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Le football, nouveau terrain de jeu des marques de luxe

Image de joueurs de football dans une publicité de marque de luxe

Commençons par une indiscrétion révélatrice : il y a à peine 5 ans, Kering est approché par le PSG pour que Saint Laurent devienne l’habilleur officiel du club. Le géant du luxe refuse arguant qu’il est encore trop tôt. Aujourd’hui, ce même club est habillé par Dior, le Real Madrid par Zegna, l’Inter de milan par Moncler …
Comment expliquer ce cross over radical pour des marques qui ne juraient que par le polo, le golf ou le tennis pour conjuguer exclusivité et aspiration ?

DE NOUVELLES RÈGLES

Ce n’est pas un secret d’happy few : le luxe n’est plus l’affaire de petits artisans passionnés, c’est une industrie lourde en investissement et en revenus : 1 500 milliards d’euros annuels. Le groupe LVMH a enregistré un chiffre d’affaires de 86,2 milliards d’euros en 2023 et Louis Vuitton, sa marque majeure est valorisée à 124,8 milliards par Kantar.

Ces chiffres sont impressionnants et bien entendu, les marques de luxe se doivent de protéger et travailler leur exclusivité et leur désirabilité ; c’est l’ADN de toute marque de cet univers. Mais en même temps, ces acteurs ne peuvent plus se permettre de passer à côté d’une nouvelle génération de consommateurs de luxe. D’ici 2030, la génération Z représentera 25 à 30 % des achats sur le marché de ce marché et les milléniaux en 50 à 55 %. Les conséquences sont nombreuses, par exemple, les marques de luxe s’intéressent à des sports de rue moins élitistes. Ainsi, le néo-madrilène Kylian Mbappé (plus de 119 millions de followers sur Instagram) a été choisi par Kim Jones le Directeur Artistique de Dior pour devenir ambassadeur mondial de sa marque. Cette nouvelle donne pousse les marques de luxe vers de nouveaux territoires inexplorés.

DES ACTEURS RADICALEMENT DIFFÉRENTS

Sport et spectacle omniprésent dans les médias, le football est associé à une large palette d’images, positives comme négatives. D’un côté, le football est victime d’actes violents, racistes ou homophobes de ses supporters et parfois de ses propres joueurs (les joueurs argentins se sont récemment illustrés avec un chant raciste/homophobe sur Instagram). D’un autre côté, on admire le génie de Zidane, le beau jeu d’équipes qui deviennent des légendes ou fédèrent un pays comme l’équipe de France 1998 « black-blanc-beur ». La finale d’une coupe du monde de foot devient ainsi un Super Bowl à l’échelle mondiale. Pourtant décriée et menacée de boycott par de nombreux supporters, la finale de Coupe du Monde a été suivie par 24 millions de Français (record pour TF1) et 1,5 milliard de téléspectateurs dans le monde. Depuis David Beckham, les footballers se sont glamourisés. Un de ses successeurs, en plus intéressant, est Marcus Rashford, l’attaquant de Manchester United. Même si ses performances footballistiques ont décliné, Burberry l’a choisi comme ambassadeur et égérie. Ensemble, ils ont développé des actions caritatives ambitieuses et dans la lignée de l’engagement de ce footballeur qui s’était intensément engagé pour aider les enfants des familles défavorisées et avait fait voter une loi pour pour leur garantir des repas gratuits. Photographié et mis en avant sur les réseaux sociaux avec les carreaux Burberry, il apporte une touche d’audace à cette marque.

DES CIBLES MOUVANTES

Les partenariats sportifs permettent aux marques de luxe de toucher des cibles nouvelles réfractaires à des médias classiques. Par exemple, une enquête YouGov réalisée en 2024 a révélé que les fans américains de la NBA étaient devenus plus jeunes, masculins et multiculturels. Cette étude nous a également appris que les fans de la NBA disposent également d’un pouvoir d’achat important et mesurent l’importance du luxe : 54 % d’entre eux déclarent « Je pense que les produits de luxe sont un bon investissement » (seulement 34 % pour l’ensemble de la population). Il est donc logique que Louis Vuitton ait récemment nommé Victor Wembanyama, la recrue des San Antonio Spurs, comme ambassadeur.

Michel Maffesoli, nous explique dans e-marketing l’avènement d’une société très hédoniste et la volonté de vivre le luxe de manière décomplexée :

« Les jeunes générations profitent de l’instant présent. Dans ce contexte du culte du beau, on trouve logiquement la valorisation du corps. Alors que nous oscillons toujours entre travail et hédonisme, la figure des sportifs, elle, joue sur les deux tableaux. Voilà pourquoi ils ont une telle influence sur nous et pourquoi ils séduisent autant la mode et le luxe. »

DES TACTIQUES PLUS OUVERTES

Quiconque se promène dans l’une des capitales de la mode, Paris, New York ou Milan, constate que les frontières entre le streetwear et le luxe se sont évaporées. Les marques de mode les plus classiques courent après le streetwear et les valeurs cool des millenials dans un contexte qui désormais ne cloisonne plus autant qu’avant les différents codes entre les classes sociales de notre société.

Elles adoptent ainsi des tendances contre-culturelles. La montée en puissance des baskets de luxe, comme Dior x Stone Island illustre ce phénomène. Le sport, comme la musique et l’art, commence à bouleverser les codes traditionnels du luxe. Par exemple, la collaboration LV x NBA a été présentée par Louis Vuitton comme « un hommage à la culture pop, à la mode et au basket-ball ». De même, la dernière collaboration BOSS x NFL est « un hybride élevé de vêtements de performance croisés avec le confort et le style de l’athlétisme BOSS ». C’est le sport qui est à l’origine de cette transformation des tactiques de style. En effet, de nombreux professionnels du sport sont considérés comme des icônes de la mode, ce qui peut avoir un effet boule de neige.

DES ACTEURS LOCAUX EN CHINE

La Chine est en passe de dépasser l’Amérique et l’Europe pour devenir le plus grand marché du luxe au monde. Pour toucher les consommateurs chinois et coréens, les marques de luxe occidentales se sont d’abord principalement concentrées sur des célébrités du show business (mannequins, acteurs et chanteurs). Elles cherchent maintenant des vecteurs et signes moins ostentatoires avec d’autres types d’ambassadeurs. Par exemple, Bottega Veneta s’est associé au plongeur Guo Jingjing, quatre fois médaillé d’or olympique, au joueur de tennis de table Xu Xin et au nageur Ning Zetao pour leur campagne chinoise de la Saint-Valentin de cette année. Cette stratégie de célébrités sportives locales fait formidablement écho aux sentiments patriotiques de ces populations, facteur clé de succès pour les marques de luxe étrangères en Asie.

UN JEU EN PERPÉTUELLE ÉVOLUTION

Le sponsoring sportif d’un joueur, d’une équipe, d’un championnat ou d’un grand tournoi, offre aux marques de luxe une plateforme pour susciter des émotions et une connexion particulière avec leurs cibles. La culture des supporters est devenue un phénomène mondial. Les fans de Messi et Ronaldo ne montrent aucun signe de fléchissement. À eux deux, ils ont plus d’abonnés sur Instagram que Kim Kardashian et Kylie Jenner. Exemple frappant, leur photo les montrant jouer aux échecs sur une malle Vuitton est devenue l’une des plus aimées sur Instagram avec 70 millions de likes en quelques heures. Les marques de luxe font des paris pour recruter les futures icones planétaires : Jude Bellingham est le visage et le corps de la dernière campagne de SKIMS, Breitling mise sur Haaland, Josko Gvardiol incarne la nouvelle vision de la marque canadienne Mackage. La liste va encore s’élargir. Chaque footballeur a sa propre histoire, trajectoire et son propre écosystème digital. Attention à la lassitude, à la surexposition et non adéquation avec les valeurs de la marque pour que ces footballeurs ne deviennent pas des influenceurs comme les autres.