L’écosystème glocal comme outil de développement de l’IA en Santé

L’écosystème glocal comme outil de développement de l’IA en Santé

Nous tenons à remercier les deux auteurs, Jean-Michel Moslonka, Agalio et David Dubois, INSEAD pour leur contribution.


L’IA est aujourd’hui omniprésente à travers la chaîne de valeur de la santé, à travers de multiples applications. Elle aide à accélérer l’innovation à travers le profilage d’agents moléculaires par rapport à des cibles thérapeutiques. Elle appuie le diagnostic grâce à sa performance dans la reconnaissance d’images. Elle opère la reconnaissance du langage naturel pour résumer de la documentation scientifique ou des dossiers cliniques. L’IA générative – popularisée par ChatGPT – est utilisée pour des robots conversationnels (« chat bots ») à destination des patients et professionnels de santé, ainsi que pour générer des contenus texte ou image. L’IA est également utilisée pour la surveillance des patients à risque, via par exemple des objets connectés. C’est une liste non exhaustive qui vise à montrer le large champ d’application de l’IA en santé.

Il existe actuellement un foisonnement dans l’univers des start-ups qui développent des applications innovantes à base d’IA, très souvent en collaboration avec des scientifiques et des universités. Ces start-ups ont un grand dynamisme, une passion pour leur domaine et pour les parties prenantes concernées, au cœur desquelles figurent les patients, les aidants et les professionnels de santé.

Ces start-ups, souvent isolées ou évoluant dans des incubateurs dans lesquelles elles n’interagissent qu’avec d’autres start-ups, rencontrent pourtant des difficultés de plusieurs ordres. La santé est un des secteurs les plus régulés, et la protection des données de santé est un impératif. Cette régulation se traduit par des temps de passage d’un concept à une mise en commercialisation qui se compte en années voire en décennies. Ainsi, les start-ups se voient confrontées à des enjeux technologiques et de médecine, mais aussi des défis juridiques, règlementaires et d’accès au marché auxquelles elles sont mal préparées. Obtenir un remboursement, par exemple, pour un logiciel-dispositif médical (« software as medical device ») est un processus complexe, dont les règles sont d’ailleurs différentes dans chaque pays, même en Europe.

De ce fait, une collaboration avec des grands groupes permet de débloquer ces situations et donne les moyens à ces start-ups d’accéder à des ressources humaines et financières supplémentaires, et d’accélérer leur développement.

Cependant, il n’est pas naturellement facile pour un grand groupe de travailler avec une start-up. Les différences de culture, de processus, d’objectifs constituent des barrières importantes. Le grand groupe planifie à long terme, et les processus de décision et d’allocation de ressources peuvent être longs. Il existe également une certaine aversion au risque. Ceci peut être frustrant pour la start-up tentée par un partenariat. A contrario, la startup est moins orientée processus. Elle prend ses décisions de manière plus rapide et plus informelle.

L’approche « incubateur / accélérateur » peut permettre de rapprocher ces deux mondes, à condition qu’elle soit glocale, c’est-à-dire qu’elle vise à rapprocher « sous un même toit » les petits et les grands acteurs, plutôt qu’elle ne se contente de se constituer en pépinière d’acteurs naissants, comme c’est trop souvent le cas. Elle se traduit souvent par des appels à candidatures, une sélection de startups, et la mise à disposition d’un dispositif de « mentoring » avec des experts, des professionnels venus de grands groupes et une participation active de ces derniers.

Ce modèle, initié par Future4Care à Paris, essaime dans d’autres villes telles que Berlin. Dirigé depuis 2021 par Agnès de Leersnyder - qui a commencé sa carrière chez Vivendi, puis a travaillé au sein du groupe Orange, où elle a été notamment en charge de la stratégie groupe - Future4Care détonne dans l’univers des incubateurs. Tout d’abord, bien que dédié à la e-santé, Future4Care a été originellement co-fondé par quatre grands groupes dont un groupe Pharmaceutique – Sanofi – mais également, et c’est une première originalité, des groupes d’autres secteurs, dont Orange (télécommunications), Cap Gemini (conseil et data) et Generali (Assurance). Pour générer des idées innovantes en santé, cette approche multi-sectorielle est un atout. De fait, les grands groupes disposent de bureaux à Future4Care, ce qui permet une acculturation réciproque des équipes et le développement de liens privilégiés entre ces grands groupes, et les jeunes start-ups, générateur de fructueux échanges.

Prenons l’exemple de l’une de ces sociétés, Tilak Healthcare, dirigée et cofondée par Edouard Gasser, diplômé de l’ESCP, qui a dirigé le studio de production de Gameloft à Madrid avant de créer sa société. Tilak Healthcare a été créée par des personnes venant pour certaines, comme Edouard Gasser, du monde du jeu vidéo et pour d’autres du monde médical. Tilak Healthcare a mis en pratique le concept de gamification, pour développer une application qui permet de suivre la progression de maladies oculaires, par exemple la DMLA, via le jeu vidéo. Leur solution a été validée par des études cliniques, et a même obtenu un remboursement par la Sécurité Sociale en France, facilité entre autres grâce au support des grands groupes.

Un autre exemple est Juisci, dont le PDG-Fondateur est Robin Roumengas, diplômé de la majeure « entrepreneurs » de l’ESSEC, qui a commencé sa carrière chez Michelin et Renault en Chine, et qui a participé à plusieurs aventures entrepreneuriales à Shanghai et à New York. Juisci a l’ambition de devenir le « ChatGPT » de la science en santé, en modalité business-to-business. L’application Juisci permet, par exemple, aux professionnels de santé de bénéficier de résumés de la littérature scientifique et médicale dans leur domaine thérapeutique, à partir de sources validées. L’IA de Juisci transforme automatiquement des publications scientifiques longues et complexes en divers formats dont des synthèses, des podcasts immersifs et des vidéos.

La présence de jeunes entreprises dynamiques telles que Tilak Healthcare et Juisci au sein de Future4Care leur permet de recevoir en direct un accès à l’expertise des grands groupes fondateurs, et également de bénéficier d’une plateforme de visibilité, à travers les événements qui sont organisés sur place. Il existe également une valeur en retour pour les grands groupes, qui ont l’occasion de dynamiser leurs propres équipes, à travers une interaction étroite avec les startups.

Ces exemples montrent que l’approche « glocale » est un paramètre important favorisant le développement d’applications IA en santé, permettant leur lancement plus rapide, au bénéfice des patients et des professionnels de santé.

Dans des pays comme la France ou le Canada, où il existe un « hiatus de temps », repenser l’écosystème santé est d’autant plus important. La population vieillit, ce qui se traduit mécaniquement par des besoins de soins accrus. La demande de temps à passer par les professionnels de santé s’accroit. D’un autre côté, la démographie médicale ne suit pas forcément, et les tâches administratives prennent aussi du temps aux soignants. L’offre de temps effectivement passé par les professionnels de santé, au mieux, stagne. Il y a un déséquilibre entre demande et offre de temps.

L’IA est un moyen qui peut permettre, par exemple par l’automatisation de certaines tâches répétitives, ou l’accélération du traitement de l’information, de réduire ce déséquilibre. Mais pour réaliser cette vision, il s’agit de muscler fortement les capacités d’innovation, et d’encourager les modèles permettant d’accélérer les nouveaux modèles de croissance, tels l’écosystème glocal.

NB : cet article a été entièrement écrit par les auteurs sans aucun usage d’IA générative.