Bonheur au travail, Flex office, Entreprise libérée… les organisations sont fréquemment bousculées par de nouvelles tendances de management qui promettent monts et merveilles ! Il s’agit le plus souvent d’une nouvelle logique de gestion, élaborée par de brillants universitaires, et dont nombre d’experts vantent les mérites à grands coups de success stories. Le discours ambiant met généralement l’accent sur les performances excessives de cette nouvelle tendance et le risque de décrochage pour les entreprises qui ne prendraient pas le train en marche. Pas facile dans de telles circonstances de résister aux sirènes de la mode…
La mode est pourtant un phénomène par essence éphémère. Et au même titre que la phase d’ascension se voit auréolée d’analyses dithyrambiques, les premiers signes d’inefficacité, loin des attentes et promesses, déclenchent une violente dynamique de déclin qui se traduit par un concert de critiques unanimes. Résultat, entre-temps, moult entreprises éblouies par le récit mirifique, ont adopté de façon précipitée et souvent inadéquate de nouvelles pratiques susceptibles de créer des pathologies organisationnelles. Le préjudice est relativement mineur lorsqu’il s’agit d’une mode dite "superficielle" qui touche les éléments périphériques du modèle économique et implique peu de changements. Mettre en place le "co-walking *" puis s’apercevoir que cela ne produit pas les effets escomptés, n’est pas un problème. Le changement de cap est ici indolore. En revanche, succomber à une mode "structurelle" visant les actifs stratégiques de l’entreprise et impliquant une transformation de fond, peut se révéler plus compliqué.
La transformation digitale est certainement la problématique en vogue qui génère le plus de modes "structurelles", notamment dans le domaine du marketing. Parmi elles, les agents conversationnels ont particulièrement le vent en poupe. Un robot capable de gérer simultanément n conversations vocales ou textuelles, il faut reconnaitre que la proposition est alléchante. Qu’il s’agisse d’une requête formulée un 1er mai ou un 24 décembre à minuit, l’utilisateur est renseigné dans la foulée, et l’entreprise draine dans l’intervalle un volume significatif de datas qualifiées (insights, réclamations, etc.) qui garantissent un perfectionnement continu de l’expérience client. On aboutit en conséquence à un dispositif multimodal qui vitalise l’ensemble du continuum marketing, de l’innovation à l’après-vente.
L’ennui est qu’un tel dispositif, bien qu’il soit susceptible de reposer sur des algorithmes sophistiqués augmentés par l’IA, n’en demeure pas moins binaire et incapable de comprendre les intentions et les émotions de ses interlocuteurs. Mais la puissance de la mode, et ses excès façon "si t’as pas de chatbot, t’as raté ta vie", entraine des dynamiques d’adoption massives qui n’auraient sans doute pas eu lieu à froid. Résultat, nombre d’entreprises reconfigurent leurs processus, mettent l’humain de côté, remplacent leur ligne téléphonique par un programme informatique, et produisent une irritation notable chez leurs clients. Imaginer atteindre le nouveau standard de la relation client en remplaçant l’humain par un programme sommaire qui finit le plus souvent par répondre "je ne comprends pas", est malheureusement courant dans cette phase d’adoption massive des chatbots. L’enjeu est pourtant loin d’être anodin quand on sait le coût d’acquisition d’un nouveau client et la difficulté de le conserver. La destruction de valeur est ici non négligeable.
Les robots n’ont pas (encore ?) la possibilité de se substituer totalement à l’humain. En revanche, ils peuvent parfaitement transformer une FAQ en boite de dialogue conviviale. Il importe à cet égard de définir clairement le territoire de problématiques qui supporte un traitement automatique puis d’établir la frontière, autrement dit, le seuil à partir duquel l’humain doit reprendre le dialogue établi avec la machine.
Il n’existe pas de problématiques identiques car toutes les entreprises, y compris les plus performantes, sont uniques. Et il n’existe pas de solution miracle. Voilà pourquoi un marketeur devrait toujours se poser au moins cinq questions avant une éventuelle adoption : Est-ce réellement nécessaire ? L’efficacité du dispositif est-elle observable ? Quelles sont les incidences opérationnelles et stratégiques d’un éventuel déploiement ? L’expérience client en est-elle finalement renforcée ? Quelles autres options pourraient être envisagées ?
Les modes en management ont au moins un mérite : elles soulèvent des problématiques stratégiques. L’expérience client, la disponibilité et la fiabilité des réponses apportées aux utilisateurs, constituent de fait des enjeux fondamentaux impliquant un perfectionnement constant de la part de l’organisation. Les solutions fournies en kit souffrent cependant d’une rigidité et d’un simplisme excessifs qui peuvent mener droit à une destruction de valeur, notamment lorsqu’elles sont intégrées dans une phase d’emballement peu sujette à la prise de recul. Rappelons qu’une démarche efficace répond à - au moins - deux critères fondamentaux : être personnalisée, pour garantir une adéquation maximale avec les besoins et contraintes de l’entreprise ; et être créative pour maintenir une dynamique de différenciation essentielle à la fidélisation. Le principe de la mode est quant à lui d’appliquer une solution packagée à un écosystème singulier.
Si le prêt-à-penser est sans nul doute la démarche la plus risquée, garder un œil avisé sur les nouvelles tendances – sans pour autant tomber dans un conformisme béat – constitue en revanche un remarquable levier d’enrichissement des processus internes.
* Le " co-walking ", également appelé " walking meetings " ou encore le " walk and talk ", désigne l’action d’effectuer des réunions de travail en marchant plutôt qu’en restant assis autour d’une table.