A l’heure où l’écologie, la recherche du développement durable et le souci de préserver l’environnement occupent une place croissante dans les préoccupations des citoyens européens, les entreprises semblent aborder le domaine principalement en termes de marchés potentiels et de positionnement de produits. Bien entendu, la démarche maladroite du greenwashing (ou blanchiment écologique) qui a largement prévalu ces dernières années et qui consistait à utiliser abusivement l’argument écologique ou des mises en scène dans un environnement verdoyant pour vanter des produits non-écologiques laisse de plus en plus la place à des démarches plus globales, intégrant le souci de proposer vraiment des produits conçus pour mieux respecter (ou moins nuire à) l’environnement. Car tout le monde a compris que la simple peinture verte avait un impact de plus en plus réduit face à la sensibilité environnementale croissante du consommateur et qu’il valait mieux, pour surfer sur la vague verte, proposer vraiment des produits ou services soucieux de l’environnement.
Les publicitaires se sont d’ailleurs engagés à travers une charte
signée dans le cadre du Grenelle de l’environnement, à pratiquer
une publicité « éco-responsable » et à
« éviter à l’avenir que certaines publicités ne recourent de façon
ambiguë, voire parfois abusive, à des arguments environnementaux ou ne
fassent directement ou indirectement la promotion de comportements
contraires au respect de l’environnement ».
« Marketing vert » ou « Marketing du vert » ?
Il n’en reste pas moins que les entreprises continuent tout naturellement à rechercher les moyens de tirer profit des nouvelles opportunités ouvertes par l’intérêt du public pour la protection de l’environnement. Cependant, elles semblent aborder l’écologie davantage comme une demande des clients que comme un concept fondamental devant guider leurs activités et leurs modes de fonctionnement. C’est ce que confirme une étude de l’institut britannique Coleman Parkes Research qui vient d’interroger 460 Directeurs Marketing et 167 Directeurs Financiers de grandes entreprises, en Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas et Grande-Bretagne.
D’après cette étude, plus de la moitié des Directeurs Marketing (53%) estime que leur entreprise ne cherche pas particulièrement à réduire l’impact de ses activités marketing sur l’environnement. Seule une entreprise sur 4 mesure l’impact environnemental de ces activités marketing et moins d’une sur 10 (8%) s’est fixée des objectifs précis à atteindre en matière de respect de l’environnement.
Il ne fait aucun doute que l’activité de recherche marketing, gourmande en ressources en tous genres, prend part au gaspillage organisé. Individuellement, nous sommes de plus en plus nombreux à être sensibles à l’argument écologique. Mais comment le mettre en pratique concrètement dans notre activité ? Comment faire pour que les études marketing soient les plus respectueuses possibles de l’environnement et participent ainsi à la réduction de l’impact des activités marketing sur la planète ?
Les pistes d’amélioration
Il est possible, pour réduire l’empreinte écologique des activités d’études, d’agir à plusieurs niveaux, que nous allons explorer ci-dessous.
Des questionnaires papier optimisés
Ce qui vient en premier à l’esprit concerne sans doute l’utilisation des questionnaires papier qui, bien qu’en net recul avec l’avènement du CATI puis des enquêtes web, continue à se pratiquer largement. Contrairement à ce que l’on pense généralement, le problème écologique avec le papier n’est pas tellement lié à la déforestation. En effet, la fabrication de la pâte à papier utilise essentiellement, en France, des bois provenant de coupes d’entretien (70%) et de chutes de l’activité des scieries (30%). Elle participe ainsi à la valorisation des sous-produits et à la gestion et à la vitalité des forêts françaises qui couvrent aujourd’hui 15,5 millions d’hectares contre 11 millions en 1950 et 9 millions au milieu du XIXe siècle. Le problème est plutôt lié à la pollution inhérente au processus de fabrication et de blanchiment du papier qui nécessite encore, malgré les efforts importants consentis par les industriels du secteur, beaucoup d’énergie et de grandes quantité d’eau pour extraire la cellulose (60 litres par kilo de papier). Cette eau est prélevée dans les rivières puis rejetée après utilisation avec des substances toxiques (dioxines, furannes chlorés…) que les papetiers cherchent ou sont incités à réduire mais qui restent présentes en quantité.
L’utilisation du papier doit donc être réduite dans le domaine des
études comme partout ailleurs. Pour les cas où le support papier est
indispensable, voici 10 règles pour une
démarche plus respectueuse de l’environnement :
- Optimiser la mise en page du questionnaire en veillant à bien
occuper toute la page (présentation sur 2 colonnes ou plus, marges
réduites) et en utilisant des caractères de taille raisonnable (taille
10, pour une lisibilité optimale),
- Imprimer le questionnaire en recto-verso,
- Eviter de trop charger le questionnaire en encre, en minimisant
les aplats,
- Utiliser du papier fabriqué en France plutôt que du papier
importé,
- Utiliser du papier recyclé dont le bilan écologique est meilleur,
même s’il est loin d’être neutre pour l’environnement,
- Utiliser un papier de grammage raisonnable (80 ou 90 g) en
invitant les enquêteurs ou les personnes interrogées à ne pas utiliser
des feutres pour répondre,
- Avoir recours aux formats de papier habituels (A5, A4 ou A3) qui
correspondent aux calages standards des machines de coupe et qui
minimisent donc les chutes inutiles pour l’imprimeur,
- Choisir un imprimeur ayant le label Imprim’vert et qui
s’est donc engagé à éliminer ses déchets de manière conforme à la
réglementation, à sécuriser le stockage des liquides neufs dangereux et
des déchets liquides en cours d’utilisation ou non, et à ne pas
utiliser des produits étiquetés toxiques,
- Optimiser le transport et la distribution des questionnaires
papier en évitant par exemple le recours aux envois express, les
expéditions ou retours multiples, l’envoi de quantités
supplémentaires exagérées…
- Porter les questionnaires usagés dans les bennes à papier.
Un terrain économe en énergie
Le terrain d’étude peut présenter un point noir au niveau écologique. Lorsque l’enquête est administrée en face à face, sur support papier ou en CAPI, il est possible de réduire les gaspillages avec quelques règles simples, qui permettront également des économies budgétaires :
- Minimiser les trajets des enquêteurs en les faisant intervenir
dans des zones de taille réduite et peu distantes de leur lieu
d’habitation ou de travail,
- Avoir recours à des sous-traitances locales plutôt que de déplacer
des enquêteurs dans des villes ou régions non couvertes,
- Lorsque c’est indispensable, inciter les enquêteurs à
utiliser les transports publics plutôt que la voiture,
- Briefer des enquêteurs à distance, via le web, grâce à des
solutions faciles à mettre en œuvre comme GoToMeeting (Citrix), WebEx
(Cisco), Acrobat Connect (Adobe), Lotus Sametime (IBM).
L’abonnement mensuel est de l’ordre de 25€ et permet
généralement d’organiser autant de réunions que vous le souhaitez
avec 10 à 15 participants. Pour ceux que cela intéresse, le site
http://www.webconferencing-test.com/ propose un comparatif détaillé des
principaux outils de conférence en ligne disponibles sur le marché.
- Envisager de faire saisir les réponses par les enquêteurs
directement en ligne, plutôt que de leur demander de ramener ou de
renvoyer les questionnaires papier remplis.
Développer les enquêtes en ligne
Les enquêtes web se sont imposées aujourd’hui comme le mode d’administration de loin le plus rapide, le plus souple et le plus économique. Les logiciels comme NET-Survey qui permettent de concevoir et de diffuser très facilement des questionnaires web simples ou plus sophistiqués que n’importe quel questionnaire conçu pour une administration CATI ou en face à face, sont venus détrôner les solutions classiques de gestion d’enquêtes.
En plus de leurs qualités opérationnelles, les solutions CAWI nous semblent correspondre au mode le plus écologique de gestion d’enquêtes. Certains arguent toutefois que la consommation des serveurs qui permettent d’héberger les enquêtes web ajoutée à celle des micro-ordinateurs des personnes interrogées génère une certaine pollution informatique. Selon une étude Gartner, les nouvelles technologies de l’information seraient responsables dans leur ensemble de 2% des émissions de CO2 mondiales, soit l’équivalent de l’aviation ! Bien entendu, la part des enquêtes web dans ces émissions est infinitésimale. Il n’en demeure pas moins qu’il convient, dans le cadre d’une démarche réellement orientée vers le développement durable, d’envisager les mesures de réduction de l’empreinte écologique de ce mode d’administration en pleine expansion. Voici quelques pistes :
- Optimiser le contenu et les cheminements conditionnels dans le
questionnaire, en vue de raccourcir le temps de réponse nécessaire.
Beaucoup de questionnaires web sont encore réalisés de manière
maladroite, et calquent les mêmes structures que pour le Cati ou pour
l’administration papier. Les logiciels CAWI aboutis permettent de
mettre en place facilement des cheminements et des affichages de zones
ou de pages de manière conditionnelle. Cela accroît à la fois la
facilité d’utilisation et l’agrément du questionnaire tout
en raccourcissant le temps de connexion nécessaire.
- Eviter les technologies CAWI nécessitant des téléchargements et
installations contraignantes. Certains éditeurs proposent des systèmes
fonctionnant avec des applets Java ou du Flash. Les questionnaires les
moins gourmands en ressources et donc les plus rapides à
s’afficher sont ceux générés directement en HTML par le logiciel
CAWI.
- Ne pas encourager les répondants à imprimer le questionnaire pour
le remplir sur papier avant de le reporter sur le web, ou encore à
imprimer un récapitulatif de leurs réponses ou toute autre document
associé au questionnaire.
- Faire appel au « Green Hosting » pour un hébergement écologique de
vos questionnaires. Ce type d’hébergement a le vent en poupe, même
si on trouve encore peu de prestataires en France. Les centres qui
proposent ce type d’hébergement s’engagent à privilégier
l’hébergement mutualisé sur des serveurs à faible consommation
électrique, à se préoccuper du recyclage de leurs déchet informatiques,
à utiliser de l’énergie propre issue de sources renouvelables, de
limiter l’émission de polluants en adoptant des architectures
réduisant les besoins en climatisation, etc. En France, le précurseur de
ce type d’hébergement est Ikoula (www.monsiteestvert.fr).
Agir au niveau du contenu
Nous avons évoqué pour l’instant les efforts écologiques possibles concernant modalités d’organisation des enquêtes. Or les enquêtes ne sont pas une activité comme une autre. Elles visent à orienter les stratégies des entreprises et à leur permettre de proposer des produits en adéquation avec les attentes du public.
Ce statut d’outil d’aide à la décision peut permettre aux professionnels des études d’aller au delà des simples économies de fonctionnement pour être pro-actifs dans le domaine écologique. Ainsi, ils peuvent agir au niveau du contenu des enquêtes pour y intégrer des questions permettant de faire remonter les préoccupations écologiques croissantes des consommateurs et d’identifier des pistes de progrès environnemental dans les modes de production, de commercialisation et de communication de l’entreprise.
Cette démarche n’est pas très fréquente. On commence à trouver des
consommateurs pour s’en agacer (exemple relevé sur un forum
:
« pourquoi est-ce que dans leurs études marketing de m***, le ras-le-bol
de devoir enlever les cartons du bidule et le plastique du truc
n’apparaît jamais ? »). Il est vrai que beaucoup d’enquêtes
cherchent à tester l’impact et l’attrait visuel d’un
emballage et que peu d’entres elles essaient d’évaluer
l’intérêt du consommateur pour des emballages allégés. Si les
professionnels des études s’attachaient plus à mettre en évidence
les problématiques environnementales et l’intérêt du consommateur
pour des alternatives plus écologiques, ils pourraient contribuer
efficacement à la protection de l’environnement et à
l’orientation des décideurs vers des approches plus écologiques.
Aller plus loin
Les démarches empiriques de bonne volonté écologique sont déjà une bonne base de départ pour qui veut agir dans le cadre de son environnement professionnel. Une chose est sûre : on peut toujours faire quelque chose d’utile, même si on n’est pas vraiment complètement au clair sur l’impact effectif de ses initiatives. Car la complexité du domaine ne permet pas toujours d’appréhender la problématique dans son ensemble.
D’autres secteurs d’activité ont cherché à clarifier l’impact de différents types d’actions sur l’environnement. Ainsi, dans le domaine de la publicité, un outil baptisé « Ecopublicité » a été mis au point par Price Waterhouse et Havas Média en collaboration avec l’Ademe et LVMH. Cet outil permet de mesurer la performance environnementale et d’évaluer les impacts positifs et négatifs d’une campagne de publicité. Moyennant une contribution annuelle, les annonceurs peuvent remplir une grille décrivant les supports choisis pour la campagne ainsi que les moyens engagés et obtenir en sortie la mesure très précise des émissions de gaz à effet de serre générées, les ressources utilisées ou encore des déchets occasionnés par leur campagne publicitaire.
En attendant de disposer d’un tel outil dans le domaine des études,
chacun peut agir à son niveau et trouver des bonnes idées comme
l’a fait par exemple l’institut EURO-VOTE,
« premier institut d’études marketing et opinion en ligne
responsable », qui s’engage à rémunérer ses répondants non pas
directement mais en reversant tous les mois 10% de son chiffre
d’affaire pour soutenir les projets responsables de leurs choix.