Pour les néophytes, associer les mots « expérimentation » et « marketing » peut sembler étrange. En effet, spontanément, lorsque l’on évoque la notion « d’expérimentation », ce sont plutôt des images de laboratoires, de chercheurs en blouses blanches ou de tubes à essais qui nous viennent à l’esprit. L’expérimentation dans les sciences humaines et sociales est apparue en psychologie à la fin du 18ème siècle et s’est développée par la suite dans la plupart des autres disciplines dont le marketing. La méthode expérimentale est une méthode scientifique de collecte de données visant à mettre en évidence des relations de causes à effets afin de tester des hypothèses préalablement définies. Elle repose sur un protocole rigoureux qui consiste à faire varier, de manière contrôlée, un ensemble de paramètres (les variables indépendantes) « toutes choses égales par ailleurs », afin de mesurer leurs effets sur d’autres variables (les variables dépendantes). En raison de son caractère rigoureux, la méthodologie expérimentale est très appréciée des entreprises, notamment lorsqu’il s’agit de tester l’efficacité des actions marketing. Par exemple, une marque de lessive qui se demande quelle couleur choisir pour le packaging de son nouveau produit de manière à maximiser ses ventes pourra obtenir une réponse via l’expérimentation.
Principes et définitions
L’expérimentation a pour objectif de tester une relation de causalité entre des variables dites indépendantes (explicatives) et dépendantes (à expliquer) en manipulant ou mesurant la ou les variables explicative(s) et en mesurant la ou les variable(s) à expliquer (figure 1). Si l’on reprend le cas de la marque qui souhaite savoir quelle couleur choisir pour le packaging de son nouveau produit, la variable indépendante est la couleur du packaging alors que la variable dépendante est le nombre d’unités réellement vendues du produit ou l’intention d’achat du produit. Pour savoir si la couleur du packaging explique les ventes du produit ou son intention d’achat, il est possible de « manipuler », toutes choses égales par ailleurs, la couleur en créant deux packagings différents (par exemple, un packaging bleu et un packaging vert) et en mesurant l’impact de ces deux packagings sur les intentions d’achat du produit pour savoir si une des deux couleurs se différencie. Dans certains cas de figure, la variable indépendante peut être mesurée via un questionnaire. Les variables indépendantes mesurées sont souvent des variables individuelles ou psychologiques, par exemple, l’âge des consommateurs ou leur implication dans la catégorie de produit étudiée. L’expérimentation permet également de tester l’effet de variables dites « modératrices » et « médiatrices ». Une variable modératrice est une variable qui module le sens et/ou la force de l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante (figure 2). Par exemple, dans le cas de la marque de lessive hésitante sur la couleur du packaging de son nouveau produit, la fragrance de la lessive (fraicheur marine versus aloe vera) pourra venir modérer la relation mesurée entre la couleur du packaging et l’intention d’achat. Si les analyses des données de l’expérimentation montrent que le packaging bleu suscite de manière générale de plus fortes intentions d’achat pour la marque de lessive mais que dans le cas d’une lessive à l’odeur d’aloe vera, c’est la couleur verte qui s’avère provoquer de plus fortes intentions d’achat, la fragrance de la lessive intervient en tant que variable modératrice. Parfois, on cherchera à tester l’effet d’une variable modératrice, c’est-à-dire, d’une variable qui permet d’expliquer la relation entre une variable indépendante et une variable dépendante (figure 3). Dans l’exemple de la marque de lessive, la congruence perçue entre la couleur du packaging et la catégorie de produit « lessive» peut être un médiateur potentiel au regard de la littérature scientifique en marketing. Autrement dit, la congruence perçue entre la couleur du packaging et la catégorie de produit « lessives » est une variable médiatrice de l’effet de la couleur du packaging sur les intentions d’achat si, d’une part la couleur du packaging a un effet sur la congruence perçue entre la couleur du packaging et la catégorie de produit « lessives ». Et d’autre part, si des tests statistiques supplémentaires permettent de dire que l’effet de la couleur du packaging a un effet sur l’intention d’achat de la lessive qui est en partie (médiateur partiel) ou en intégralité (médiateur total) expliqué par la congruence perçue entre la couleur du packaging et la catégorie de produit « lessive ». Enfin, lors de la mise en place d’une expérimentation, pour tester une relation de causalité, il convient de s’assurer que toutes les autres variables « parasites » susceptibles de nuire à l’établissement d’une relation claire et non ambiguë entre une variable dépendante et une variable indépendante sont sous contrôle. Par exemple, la préférence générale pour la couleur bleu ou la couleur verte ou encore l’attitude à l’égard de la marque de lessive étudiée constituent des variables susceptibles de venir interférer dans l’examen de la relation entre la couleur du packaging et l’intention d’achat de la lessive. Différentes stratégies de contrôle existent pour neutraliser l’effet de ces variables parasites : on peut les maintenir constantes ou les répartir aléatoirement au sein des différentes modalités de la variable indépendante ou on peut les mesurer (d’autres techniques sont également disponibles).
Le choix du design expérimental
Pour mettre en place une expérimentation, il faut réfléchir à son design. Le design de l’expérimentation dépend de deux critères : 1/ le nombre de variables indépendantes manipulées et 2/ la procédure de répartition des répondants aux différentes conditions expérimentales. Lorsqu’une seule variable indépendante est manipulée, on parle de plan classique ou de design unifactoriel, quel que soit le nombre de niveaux de la variable manipulée. Celle-ci peut avoir deux, trois ou plus de trois niveaux. En revanche, lorsque deux ou plus de deux variables indépendantes sont manipulées, on parle de plan ou de design factoriel. En règle générale, il est préférable de ne pas manipuler plus de 3 variables indépendantes dans une expérimentation et de ne pas multiplier le nombre de niveaux de chaque variable car d’une part, le nombre de variables manipulées et le nombre de niveaux des variables manipulées déterminent le nombre de conditions expérimentales et donc le nombre de répondants nécessaire (le nombre de répondants nécessaire augmente avec le nombre de conditions expérimentales). D’autre part, le design a également une influence sur le type d’analyses statistiques à mettre en œuvre (plus le design est complexe, plus les analyses le sont). Un design est dit A X B X i où A, B et i représentent le nombre de niveaux de chacune des variables manipulées. Pour connaitre le nombre de conditions expérimentales, il suffit de remplacer A, B et i dans le produit A X B X i par le nombre de niveaux de chacune de ces variables. Dans le cas de la marque de lessive, on manipulera la couleur du packaging (vert ou bleu) ainsi que la fragrance de la lessive (fraicheur marine versus aloe vera), nécessitant un plan 2 X 2 soit quatre conditions expérimentales (packaging vert senteur marine, packaging vert senteur aloe vera, packaging bleu senteur marine et packaging bleu senteur aloe vera). Lorsque les répondants sont exposés à une seule condition expérimentale, on parle de plan inter-sujet. Dans l’exemple de la lessive, un plan inter-sujet consisterait à ce que chaque répondant ne voit qu’une seule version du paquet de lessive, soit le paquet vert, soit le paquet bleu. Dans certains plans expérimentaux, les répondants sont affectés à toutes les conditions expérimentales. On parle alors de plan intra-sujet. Dans un design intra-sujet, les répondants seraient exposés à la lessive avec un packaging vert pour lequel on mesurerait leur intention d’achat puis, dans un second temps, ils seraient exposés au packaging bleu et donneraient à nouveau leur intention d’achat. Le recours à un plan intra-sujet doit être mûrement réfléchi car il peut être à l’origine de biais susceptibles d’affecter les réponses des participants (notamment des effets d’ordre). Enfin, lorsque plus de deux variables sont manipulées, on peut mettre en place un plan mixte, c’est-à-dire, un plan qui combine une variable affectée en inter-sujet et une variable en intra-sujet. Ainsi, dans l’expérimentation sur la lessive, les répondants pourraient évaluer le packaging (bleu OU vert) en inter-sujet et la senteur en intra-sujet (fraicheur marine ET aloe vera). Toutefois, parce qu’ils comportent une variable indépendante répartie en intra-sujet, les plans mixtes peuvent également provoquer des effets d’ordre.
Quelques précautions
Pour que les résultats d’une expérimentation soient fiables, il est important d’interroger un nombre suffisant de répondants au sein de chaque condition expérimentale (d’usage, il convient d’avoir au minimum trente répondants ayant complété l’intégralité du questionnaire par condition expérimentale) et de faire en sorte que le nombre de répondants au sein des différentes conditions expérimentales soit à peu près équivalent (il ne faudrait pas avoir une condition avec cinquante répondants et une autre condition avec cent répondants). De plus, tout comme pour les sondages, les répondants doivent être suffisamment attentifs et ne pas répondre aux questions de manière aléatoire. A cet effet, Oppenheimer, Meyvis et Davidenko (2009) recommandent d’inclure une mesure de vérification de l’attention des participants (instructional manipulation check). Cette mesure permet d’identifier les répondants qui ne paient pas suffisamment attention aux consignes pour les retirer de l’échantillon qui sera analysé en toute légitimité afin d’augmenter le pouvoir statistique de l’expérimentation. Enfin, en règle générale, il est préférable de s’assurer que la manipulation de chacune des variables indépendantes étudiées a bien fonctionné lorsque les manipulations ne sont pas directement observables. Par exemple, si la manipulation implique un état situationnel (manipulation de l’humeur du répondant), ou une perception (manipulation de sa perception de l’expertise d’un vendeur), il est souhaitable de vérifier que ces manipulations ont bien eu l’effet escompté sur les répondants. Pour ce faire, il est possible d’inclure une mesure de vérification de la manipulation expérimentale dans l’expérimentation ou lors d’un prétest. Par exemple, si l’expérimentation implique une manipulation de l’humeur du répondant (bonne versus mauvaise humeur), il conviendra de mesurer l’humeur du répondant après la tâche visant à créer deux niveaux d’humeur différents pour s’assurer que les répondants de la condition « bonne humeur » soient de meilleure humeur que les répondants de la condition « mauvaise humeur ». En cas d’échec de la manipulation de la variable indépendante, celle-ci devra être retravaillée et les données re-collectées. Un protocole rigoureux est donc indispensable pour toute entreprise qui cherche à mettre en évidence une relation de cause à effet en ayant recours à la démarche expérimentale.