Jeudi soir. En rentrant de son travail, Justine passe devant son supermarché de quartier. Alors qu’elle hésite à y entrer, son portable sonne : « Bonjour Justine. Profitez d’un bon d’achat de 5 € en répondant à quelques questions dans le magasin ». Elle pousse la porte et se dirige vers la borne interactive qui lui souhaite la bienvenue et lui affiche un questionnaire personnalisé.
Non, vous ne rêvez pas, il sera bientôt possible de collecter suffisamment d’informations sur vos clients pour pouvoir communiquer avec eux de manière totalement personnalisée en fonction de leur position géographique. Près de 20 millions de Français possèdent déjà un smartphone et ce nombre croît rapidement. N’importe quel individu peut donc potentiellement être géolocalisé et suivi dans ses déplacements. Cela ouvre un champ infini pour des actions marketing ciblées mais pose également de nombreux problèmes juridiques, éthiques et déontologiques.
La géolocalisation
Lancé dans les années 60 par l’armée américaine, le GPS (Global Positioning System) est un système de localisation mondial qui a été popularisé par les systèmes embarqués dans les véhicules. Il utilise les satellites afin de déterminer en temps réel la latitude, la longitude et l’altitude d’un émetteur.
Aujourd’hui, de nouvelles techniques s’ajoutent à celle du GPS pour nous localiser. On parle donc maintenant plutôt de « GPS Data » pour désigner l’ensemble des données de géolocalisation, et pas seulement celles qui sont communiquées par les systèmes GPS. Parmi la variété de techniques de géolocalisation aujourd’hui disponibles, examinons celles qui peuvent intéresser le domaine du marketing et des études :
- La première est donc la géolocalisation GPS par satellite que tout le
monde connaît. Cette technique est très précise puisqu’elle permet
une localisation à 15 mètres près (100 mètres au maximum). D’après
une étude du réseau social local et de proximité Yelp, c’est le
moyen de géolocalisation le plus fiable.
- Moins précis que le GPS, la géolocalisation par GSM utilise les
informations envoyées par les antennes GMS auxquelles les terminaux
mobiles sont connectés. On note une variation de 200 mètres à parfois
plusieurs kilomètres. Cela dépend de la densité d’antennes
présentes aux alentours. Vous entendrez souvent le terme Cell-ID pour
qualifier cette technique.
- La géolocalisation par Wifi fonctionne comme celle par GSM
puisqu’elle va détecter les bornes wifi présentes autour de
l’appareil à géolocaliser.
- La géolocalisation par adresse IP peut déterminer la position
géographique d’un appareil à partir du moment où il est connecté à
internet. C’est le système utilisé sur les PCs pour identifier
votre emplacement. Les enquêtes web qui y font appel fournissent donc
une localisation moins précise qu’avec un mobile
puisqu’elles localisent plutôt votre point de connexion que votre
lieu exact.
- La géolocalisation par RFID (Radio Frequency Identification)
utilise un système de puce. Cette technique est principalement utilisée
pour la géolocalisation indoor (en intérieur). On utilise également,
pour ce type de localisation, le wifi et le Bluetooth.
Ces techniques sont de plus en plus utilisées en combinaison pour obtenir des informations de localisation plus précises. Les données géographiques sont également couplées avec d’autres informations comme le temps et le profil de l’individu grâce à la multitude de renseignements que nous envoient les réseaux sociaux et autres lieux d’échanges. La géolocalisation qui s’était ouverte au grand public au départ pour faciliter les déplacements évolue donc vers de nouveaux usages et intéresse par son potentiel dans l’amélioration de la connaissance client et la fourniture d’insights consommateurs de qualité. La technique séduit d’autant plus que les données qu’elle fournit peuvent être rattachées à un individu et couplées à d’autres données pour permettre des actions ultra ciblées. Pourtant, les informations de géolocalisation sont encore peu exploitées par les professionnels du marketing. Mais les choses sont en train de changer avec l’arrivée d’applications concrètes.
Le développement du Geofencing
On peut aussi l’appeler publicité géolocalisée. Le geofencing a pour objectif d’attirer le consommateur vers son point de vente ou de lui proposer sur place des incitations à l’achat (promos, jeux…). Le système repose bien entendu sur une application que le client doit installer sur son mobile. En effet, il ne faut pas s’imaginer, pour l’instant, être capable de repérer la position de n’importe qui, n’importe où. Ces données sont connues des opérateurs téléphoniques mais ne sont pas communicables notamment pour des raisons juridiques. En revanche, une application installée volontairement et qui communique la position de l’appareil lorsqu’il est dans un périmètre défini permet d’envoyer à ce mobile des offres et messages en push.
Il faut bien entendu que cette application soit démarrée.
Des applications concrètes se développent. Ainsi, le centre commercial « La Vache Noire » à Arcueil propose à ses visiteurs une application de geofencing développée par la start-up Fidzup. Dès que le visiteur arrive dans le centre, il reçoit un premier message SMS l’informant des promotions en cours dans les différentes boutiques. Un peu plus tard, il reçoit un message « instant gagnant » qui lui propose de se rendre dans une boutique particulière pour voir ce qu’il a gagné.
Au delà de ces applications purement commerciales, on peut imaginer de nombreuses utilisations de cette technologie de localisation dans le domaine des études :
- la sollicitation des répondants pour des enquêtes ciblées, juste après
l’acte d’achat ou à un intervalle défini après le passage
sur le point de vente,
- la sollicitation de répondants correspondants à des profils
déterminés pour leur proposer de participer à des panels ou de leur
administrer sur place des enquêtes spécifiques (évaluation de produit,
test de nouveaux concepts…),
- l’étude de la fréquentation des points de vente : fréquence
de visite, heures de passages, temps d’attente en caisse, temps
passé dans le magasin… le tout analysé par profil et en liaison
avec les achats effectués,
- les tests d’efficacité publicitaire en repérant les passages
aux environs des panneaux publicitaires et en identifiant donc les
moments et lieux d’exposition les plus propices pour des cibles
particulières,
- les études de concurrence, en plaçant des systèmes de localisation
à des emplacements déterminés proches des points de vente concurrents.
Certaines de ces applications peuvent faire appel à d’autres techniques de localisation que le GPS ou le GSM, pour permettre notamment un repérage précis. On parle de géolocalisation indoor, qui permet de déterminer la position plus précise du client dans le magasin et de faire remonter des données plus riches (par exemple pour les rayons fréquentés ou l’attente en caisse).
Toutes ces applications de géolocalisation inspirent spontanément de l’intérêt pour les hommes de marketing et d’études. Mais elles peuvent susciter également une méfiance à plusieurs niveaux.
Limites et précautions
Toute technique de collecte de données a des contraintes légales et déontologiques. Mais là, avec la géolocalisation, on perçoit spontanément l’importance d’un cadre sévère et d’un contrôle exigeant, pour prévenir les abus et minimiser les risques d’atteinte à la vie privée. Ces risques sont d’autant plus importants que l’on peut, avec cette technique, surveiller étroitement les déplacements et les activités des personnes.
Le cadre juridique est encore, pour l’instant, celui de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi Informatique et Libertés.
Un projet de loi a été adopté le 24 février par l’assemblée nationale pour encadrer de manière drastique la géolocalisation à l’insu des personnes, afin de mettre le droit français en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette loi, qui fait actuellement l’objet d’un recours auprès du conseil constitutionnel, définit un cadre strict pour la surveillance des personnes avec des normes extrêmement sévères. Par exemple, elle punit d’au moins 5 ans d’emprisonnement quiconque s’introduit dans un domicile pour poser un dispositif de géolocalisation.
Nous n’en sommes pas là au niveau du marketing et des études, mais il y a fort à parier que la sensibilité du public sur la géolocalisation va augmenter avec la multiplication des sollicitations. La règle de base sera toujours de s’assurer de manière formelle du consentement de la personne géolocalisée et de n’utiliser les données de géolocalisation que dans son intérêt et pour des activités ne pouvant pas nuire à sa vie privée.
Les professionnels du marketing, conscients des dérives potentielles cherchent à encadrer l’utilisation de la technique. La MMA (Mobile Marketing Association) a édité une charte sur la publicité géo-adaptée et d’autres organisations comme l’Esomar et le Syntec disposent de chartes intégrant des dispositifs spécifiques à la géolocalisation. L’utilisation pertinente de la technique démarre à peine et les perspectives d’avenir s’annoncent fructueuses. Il serait bon d’utiliser les possibilités ainsi ouvertes à bon escient, pour ne pas risquer des blocages par la loi qui viseraient les usages abusifs mais qui entraveraient les usages utiles de la technique.