Depuis plusieurs décennies, le système de santé assiste à une mobilisation croissante des patients dans les parcours de soin et l’organisation des structures de santé, laissant émerger la figure du patient acteur dans les services en santé. Comment se manifeste ce nouveau rôle, notamment dans l’expérience de soin collective et la collecte des données de santé ?
Un patient plus engagé dans une expérience de soin collective
Si l’on voit apparaitre une forme d’émancipation du patient pour laquelle le patient, individu vulnérable, reprend le contrôle sur sa santé, il est intéressant de constater qu’elle se fait à deux niveaux. D’une part, au niveau individuel : le patient est davantage coproducteur de sa santé, en étant capable de collecter des informations via diverses sources, les analyser, les critiquer et de faire ses propres choix quant aux offres de santé qui lui sont proposées. Le patient plus participatif est alors davantage capable de surveiller sa maladie et ses symptômes, reporter les données les plus pertinentes à ses professionnels de santé et gérer des situations difficiles pendant son parcours de soin. D’autre part, au niveau collectif : le patient acteur collabore avec les établissements de santé pour contribuer à l’amélioration des soins, faire évoluer les pratiques sur le terrain et être producteur d’idées. De plus en plus, la frontière entre patient et soignant, tous deux en tant que membres engagés et responsables dans le même établissement de soin tend à s’estomper, chacun ayant un rôle actif à la fois en interne et en externe auprès des parties prenantes extérieures.
Cette place croissante du patient est l’une des illustrations du processus de co-création de valeur introduite en marketing par la Service Dominant Logic pour laquelle la notion même de service fait référence à l’idée de faire quelque chose pour et avec le consommateur. Si la co-création de valeur est présentée comme une approche marketing bénéfique à la fois pour l’entreprise et pour le consommateur, elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de s’intéresser à des consommateurs vulnérables tels que les patients. Alors que la vulnérabilité fait référence à un sentiment de manque de contrôle sur un contexte spécifique, l’engagement du patient dans diverses activités contribuent justement à restaurer le contrôle et à redéfinir une image de soi potentiellement altérée. Le patient co-crée lui-même son expérience de soin et contribue à définir la valeur qui en résulte. Dans cette perspective, le patient participe notamment à la collecte des données de manière formelle ou informelle, que ces données portent sur les patients eux-mêmes et leurs ressentis et perceptions, ou leurs interactions avec les parties prenantes (aidants, soignants).
La participation du patient dans la collecte des données ouvre ainsi la voie à une approche expérientielle de la santé qui est aujourd’hui indispensable à la fois pour les praticiens et pour les académiciens. Sur le terrain d’une part, adopter une approche centrée sur le patient et ses projets de vie (et non seulement sur les structures qu’il fréquente) permet de contribuer à la logique d’évaluation de la qualité de services au cœur des préoccupations des établissements de santé et de proposer une offre de soin adaptée au patient et à son écosystème. D’autre part, dans le cadre des travaux de recherche en marketing notamment, il devient de plus en plus important de dépasser l’approche traditionnelle du marketing de l’offre en santé pour introduire une perspective plus expérientielle et émotionnelle de la santé. Les données collectées auprès des patients, et avec les patients, contribuent ainsi à enrichir les travaux.
Si le rôle du patient émancipé est indiscutable dans la collecte des données, il en est de même pour son entourage pendant le parcours de soin. L’écosystème de la santé se caractérise en effet par différentes parties prenantes interdépendantes qui, ensemble, contribuent à la proposition de valeur. Le patient émancipé, mieux informé et impliqué, vient d’ailleurs modifier la nature des relations entre patients et communautés de patients, soignants, aidants. Dans ce contexte, la participation et la collaboration de toutes les parties prenantes est nécessaire pour une approche collective de la santé et des données associées. Afin de cerner les problématiques les plus saillantes sur lesquelles il est nécessaire d’agir, il est donc indispensable de considérer notamment : les patients, les associations de patients, les agents de collectivités locales (pour comprendre ce qui est ou peut être mis en place) et les aidants (pour comprendre les facteurs liés à la vie personnelle et familiale). Cette collaboration co-créatrice de valeur croise les regards et apporte des perspectives complémentaires sur le sujet étudié, ce qui permet d’en cerner les différentes facettes grâce notamment au partage de connaissances et de compétences.
Divers types de données pour diverses contributions du patient
Si le patient est plus engagé et responsable dans son parcours de soin, et plus globalement dans la collecte des données, de quels types de données s’agit-il et sous quelles formes cette collecte d’informations peut-elle se faire pour véritablement créer de la valeur ?
Lorsque le patient partage ses expériences de soin, les données collectées constituent une richesse d’informations qui aide à mieux connaitre et mieux comprendre le patient, et notamment ses besoins, ses attentes, ses craintes, ses freins. Ces informations mériteraient d’être collectées non seulement pendant le parcours de soin, mais également avant, lors de la prévention, et après, lors de l’étape de reconstruction et de réhabilitation dans la société. En outre, le patient émancipé est détenteur d’un savoir de par son expérience avant, pendant et après le parcours de soin. Avant l’expérience de soin, chaque patient dispose de connaissances plus ou moins poussées en matière de santé (sur les maladies, les traitements, l’expérience de la douleur, etc.) et des ressources (personnelle, sociale, financière, etc.) pour l’aider à affronter les difficultés. Pendant l’expérience de soin, le savoir se développe grâce à diverses sources d’informations (autres patients, entourage, internet, bouche-à-oreille) qu’il va chercher à confronter. Si les connaissances du patient plus engagé ne peuvent être présentées comme un nouveau savoir, elles viennent cependant compléter et enrichir les données dont disposent déjà les praticiens. Cela peut être par exemple en partageant des informations sur l’expérience de la maladie, l’expérience de la douleur, les effets secondaires des traitements, leur façon d’interpréter les événements, ou même en proposant des idées quant à la façon d’améliorer le service. Le patient peut également intervenir dans l’amélioration des interactions entre patients, aidants et soignants, et la façon de communiquer pour optimiser l’interaction, à la fois dans le fond et dans la forme. Les praticiens peuvent alors s’inspirer de ces données pour adapter leur approche. À travers ces partages d’expériences et d’idées, le patient enrichit ainsi la prestation de service et contribue à créer de la valeur.
Si le savoir du patient est indiscutable, il reste cependant difficile à mettre en évidence. Tout d’abord, parce que le patient n’a pas réellement conscience des connaissances qu’il possède et de son rôle dans la collecte des données. De plus, se pose la question de la formalisation de la collecte des informations. Elle peut en effet se faire de manière très informelle, lors des consultations et des diverses interactions entre patients et praticiens, pour ensuite être restituée auprès de l’équipe soignante. Elle peut également se faire sous une forme plus formelle, lors de réunions dédiées organisées par l’établissement de santé pendant lesquelles les patients sont amenés à partager leur expérience et à suggérer de nouvelles idées. Mais là encore, cela pose la question de la volonté du patient à partager ces informations, ainsi que des compétences requises, notamment en termes de communication, pour être capable d’extérioriser et de transmettre ses idées.
En venant modifier la nature des relations entre patients et soignants, le rôle actif du patient dans la collecte des données comporte ainsi certaines limites. Le patient peut-il et doit-il tout partager ? Jusqu’où la collecte de données peut-elle aller sans être intrusive ? Comment préserver l’intégrité du patient ? Une participation active du patient dans la proposition de services peut en effet remettre en cause la posture du patient et celle du soignant venant déséquilibrer la relation entre les deux parties prenantes. Elle peut également venir remettre en cause les pratiques au sein même de l’organisation, qui doit alors être ouverte à la remise en question et aux évolutions. D’une manière générale, la participation active du patient implique fondamentalement d’adopter des comportements éthiques afin de protéger les participants et de développer une relation de confiance avec eux, en toute transparence, tout au long du processus.