Dernier numéro de Survey Magazine

Les enjeux des e-cohorts

contributeurs

Une cohorte épidémiologique est un type d’étude scientifique qui permet de suivre dans le temps l’évolution de l’état de santé d’un certain nombre de personnes qui partagent des caractéristiques communes. Il s’agit nécessairement d’individus uniques et bien identifiés. En fait, les cohortes dépassent largement le cadre de la recherche épidémiologique : les analystes en marketing étudient les comportements des consommateurs dans le temps depuis longtemps et font des cohortes comme Monsieur Jourdain de la prose.

Les cohortes peuvent s’inscrire soit dans un protocole de recherche et collecter des données spécifiquement pour la recherche (les participants ont alors un suivi qu’ils n’auraient pas eu par ailleurs, comme dans Constances) soit en récoltant les données issues des soins courants (les participants n’ont que le suivi médical qu’ils auraient eu s’ils n’avaient pas participé à la cohorte et toutes les données viennent des informations collectées en routine dans le cadre de leurs soins, comme dans Épi-Hypo). Le premier modèle a l’avantage d’avoir un grand nombre de données collectées de façon systématique mais la lourdeur du protocole induit souvent une attrition importante : les participants se désengagent petit à petit de la cohorte, il faut alors les remplacer, ce qui est coûteux en temps et en énergie. Le deuxième modèle fait partie d’un nouveau champ des études en santé : les études dites « de vie réelle ». Elles ont l’avantage de montrer ce qu’il se passe « réellement » sur le terrain des soins mais ont l’inconvénient d’avoir beaucoup de données manquantes et des temporalités qui ne sont pas maîtrisées. Leurs analyses sont plus complexes mais plus facilement extrapolables à l’ensemble de la population. Ces cohortes peuvent être construites de façon rétrospective : les données qui ont déjà été générées antérieurement sont stockées quelque part ; il suffit de les rassembler et de les analyser. On parle parfois de « cohortes historiques ». Les cohortes peuvent aussi être créées de façon « prospective » : les participants vont être recrutés au fur et à mesure qu’ils remplissent les conditions et les données seront collectées aussi au fur et à mesure qu’elles sont générées. Lorsqu’une cohorte prospective couvre la totalité des participants d’un territoire, on parle alors de « registre ». Il est aussi possible de combiner dans une même cohorte des collectes de données à la fois de façon rétrospective et de façon prospective : on parle alors de « cohorte historico-prospective » ou « étude ambispective ».

Il existe énormément de cohortes en France et dans le monde avec des modèles très variés. L’état français tente d’organiser l’ensemble (en particulier pour les plus grosses cohortes) au sein de France Cohortes mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de panorama complet des cohortes actives pour un territoire donné et les patients peuvent se retrouver parfois dans plusieurs d’entre elles, multipliant ainsi les coûts et les efforts de collectes de données.

Les cohortes permettent d’étudier, par exemple, le rôle de l’exposition à des agents environnementaux, au sens large du terme (alimentation, exercice physique, exposition à des agents chimiques, pollution atmosphérique, etc.) sur le risque de développer de nouvelles maladies ou d’aggraver des maladies existantes. L’exemple le plus connu est celui de la cohorte Framingham qui, menée depuis 1948, a permis de montrer l’importance de facteurs de risque comme le tabac, le surpoids, la dyslipidémie ou les antécédents familiaux dans la survenue de maladies cardiovasculaires. C’est l’avantage principal d’un suivi longitudinal (dans le temps) : on peut suivre un individu qui ne présente pas de maladie, déterminer le moment de l’exposition à un facteur de risque et enregistrer l’apparition de la maladie après cette exposition. Ces premières identifications permettront par la suite de faire des recommandations d’identification des facteurs de risque en amont de la maladie.

Une e-cohorte est une cohorte au cours de laquelle l’inclusion et le suivi sont réalisés sur Internet. Les patients partagent leurs informations en ligne dans un environnement sécurisé, par exemple en répondant à des questionnaires électroniques. C’est le cas de la e-cohorte ComPaRe . Mise en place pas l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en 20217, elle regroupe plus de 50 000 patients souffrant d’au moins une maladie chronique et souhaitant s’engager dans la recherche.

Selon les souhaits de l’investigateur, les participants d’une cohorte peuvent devenir des membres actifs de la communauté de recherche et être impliqués dans toutes les étapes de la recherche, telles que le choix des projets à mener au sein de la cohorte, la conception de l’ensemble des matériels destinés aux participants, à l’analyse des données ou à la diffusion du projet. Ce format permet de constituer une communauté de patients désireux de participer à la recherche en contribuant activement à proposer des orientations qui ont une importance particulière pour eux : cette nouvelle forme de recherche collaborative (entre chercheurs et participants) est une source majeure d’innovation avec un impact sociétal important . Par exemple, au sein de SKETHIS , les participants sont régulièrement amenés à s’exprimer sur ce qu’ils souhaitent voir investigué au sein de la cohorte. Ils peuvent aussi proposer de nouvelles thématiques qui n’auraient pas été envisagées par les investigateurs. La collaboration au sein d’une e-cohorte permet aussi des partages entre chercheurs qui n’auraient pas, autrement, collaboré : cette infrastructure de recherche unique implique une mutualisation des participants et, ce faisant, un pool de données communes à toutes les recherches, dont l’exploitation est facilitée et accélérée par et pour tous. ComPaRe, par exemple, utilise cette forme de plateforme collaborative : constituée d’en fait 20 sous-cohortes différentes, les participants déclarent avoir plusieurs maladies différentes et participent à plusieurs des sous-cohortes. Il n’est plus nécessaire de leur demander plusieurs fois les mêmes informations : les données d’un questionnaire sont mutualisées avec l’ensemble des chercheurs participant à la plateforme. Au finale, chercheurs et patients gagnent beaucoup de temps et d’énergie !