenter le pourcentage d’enfants qui boucle la ceinture, qui reste sous les 15 %, le Nudge a été jugé comme un nouvel outil intéressant à tester par la Fondation MAIF, en complément de l’arsenal déjà mis en œuvre. Bien sûr, le Nudge peut être utilisé dès l’amont et il n’est pas nécessaire d’attendre de se retrouver dans une impasse comportementale pour activer ce levier.

Pour conclure, la mise en œuvre d’une approche Nudge nécessite une implication forte de toutes les parties prenantes, dès le début du projet. Comme tout projet de changement, il est indispensable de s’associer dès le départ le soutien de ceux qui, sur le terrain, le mettront en œuvre et de ceux qui, au plus haut de l’entreprise auront le pouvoir de le pousser, en douceur et sans contrainte, pour aider les gens à atteindre leurs objectifs, à l’image de la définition du Nudge, qui doit s’appliquer d’abord au projet, avant de s’appliquer aux gens.

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