Heuritech a été créé en 2013 par Tony Pinville et Charles Ollion suite à leur thèse en Intelligence Artificielle à l'université Pierre et Marie Curie à Paris. Plusieurs profils, dont notamment des docteurs de leur laboratoire, les ont rejoints pour créer ensemble la technologie d'Heuritech. Heuritech, c'est un outil de reconnaissance visuelle qui permet à des marques de mode d'anticiper les futures tendances produit et suivre leur performance dans le temps à partir de l'analyse quotidienne de millions d'images postées sur les réseaux sociaux. Survey-Magazine a eu le plaisir de rencontrer Célia Poncelin, en charge de la communication et du marketing chez Heuritech qui nous présente cette application concrète de l'IA pour la connaissance client.
Survey-Magazine : Pouvez-vous nous en dire plus sur l'outil ?
Célia Poncelin : L'arrivée des réseaux sociaux a changé la donne pour les marques de mode : alors qu'avant, les tendances venaient d'une poignée de personnes, aujourd'hui des millions de personnes peuvent potentiellement influencer la réputation d'une marque. Pour les marques, c'est un défi supplémentaire afin de garder une longueur d'avance tout en respectant leur ADN, et une opportunité pour être au plus proche de leurs clients.
Heuritech propose une solution à la rencontre entre l'intelligence artificielle et la mode, qui permet aux équipes produit et merchandising des marques de mode d'avoir une vision plus précise de leur marché à partir de données inédites sur leurs produits et ceux de la concurrence. Nous proposons à ces équipes un accès à une plateforme en ligne datadriven qui regroupe indicateurs et moodboards de leurs clients dans la vraie vie.
Cela leur permet de comprendre la désirabilité de leurs produits afin de prendre des meilleures décisions. Notre solution repose sur une technologie unique de reconnaissance visuelle qui analyse chaque jour plusieurs millions d'images sur les réseaux sociaux.
Brandwatch, Talkwalker : comment vous positionnez-vous par rapport à ces acteurs ?
Là où ces outils de veille se basent sur une analyse textuelle du web, nous entrons par l'image. En effet, ce sont plus de 100 millions d'images qui sont postées chaque jour sur Instagram : autant de données qui ne peuvent pas toujours être analysées par des hashtags. Notre étude a ainsi révélé que 80% des hashtags d'une marque de luxe ne comportaient pas de produits de cette marque. Par ailleurs, 70% des posts pertinents n'ont pas de hashtags, ni de mention de la marque. Dans les industries de la consommation (mode, beauté, etc.), il paraît donc indispensable de se doter d'un outil capable d'analyser les images des influenceurs et des clients d'une marque. Notre solution est donc complémentaire à Brandwatch ou Talkwalker
Quels KPI mesurez-vous pour évaluer le succès d'une marque ou la performance d'un lancement produit ?
Nous utilisons plusieurs métriques pour mesurer la performance d'un produit : nombre de posts, reach et engagement. Ces métriques sont segmentées en fonction du type d'influencer (superstar, macro, micro, etc.). Elles sont ensuite mises en valeur grâce à une comparaison dans le temps afin d'évaluer par exemple la performance d'un lancement produit. Nous regardons également la dimension commerciale ou non d'un post, pour savoir si l'objectif est de (re)vendre un produit (par exemple, dans le cas de revendeurs ou de sponsorisation avec des bloggeurs) ou non, c'est-à-dire à titre personnel. Toutes ces données sont disponibles en temps réel.
Pouvez-vous nous citer l’exemple d’un cas client ?
En décembre 2017, nous avons remarqué sur notre plateforme la résurgence d'un sac vintage d'une grande marque de luxe. Ce sac avait été créé dans les années 2000 et il semblait qu'il revenait à la mode : en un mois, la visibilité dudit sac sur les réseaux sociaux a augmenté de 26% grâce à plusieurs influenceurs qui le portaient à nouveau.
Cette tendance s'est confirmée dans les mois qui ont suivi : le taux d'apparition du sac sur Instagram n'a cessé d'augmenter jusqu'à atteindre +59% en mai, comparé au mois précédent.
Notre client a donc confirmé sa volonté de réintégrer le sac à son défilé de mode qui avait lieu au printemps 2018. Par ailleurs, le stock en boutiques a été augmenté pour pallier une éventuelle rupture de stock. Une campagne globale a ensuite été lancée. Sur le mois suivant la campagne, la visibilité du sac a augmenté de +857% par rapport au mois précédent, un très beau succès !
Concrètement, comment cela fonctionne ?
En vision par ordinateur, on définit une « classe » comme un élément ou un attribut à détecter dans une image. Dans le cas d’Heuritech, nous souhaitons détecter des éléments précis liés à la mode, c’est-à-dire des produits spécifiques, des styles, des couleurs, motifs, etc. Notre base de données comprend par exemple plus de 500 produits et attributs, et a été construite en partenariat avec des experts de l’industrie. Chaque mois, nous ajoutons 100 nouveaux éléments. Notre technologie est capable de détecter ces éléments avec une précision de 98%, sur toutes les photos, mêmes celles avec une qualité moindre. Nous l’appliquons aux réseaux sociaux, où les environnements sont très divers (intérieur, extérieur, etc) et donc une difficulté particulière car les images ne sont pas « standardisées » comme sur des sites e-commerces. Par exemple, un sac à main peut être un sac fourre-tout ou un sac à dos, qui sont visuellement très différents. Par ailleurs, tous les objets que nous détectons peuvent être vus sous différents angles, déformations, occlusions (c’est-à-dire que le sac à main est usé et partiellement caché). Enfin, nous détectons des produits spécifiques, par exemple le modèle Twist de Louis Vuitton. Notre technologie doit donc être solide. Pour cela, nous avons développé une technologie basée sur nos propres algorithmes per mettant d'apprendre des réseaux de neurones profonds (Deep Learning), pour obtenir d'excellentes performances à partir de beaucoup moins d'images que dans les méthodes à l'état de l’art.