92,3% de étudiants sondés* jugent qu’il est important de corriger une fake news (ou infox). Faut-il être rassuré par un pourcentage aussi élevé et illustratif d’une attente forte, pour une information fiable, de la part de représentants de la génération Z ? Ou bien faut-il s’inquiéter, de leur prise de conscience liminaire d’un phénomène nocif pour l’ensemble de la société, et que l’on nomme de manière lapidaire « fake news » ? Autrement dit, un processus souvent intentionnel (organisé ou non) de désinformation. Mais par ailleurs, un processus que l’on prend rarement soin de définir avec précision avant de le décrier. D’où notamment, les atermoiements du monde politique lorsqu’il s’interroge hypothétiquement sur la possibilité de légiférer pour lutter contre les fake news et redonner confiance en une information fiable... Et si en réalité ces fake news n’étaient qu’une sorte d’Hydre de Lerne réinventée contre laquelle une lutte frontale pourrait créer plus de mal que de bien ? L’innovation pédagogique pourrait alors peut-être devenir une solution idoine pour former les Héraclès de demain. Une opportunité pertinente pour armer les jeunes générations par la création pédagogique d’un savoir personnel, aux bases plus saines. Certaines écoles de commerce, comme Paris School of Business, ont entrepris de participer à cette lutte en faveur d’un processus d’information plus exact et plus fiable par l’innovation pédagogique justement.
Le fléau mondial des fake news peut-il être endigué ?
Depuis que l’homme communique la désinformation, complotiste ou non, a toujours existé parce qu’elle constitue une arme potentielle puissante pour celle ou celui qui la manie avec adresse et malice éventuelle. Récemment, The New York Times s’est fait l’écho des travaux de Timothy Snyder, professeur d’histoire à Yale, qui analyse comment Adolf Hitler fut parmi les pionniers des fakes news modernes (Voir l'article), avec les tristes résultats que l’on connaît. D’aucuns pourraient même citer le pharaon Ramsès II (1286 avant notre ère), dont la propagande légendaire de la victoire (vantée comme personnelle !) à la bataille de Qadesh sur l’empire Hittite de Mouwatalli, est aujourd’hui historiquement clairement documentée, alors que le déroulement de la bataille reste incertaine. En revanche, l’évolution technologique récente de la communication, permise notamment par les réseaux sociaux numériques, a incontestablement simplifié, amplifié et universalisé la manipulation potentielle des esprits par la diffusion d’informations trompeuses, ciblées ou non. Une propagande nocive favorisée également par un très faible prix pour sa diffusion (planétaire) et involontairement aidée par un cadre légal spécifique fragile, voire inexistant. Les États semblent désemparés pour protéger leurs concitoyens. Quand au plus haut niveau ces États ne sont pas eux-mêmes, aujourd’hui, devenus adeptes et diffuseurs de ces fake news. Nous sommes assurément entrés de plain-pied dans l’ère de la post-vérité (post-truth) décrite dès 1992 par Steve Tesich dans son article pionnier paru dans The Nation (6 janvier 1992, Vol. 254, 1). Donald Trump lui a incontestablement donné une autre dimension, jusqu’alors inimaginable à ce niveau de responsabilité. Tant par l’utilisation abondante d’une communication directe via le réseau social Twitter, qu’en étant capable de produire 15.413 fake news en 1.055 jours de mandat, en tant que président des États-Unis (Voir l'article)!
Même s’il est très difficile à évaluer avec précision, le coût corollaire
pour l’ensemble de la société est d’ores et déjà très élevé. Selon un
rapport de l’Université de Baltimore (Voir
le rapport) le coût économique mondial des fakes news aurait été
de 78Mds$ en 2018. Naturellement, ce montant n’inclut pas les divers
coûts indirects (stratégiques, politiques, sociologiques,
psychologiques…) et souvent invisibles des conséquences d’une telle
désinformation pour l’ensemble de nos sociétés et la démocratie qui les
anime. Les GAFAM et autres BATX¹ jurent s’atteler au problème, des
media et des entreprises spécialisées s’emparent du sujet (en France, Le
Monde avec les Décodeurs, 20 Minutes avec Fake Off, ou encore Libération
avec Checknews…) avec une intervention humaine ou à l’aide de détecteurs
algorithmiques automatiques (comme par exemple le projet ANR
ContentCheck) de contrôle de la fiabilité de l’information. Mais les
ressorts de la manipulation sont de plus en plus sophistiqués et
subtiles, les deep fakes de plus en plus difficiles à repérer. Des
recherches menées au MIT ont récemment montré la limite, à ce jour, des
systèmes de vérification automatique de l’information (Voir
l'article). Penser par ailleurs, que le politique puisse être «
la » solution pour nous protéger et combattre les fake news relève de
l’utopie, ne serait-ce que parce que l’expression « fake news »
elle-même est devenue un mot-valise, au contenu aussi vague
qu’hétérogène, assimilant notamment bien souvent ce qui est trompeur à
ce qui est faux. En fait, de nombreuses dispositions légales existent
déjà, en France particulièrement, dans nos différents Codes, pour lutter
contre ce qui est faux. Faut-il légalement les appliquer sans
discernement et systématiquement à ce qui est trompeur ? Voire à ce qui
est simplement jugé comme tel ? Et dans ce cas, évalué et jugé par qui ?
Sur quelles bases consensuelles et respectueuses de notre précieuse et
indispensable liberté d’expression ? Dès lors, une des solutions au
problème se trouvent peut-être ailleurs. Non pas dans l’endiguement
illusoire des sources frelatées, mais dans l’aide apportée aux jeunes
générations, pour développer une meilleure capacité de discernement et
donc d’évitement.
¹ Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Baidu,
Alibaba, Tencent et Xiaomi.
L’innovation pédagogique peut-elle être la solution salvatrice ?
Le contexte est favorable. L’enseignement supérieur et plus
particulièrement les écoles de commerce, n’ont jamais autant innové d’un
point de vue pédagogique, intégrant en permanence de nouvelles approches
et de nouvelles technologies (Voir
l'article). Impossible dans ces conditions de rester aveugle et
sourd face à cette gangrène insidieuse de l’information, corruptrice
sournoise des esprits, incitatrice latente à la déviance intellectuelle
que constitue une fake news. Depuis la rentrée 2018, Paris School of
Business a mis en place un séminaire consacré à ces fake news. Il est
logiquement destiné aux élèves de première année du Programme Grande
École. L’objectif est à la fois didactique et participatif. Comprendre
ce qu’est l’information. Décrypter le contexte de la communication.
Pourquoi et comment on élabore des fake news ? Comment elles sont
diffusées et à qui ? Dans quelles mesures on peut les reconnaître et
s’en prémunir ? Comment développer le réflexe de l’identification de la
source d’information ? Pourquoi prendre l’habitude de recouper et
contrôler cette information ? Dans quelle mesure il importe d’instiller
le doute et l’envie de comprendre, au-delà de simplement savoir ? En
quoi l’esprit critique peut contribuer à une meilleure compréhension de
notre environnement social, économique et politique ? Après deux années
d’existence, une enquête* a été conduite à l’issue du séminaire. Elle
fournit d’ores et déjà des éléments d’information révélateurs. S’ils ne
sont que 26,4% à reconnaitre un manque de compétence pour percevoir la
désinformation, 90,1% des étudiants participants estiment important de
vérifier les fake news. Plus important sans doute, à l’issue du
séminaire, 69,3% des sondés déclarent que l'objectif de la formation à
l’initiation à l’appréhension de l’origine et de la circulation des
informations a été atteint. Ils sont également 90,10% à percevoir
l’importance d’identifier les fake news. Au final, avec ce séminaire,
67,1% des étudiants reconnaissent que leur façon de décrypter les
informations émanant des différents médias a positivement évolué. Il
reste donc un tiers à sensibiliser en faisant continuellement évoluer le
contenu du séminaire afin de s’approcher au mieux de l’objectif des
100%. On pourra alors donner, à chacune et chacun, la capacité de mieux
comprendre objectivement le monde qui l’entoure. On peut ainsi espérer
libérer l’inspiration de ces étudiants en leur permettant d’éliminer
tous les biais parasites, contrevenants potentiels à leur créativité. On
l’aura compris, le but d’un tel séminaire n’est donc pas de formater les
esprits version Georges Orwell, mais bien de fournir les capacités
individuelles et les compétences nouvelles pour une meilleure
compréhension de notre processus d’information. Cette démarche
pédagogique innovante visant l’inoculation contre les fake news est
corroborée par les travaux menés en 2018 par Jon Roozenbeek et Sander
van der Linden (Voir
l'article). Informés du risque de désinformation et de
manipulation, sensibilisés aux modalités de diffusion et exposés de
manière pédagogique et sécuritaire aux fakes news, les élèves peuvent
alors développer leur propre processus de mithridatisation et devenir
acteurs conscients de leur savoir sur des bases plus fiables.
Vers une société mieux informée et donc mieux protégée
Vouloir éradiquer techniquement et/ou légalement les fake news relève du fantasme démagogique. Prétendre pouvoir le faire n’est finalement qu’une fake news de plus ! En revanche, tout faire pour que la société humaine soit mieux sensibilisée, mieux informée et mieux entrainée à appréhender un processus d’information nourri d’éléments toujours plus volumineux, diffus et donc source possible d’erreur (volontaire ou non) est une cause réaliste et réalisable. Dans l’attente d’une éventuelle blockchain universelle de l’information validée, l’enseignement supérieur est idéalement le lieu où une telle démarche peut être entreprise, dès lors que l’on s’adresse à de jeunes adultes en capacité de comprendre et de créer leur propre savoir. Un programme comme celui de Paris School of Business n’a pour objectif que de fournir les moyens d’accéder à une information plus fiable. En croisant le regard, parfois contradictoire mais finalement complémentaire, d’enseignants-chercheurs, d’économistes, de sociologues et de journalistes, mais également en stimulant l’implication des élèves avec des notes de synthèse, cette démarche participe de cet effort pour être en mesure de mieux discerner le bon grain de l’ivraie, en matière d’information, afin de privilégier autant que possible les faits avérés. 83,6% des étudiants interrogés estiment que l’objectif pédagogique consistant à leur permettre de développer un esprit critique revêt une importance particulière dans l’ère digitale actuelle. C’est « Esprit critique » reste l’une des 12 compétences clés du XXIe siècle selon l’OCDE.
Il semble illusoire de penser que la véritable lutte contre les fake news puisse passer par leur disparition. En revanche, il paraît souhaitable de développer la capacité de chacune et chacun à identifier les ressorts de la manipulation, à percevoir l’éventuelle intention perfide et à rejeter consciemment la tentative d’influence malsaine à laquelle nous pouvons tous être potentiellement exposés. Des séminaires de sensibilisation et de formation à une meilleure appréhension et une meilleure gestion de l’information peuvent permettre de doter les jeunes Héraclès de la génération Z et des suivantes d’un bouclier d’airain choisi et personnalisé contre la manipulation de leur esprit et de leurs choix. L’innovation technologique a fourni un terreau fertile extraordinaire aux fake news. L’innovation pédagogique peut se révéler être une contre-mesure efficiente et efficace pour que le libre arbitre de chacune et chacun ne soit pas malicieusement altéré. Sorte d’ontologie moderne salvatrice appliquée à notre existence dans un environnement de plus en plus complexe à décrypter et comprendre. Si l’on adhère à la pensée de Philipp Torr, professeur des sciences de l’ingénieur à l’université d’Oxford, « La mise en ligne de ces contenus, pour créer des théories du complot complètement fausses et manipuler les gens à des fins politiques, est devenu un problème d'importance mondiale. C'est une menace fondamentale à la démocratie » (2019), alors, c’est un combat qui s’impose. Mais c’est aussi un combat qui impose une volonté certaine de vouloir (ou non) le mener…
* Enquête réalisée en décembre 2019 auprès de 96 étudiants de Paris School of Business.