L’agilité organisationnelle est une notion aujourd’hui ancrée dans les pratiques de beaucoup d'organisations et proposée dans de nombreux programmes de formation. Une étude récente du cabinet McKinsey montre que la rentabilité opérationnelle des entreprises agiles serait 30% plus élevée que celle des entreprises qui ne le sont pas.
Que signifie concrètement être agile pour une organisation ? Quels sont les outils et techniques que l’on peut lui associer ? Nous apportons des éléments de précisions autour de cette pratique avec le regard de deux experts, Diana Jimenez et Jean-Sébastien Lacam.
Notion de plus en plus tendance dans les organisations et qui a pourtant été mise en avant il y a plus de 30 ans par de nombreux chercheurs, l’agilité organisationnelle n’a de cesse de se renouveler et de se transformer dans un contexte de marché toujours plus incertain. C’est justement pour pallier cet environnement économique difficile marqué par des changements rapides, de fortes incertitudes ou encore d’hyper compétitivité que l’entreprise doit trouver le moyen de se saisir des opportunités qui lui sont offertes en développant notamment sa capacité de réaction. Comme nous l’explique Jean-Sébastien Lacam, enseignant-chercheur en stratégie et management à l’ESSCA School of Management, l’agilité « c’est une nouvelle capacité qu’a l’organisation à anticiper avec justesse tous les changements et à évoluer, à se transformer de manière coordonnée pour atteindre ses nouveaux objectifs et pour performer, mais cela se fait avec les parties prenantes, les collaborateurs et collaboratrices qui vont prendre une place essentielle ». L’agilité nécessite ainsi d’adopter de nouveaux processus, de nouvelles pratiques ; elle implique une part de risque, de remise en question et de challenge. Il s’agit en effet de ne pas craindre de tout bouleverser, de pivoter, de repartir de zéro voire d’arrêter le projet. Ce changement de mindset n’est pas chose aisée pour certaines organisations ou collaborateurs, persuadés de connaître sur le bout des doigts leurs clients et leur environnement de marché. Cette posture demande en effet d’abandonner certaines croyances et prénotions parfois ancrées dans la culture organisationnelle.
Cette posture flexible et ouverte à son environnement, cette prise en considération de la voix du client, des parties prenantes dans la conception de l'offre, les start-ups l’ont bien comprise. Cela fait même partie de leur ADN. Mais qu’en est-il des grands groupes ? Comment faire preuve d’agilité organisationnelle lorsque l’on compte plus de 10 000 collaborateurs, répartis en dizaines de services, pays ? Selon Diana Jimenez, fondatrice de Weji Lab, il faut avant tout laisser de l’autonomie aux équipes en faisant confiance aux managers qui feront eux-mêmes confiance à leurs équipes. Cela permettra de renforcer le sentiment de motivation des collaborateurs qui évolueront ainsi avec cet état d’esprit toujours plus ouvert à l’intelligence collective. Ces savoir-être, ces soft skills sont ainsi à valoriser dans l’organisation. L’entreprise Spotify fait figure d’exemple en la matière. En effet, l’un des leaders mondiaux du streaming musical prône le travail en petite équipe appelée squad en charge d’un projet et ce, en toute autonomie. Nul besoin de rendre de comptes réguliers aux supérieurs, les projets doivent simplement s’aligner avec les autres squads et la stratégie globale de l’entreprise.
Les outils au service de l’agilité
De nombreuses formations dispensées par des école de commerce ou des
universités pour les étudiants, ou encore par des
cabinets de conseil pour les entreprises proposent d’acculturer les
individus aux méthodes agiles. Scrum, hackathon,
SAFe, lean, design thinking, open innovation, co-création, facilitation
etc., autant de démarches permettant de fournir
les clés à la fois méthodologiques et d’état d’esprit indispensables à
la mise en œuvre de l’agilité au sein de
l’entreprise. Ces outils favorisent ainsi la transmission de savoirs et
d’expériences entre individus. Selon Diana, il
s’agit également de ne pas oublier de prévoir des séances de feedback,
cela pour itérer et pivoter rapidement : « Le
covid nous a montré que rien ne se fait sur du long terme
maintenant. Il
faut pouvoir aujourd’hui changer les processus,
cadrer de manière différente les équipes, gérer les budgets sur du
court
terme, même en ayant une vision sur le long
terme ». Favoriser des cycles courts avec des développements
itératifs,
tel est le crédo de Tesla qui a, en ce sens,
bouleversé les codes de l’industrie automobile, entre autres, en
appliquant les préceptes de l’agilité aux équipes de
développement. Travaillant sur des cycles très courts avec le lancement
par exemple de trois modèles de véhicules en 6
ans, l’entreprise est également très à l’écoute de ses clients avec
lesquels elle cultive le dialogue en continu. L’un
des facteurs clés de succès de l’agilité organisationnelle c’est
justement cela, être à l’écoute de ses parties
prenantes en co-créant de la valeur avec elles (voir nos articles dans
la chronique sur ce sujet). S’attacher également
aux pratiques d’autres cultures, et mixer les genres, les générations,
ou encore les origines ethniques peuvent
également apporter un regard neuf sur certaines problématiques et
favoriser les apprentissages mutuels. Ces
apprentissages peuvent avoir lieu dans des espaces autres que le lieu de
travail. Casser la routine en s’éloignant du
bureau peut en effet avoir un effet positif sur les participants
éloignés de leur zone de confort. Ils seront ainsi
amenés à devoir s’adapter, faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité
tout en partageant leurs connaissances de
manière collective. Il peut ainsi être intéressant de s’installer
temporairement dans des tiers-lieux (fablabs, living
labs, espaces de coworking, cafés sociaux, etc.), des espaces
ouverts où
chacun peut aller y travailler, se rencontrer,
échanger, en toute bienveillance.
Quel est l’avenir de ces méthodes ?
Parmi les préceptes qui composent l’agilité, on retrouve l’intelligence
émotionnelle et l’intuition. Ces notions font
ainsi penser au développement des relations plus interpersonnelles, au
côté émotionnel et sensoriel entre individu. Ces
orientations seront ainsi peut-être à accentuer pour développer
d’avantage d’agilité organisationnelle dans certaines
organisations. Selon Diana Jimenez, « Il faut créer d’autres types de
contacts, plus corporels, sensoriels, qu’on puisse
laisser le côté relationnel et qu’on puisse faire monter l’aspect
émotionnel dans nos échanges ». Par ailleurs, selon
Jean-Sébastien Lacam, l’agilité peut aussi aider les entreprises à
préparer leurs équipes à répondre aux crises et à
favoriser leur adaptation à ces changements économiques qui surviennent
de plus en plus spontanément. Or, cela nécessite
certes des compétences et connaissances mais aussi du savoir-être, ces
fameuses soft-skills. Comment former les
collaborateurs ou enseigner ces compétences qui font appel aux
capacités à communiquer, à l’intelligence émotionnelle,
ou encore à l’empathie ? Jean-Sébastien nous indique que « pour
enseigner ce type de domaine-là (ndlr : l’agilité
organisationnelle), la frontière entre l’école et l’entreprise doit
être de plus en plus tenue et poreuse. » Au-delà
d’associer la théorie à la pratique à travers des exercices ou des jeux
qui soulignent les difficultés auxquelles
peuvent faire face les managers et les solutions à apporter,
Jean-Sébastien voudrait
alors proposer un autre dispositif, toujours au
plus près du quotidien des entreprises. Celles-ci mettraient à
disposition des salles de réunion aux étudiants et aux
collaborateurs de l’entreprise qui le souhaitent afin d’assister aux
cours et proposeraient ensuite une visite des
locaux et des services, cela pour « pouvoir très rapidement faire le
lien entre la partie conceptuelle et la partie
opérationnelle, ce que l’entreprise hôte a mis en place pour rendre
son
organisation, un projet, une mission… agile ».
Merci à Diana Jimenez et à Jean-Sébastien Lacam pour leur
contribution à ce sujet.
A bientôt pour une nouvelle chronique !