L’étymologie du mot disruption trouve ses origines dans le latin disruptus, participe passé du verbe disrumpere ou dirumpere qui signifie « briser en morceaux », « faire éclater », « rompre » et « détruire ». Mais en matière d’études, certains préfèrent le mot transformation à rupture. Survey-Magazine a rencontré 2 dirigeants de chez Kantar pour connaître leur réalité.
L’évolution du métier s’inscrit dans la mutation de la société au sens large avec l’évolution des comportements, des besoins, des envies de l’individu, du consommateur et du citoyen qui vont continuer de se transformer dans les prochaines années. Le métier des études analyse et décrypte les comportements et leurs évolutions depuis des dizaines d’années. Cette transformation s’explique par la digitalisation qui survient dans le contexte d’une société de plus en plus mondialisée, avec toujours plus d’échanges commerciaux, financiers, culturels et d’interrelations entre les individus. Ce phénomène de digitalisation tend à rendre quasiment tout possible et surtout multiplie les possibilités offertes aux consommateurs.
Du côté de nos clients, la prolifération des leviers possibles pour ne citer que ce facteur tend à complexifier l’orchestration des actions pour construire les marques et développer leur business ce qui incite à revoir les offres et les méthodes ainsi qu’à faire évoluer les organisations pour enrichir les profils et les politiques de partenariat. Ce « plus de tout », qui est symptomatique de la société dans laquelle nous vivons, se traduit dans notre métier par la nécessité d’aller vers un « plus de tout » et ce à tous les niveaux : qu’il s’agisse de logique d’hybridation des datas et de multi-temporalité (temps réel, court terme, long terme), de l’auto-ubérisation avec l’avènement des plateformes de Do It Yourself, de l’élargissement des périmètres d’intervention vers plus de conseil data mais aussi de la diversité et l’évolution des profils (ingénieurs, designer, planning strat, etc.). Il devient aussi stratégique pour nous de multiplier les partenariats avec des start up, l’intégrer de l’IA dans les procédés et de s’interroger sur la question de l’agnosticité des méthodes et techniques d’études telles que le machine learning, les méthodologies traditionnelles, etc. Nous prônons davantage une transformation des métiers plutôt qu’une totale disruption. Le métier historique en tant qu’institut d’études ne cesse pas : la collecte de l’information continue. Elle est aujourd’hui hybridée à la donnée existante ce qui rend le métier d’autant plus légitime pour connaître et comprendre les motivations et les besoins des vrais gens. Nous sommes plus que convaincus que la profession va évoluer vers davantage de temps de conseil. Ce changement qui implique une transformation à mener en interne auprès des équipes afin d’être en mesure notamment d’automatiser les processus d’’études. Ce basculement implique plusieurs ré organisations.
Moyen 1 : Se constituer un vivier de talents
Il y a dans notre métier une évolution claire des attentes en matière de recrutement. Nous sommes de plus en plus à la recherche de nouveaux talents qui ont à la fois la capacité de comprendre le monde qui les entoure et possède de solides bagages informatiques pour retranscrire ces changements. En somme des profils « hybrides » à la fois Tech et Business qui sont capables de comprendre les problématiques business des clients et de leur apporter une réponse qui intègre de la data. Toutefois, nous sommes confrontés depuis ces dernières années à une pénurie sur le marché de l’emploi de jeunes diplômés. En réalité, nos responsables RH continuent de recevoir des CV marketés Quanti et Quali alors que les attentes du métier ne sont plus celles-là.
Face à cette dichotomie entre la demande et l’offre dans le marché de l’emploi, nous avons mené le projet ambitieux de créer notre propre formation en 2 ans de niveau Master en Architecture data. Elle est accréditée par l’Etat avec l’engagement de recrutement de notre part à l’issu. Pour cela Kantar s’est adossé à l’école Human Experiences qui porte la même vision. La première promotion vient de démarrer. Elle va permettre de constituer un vivier interne pour d’une part renforcer la technicité des équipes et d’autre part accompagner le métier dans sa mutation avec notamment l’enjeu fort d’un partage des connaissances et savoirs avec les autres salariés afin que chacun puisse s’approprier les nouveaux outils et méthodologies. C’est une façon d’innover aussi en matière de politique RH.
Moyen 2 : Créer de nouveaux outils pour gagner en autonomie
L’automatisation des procédés d’études répond à une double attente clients : celle d’être autonome dans la conduite d’études, puis d’obtenir des réponses en temps réel.
Pour se faire, chez Kantar, les lignes de production ont été automatisées à plusieurs niveaux afin de pouvoir passer davantage de temps chez les clients. On peut dire que l’automatisation a libéré le conseil dans un métier où la charge de travail et le temps le permettaient peu, et réduisaient la capacité de prise de recul utile pour une overview dont les clients ont besoin.
En la matière, les plateformes d’études Do It Yourself comme MarketPlace sont des réponses concrètes. Au niveau mondial, les premiers résultats prouvent que ces solutions répondent à une demande qui s’est généralisée. Les marchés anglosaxons suivis par l’Allemagne ont été parmi les premiers à avoir recours à ce type d’outils pour des études non fondamentales où l’on recherche davantage à obtenir un go / no go quasiment en temps réel auprès de répondants comme c’est le cas par exemple pour les tests de concept. C’est ce qui explique en partie le succès des plateformes d’études DIY : les réponses sont disponibles sous 2 jours au lieu des traditionnelles 3 ou 4 semaines d’études. On peut parler de disruption du métier des études dans le sens où au démarrage nous partagions tous beaucoup d’inquiétudes sur l’avenir du métier. Aujourd’hui tout le monde s’aligne sur le gain de temps qui est mis à profit pour le conseil.
Autre solution à citer : les plateformes d’hybridation des données comme HBG qui ont aussi soufflé un vent d’innovation. Leur valeur ajoutée repose sur le croisement des données médias, aux KPI d’une marque et autres indicateurs business. Le client mesure l’impact de chaque investissement médias sur les ventes et la marque. Il peut repérer les leviers sur lesquels agir. Comme on peut s’en douter la mise en place de telles solutions a nécessité d’importantes capacités techniques : ce fut un sujet majeur pour notre groupe.
Moyen 3 : Mettre en place des partenariats innovants avec les start-ups
Kantar division Insights (regroupement de Kantar TNS et Kantar Millward Brown) est organisé par expertise avec chacun ses méthodologies et outils. Nous prenons le parti d’intégrer des nouveaux modules proposés par des startups pour aller plus loin et être en mesure d’innover dans chaque expertise comme par exemple la mesure de l’émotion. Il y a aussi dans ce procédé d’innovation en externe un bénéfice client non négligeable : celui de rendre accessible des startups dont la captation et le référencement auraient pu être difficiles. Cette décision « d’encapsuler » des solutions de startups permet de réaliser des phases de test avec les clients et d’en tirer les enseignements nécessaires pour améliorer les solutions existantes avec nos capacités en interne. Nous avons récemment inauguré un nouvel espace à ce sujet. La Station K dispose de locaux dédiés pour que chaque start-up puisse se présenter, échanger et réaliser un POC. A partir de là, nous réalisons une sélection que nous testons par le biais d’études afin de déterminer la ou les innovations les plus pertinentes à financer.
Output
On constate que le temps gagné sur l’automatisation de procédés d’études a un impact direct sur l’implication des équipes. Nous venons par exemple de conduire une étude sur 130 pays pour les équipes service client d’un géant de l’énergie. Le frein connu de ce type d’études est généralement celui de réussir à animer les équipes multi-pays au moment aval de la livraison des plans d’action. En général, c’est le format workshop qui est privilégié. Toutefois, nous avons chez Kantar profité du temps et de la ressource disponible pour imaginer une autre forme de restitution à la fois ludique et opérationnelle. Les résultats de l’étude ont été matérialisés sous la forme d’un jeu de cartes avec au verso des verbatim clients et au recto des best practices formulées par les équipes Kantar à partir de milliers retours d’expériences sur des problématiques quotidiennes telles que comment traiter une réclamation ou un retour client. Pour d’autres clients, nous sommes en mesure à des données d’études de refondre une stratégie digitale dans l’optique d’une activation CRM par exemple. Cela nécessite des phases d’audit et de de discussion qui sont aujourd’hui menées par des hommes et femmes d’études.
Propos recueillis par la rédaction