Intimement lié à la notion de Big Data, le data scientist demeurera encore quelques années le métier le plus recherché. Toutefois, il semble approprié de s’interroger sur la formation du data scientist fréquemment déconnectée des problématiques de management. Pourquoi ne pas repenser la formation en considérant l’étendue des possibilités d’une combinaison de plusieurs disciplines dans la formation des managers ? L’organisation, soucieuse de tirer profit de ses données collectées peut alors envisager une alternative ajustée sur le long terme face à un profil rare et souvent isolé des problématiques managériales.
VERS UNE VISION PLURIDISCIPLINAIRE DES FORMATIONS
Actuellement un data scientist présente une formation d’ingénieur, de mathématiques, d’informatique ou encore d’économétrie. Néanmoins, celui-ci travaille étroitement avec le responsable marketing, Financier, des achats, etc.
Dans le domaine du management, le data scientist prend le pouvoir car il apprivoise les données comme personne. Néanmoins, peut il le faire sans déchiffrer et interpréter les besoins concernant la gestion de la relation client, les perspectives de développement du marché, la stratégie marketing ou encore le benchmark des concurrents ?
Nous présupposons alors qu’il se formera sur le tas et que l’efficacité du data scientist découlera de la capacité de son collaborateur à exprimer des besoins de gestion stratégiques et opérationnels. Le biais lié à l’expression des besoins et la compréhension des besoins managériaux paraît actuellement impossible à évaluer.
Nous constatons que le Data scientist travaille en toute autonomie et exploite et analyse des bases de données sans être guidé et sans savoir toujours ce qu’il recherche. La relation de pouvoir avec le responsable marketing est donc très prégnante puisque ce dernier prendra des décisions en fonction de ce que le data scientist aura décidé d’exploiter. La vision du data scientist risque donc de s’imposer strictement dans la fonction marketing pour segmenter ou encore proposer des corrélations inattendues entre deux variables, sans pouvoir être réellement guidé par un manager stratégique ou opérationnel. La non maîtrise des outils d’exploitations des données ne doit pas contester l’efficacité de la prise de décision du responsable marketing et remettre en cause son intuition concernant par exemple la mise en œuvre de programmes de fidélité qui favoriserait les clients fidèles alors que le data scientist aura démontré qu’il n’y a aucun intérêt à les récompenser. En effet, ce dernier aura pu constater une stagnation de la fidélité et du panier moyen des consommateurs les plus récompensés et proposera un modèle prédictif encourageant les moins bons clients mais il aura omis d’analyser l’impact de l’arrêt brutal de ce système de récompense sur les meilleurs clients de l’entreprise. Le responsable marketing subira donc les lois de l’algorithme alors qu’il avait entrepris une étude et un travail sérieux pour mettre en place son programme de fidélité.
INTÉGRER LA NOTION DE BIG DATA DANS L’ENSEIGNEMENT DU MANAGEMENT
Dans le cadre du master marketing de l’école de commerce dans laquelle je suis enseignant chercheur en marketing, nous avons très tôt
identifié la possibilité de sensibiliser les étudiants à la gestion des données marketing et au Big Data. Leur rôle futur dans l’exploitation de données marketing structurées et non structurées ne doit pas être minimisé et doit s’intégrer dans une vision globale et systémique des projets Big Data quelle que soit l’organisation qu’ils intégreront.
Depuis 4 ans, nos étudiants reçoivent une formation très orientée « digital » qui intègre un module rapprochant les systèmes d’information et le marketing. Ils se familiarisent avec le jargon technique et théorique de l’informatique et des systèmes d’information et travaillent concrètement sur des cas permettant d’appréhender toute la complexité de la collecte, du stockage, du traitement et de la diffusion des informations.
L’objet n’est pas d’intégrer dans le parcours du futur manager marketing une formation complète d’analyste, capable de programmer et de traiter des données massives, mais bien de le sensibiliser aux enjeux et aux problématiques liées à l’analyse des Big Data.
DÉCLOISONNER LES DISCIPLINES EN RAPPROCHANT DANS L’OFFRE DE FORMATIONS, INGÉNIEURS, STATISTICIENS ET FUTURS MANAGERS
La réflexion que nous menons et sur laquelle nous travaillons ardemment concernant l’évolution de nos programmes est la possibilité d’offrir à nos étudiants une mise en pratique réelle en les rapprochant des experts de la data, de l’informatique et des statistiques. En effet, les cursus manquent parfois de pluridisciplinarité au moment même où ils en ont le plus grand besoin. Nous avons tendance à cloisonner les disciplines (Marketing, Finance, Achats, GRH…) lors du 2ème cycle de formation supérieur. Or c’est lors de cette dernière étape cruciale de la formation supérieure qu’il devient indispensable d’aborder de manière transversale certaines disciplines, profondément liées au décloisonnement qui s’opère collectivement dans les organisations entre l’informatique, la DSI et d’autres fonctions telles que le marketing et la communication. Au moment même où certains experts s’interrogent sur « le marketing qui aurait raté le virage de la data » ou encore « la lutte de pouvoir entre le responsable marketing et le DSI », il est préférable d’envisager très tôt dans nos formations à apprendre à nos futurs managers à travailler ensemble. Quelques agences sortent aujourd’hui leur épingle du jeu en faisant travailler depuis quelques années déjà des data analysts avec des marketers sur un même projet dès la phase d’initialisation jusqu’à l’opérationnalisation.
Si la formation est censée être le reflet de ce qui s’opère dans les entreprises et répondre à des besoins de profils de plus en plus pluridisciplinaires, qu’attendons-nous pour renouveler la formation et proposer par exemple à des statisticiens de se former en marketing et à des étudiants en marketing ou en finance à apprendre les lois de l’algorithme à travers des concours (où étudiant en management et étudiant en école d’ingénieur présenteraient un projet conjointement), des projets tutorés ou encore une immersion complète dans un service totalement déconnecté du cursus ?