Dernier numéro de Survey Magazine

IA et démocratie sanitaire

contributeurs

Nous tenons à remercier Antonin Folliasson et Marianne Rivière pour leur contribution.

Dans un monde où l'évolution médicale s'accélère, l'intelligence artificielle (IA) et les Modèles de Langage à Grande Échelle (LLM) tels que GPT révolutionnent le traitement des maladies chroniques et la médecine personnalisée. En s'appuyant sur les données médicales pour fournir des conseils personnalisés, ces technologies transforment la prise en charge des patients, favorisent une gestion proactive de la santé et encouragent une participation active des patients dans leur traitement. L'étude OPTIMISE et l'application AITIO Lupus illustrent cette innovation, en impliquant directement les patients dans la recherche et le suivi de leur santé, marquant ainsi un virage vers une médecine plus inclusive, précise et préventive. Ces initiatives bénéficient du soutien de collaborations interdisciplinaires et d'investissements publics, soulignant le potentiel transformateur de l'IA dans le domaine de la santé.

L'AFL+, Association Française du Lupus et autres maladies auto-immunes, est à l'avant-garde de cette transformation, adoptant une approche pionnière qui marie démocratie sanitaire et innovation/recherche en coconstruction avec les centres experts. Cette organisation incarne la transition vers des soins participatifs et personnalisés, mettant en exergue l'importance de l'engagement des patients dans la gestion de leur santé. Projets comme l'étude OPTIMISE/LUPIN démontrent l'importance cruciale de l'autonomisation des patients et de la démocratie sanitaire dans l'amélioration des soins et le renforcement des relations soignants-soignés, redéfinissant la façon dont les soins médicaux sont conçus et administrés face aux défis actuels de notre système de santé.

POINTS CLEFS :

● IA dans le suivi des maladies chroniques : Utilisation de PRO pour un monitoring prédictif et à distance du lupus.
● Implémentation de l'analytique IA pour un suivi personnalisé, réduisant les hospitalisations d'urgence grâce à une détection anticipée des poussées.
● Contribution des LLM à la médecine personnalisée : Simplification et personnalisation de l'accès à l'information médicale, améliorant la compréhension patient et la communication patient-médecin.
● Les LLM facilitent une médecine adaptée, en traduisant le vocabulaire technique médical en langage accessible et en structurant l'information de manière logique.
● Étude OPTIMISE et application AITIO Lupus : Validation de l'auto-questionnaire LUPIN par l'étude OPTIMISE pour une gestion proactive du lupus, soulignant l'engagement des patients dans la recherche participative.
● L'application AITIO Lupus et l'étude OPTIMISE illustrent l'implication des patients dans le suivi de leur maladie, vers une autonomisation et une médecine démocratique.

Sur les traces des avancées pionnières de la médecine, comme l'introduction des vaccins par Edward Jenner en 1796, la révélation des rayons X par Wilhelm Röntgen en 1895, et la découverte salvatrice de la pénicilline par Alexander Fleming en 1928, l'intelligence artificielle (IA) se profile aujourd'hui comme le fer de lance d'un changement radical dans la manière d'accompagner les patients souffrant de maladies chroniques, telles que le lupus. Cette évolution s'inscrit dans la lignée des moments déterminants qui ont façonné la médecine, marquant un nouveau chapitre dans l'histoire du soin et du traitement des pathologies de longue durée. Le lupus, maladie auto-immune complexe et fluctuante, représente un défi tant pour les patients que pour les professionnels de santé, en raison de sa nature imprévisible et des phases alternées de poussée et de rémission. C’est ici que l’IA intervient en tant que pierre angulaire d’une approche novatrice dans le suivi prédictif et à distance. Grâce à l’utilisation des Patient Reported Outcomes (PRO), des questionnaires auto-administrés qui recueillent les expériences vécues et les symptômes rapportés par les patients, combinés à la capacité analytique et prédictive de l’IA, il devient possible de créer un système de veille proactive. Ce système permet non seulement d’offrir une vision globale de l’état de santé des patients en temps réel, hors des murs de l’hôpital, mais également d’anticiper les évolutions de la maladie. En intégrant ces données dans un tableau de bord dynamique, accessible par les équipes médicales, on peut prédire des staffs hospitaliers assisté par l’IA afin d'identifier les tendances et prédictions sur les risques de dégradation de l’activité de la maladie chez les patients suivis par l'hôpital. Ce suivi personnalisé à distance représente une avancée majeure. En effet, en détectant précocement les signes avant-coureurs d’une crise de lupus, il est possible d’intervenir avant que la situation ne s’aggrave. L’hôpital peut alors recontacter les patients concernés pour ajuster leur traitement ou les inviter à une consultation plus tôt que prévu, évitant ainsi des complications potentielles et réduisant le risque d’hospitalisation d’urgence. Cette approche s’inscrit dans une logique de médecine préventive et personnalisée, où chaque patient bénéficie d’un suivi adapté à l’évolution spécifique de sa maladie. Elle favorise également une meilleure allocation des ressources hospitalières, en concentrant les efforts sur les cas nécessitant une attention immédiate. De plus, en responsabilisant les patients grâce à l’auto-surveillance et en les impliquant activement dans la gestion de leur santé, cette méthode contribue à améliorer leur qualité de vie et à les rendre acteurs de leur parcours de soin. Au-delà du lupus, et couplé à des IOT, le potentiel d’application de cette technologie à d’autres maladies chroniques est très important, un domaine où l’IA et le suivi à distance interviendront dans la prise en charge des patients à un moment où l’offre de soin est plus difficilement accessible. En offrant des soins plus prédictifs, personnalisés et efficaces, les éléments de friction de la prise en charge sont réduits.

À l'image de la révolution apportée par les découvertes scientifiques telles que la structure de l'ADN par Watson et Crick en 1953, les modèles de langage de grande envergure tels que GPT incarnent aujourd'hui une évolution majeure dans le domaine de la médecine personnalisée. Par une calibration minutieuse avec des données médicales ciblées, ces technologies peuvent offrir des conseils et informations sur mesure aux patients.

L'incorporation de contenus issus de publications scientifiques, de protocoles de traitement, et de FAQ spécifiques aux patients permet à ces modèles d'élaborer des réponses non seulement pertinentes et intelligibles, mais également taillées sur mesure pour répondre aux exigences informatives uniques de chaque individu. Inspirée par le projet de séquençage du génome humain, initié en 1990 et achevé en 2003, qui a posé les bases de la médecine personnalisée en révélant la diversité génétique humaine, cette méthode s'aligne sur le principe de la médecine de précision. Elle vise à adapter le soin médical à la singularité de chaque patient, écho au travail de pionniers tels que Gregor Mendel, dont les lois de l'hérédité, établies au milieu du XIXe siècle, ont ouvert la voie à la compréhension de la transmission génétique. Ensemble, ces avancées marquent un pas de géant vers une approche plus personnalisée et efficace du traitement et de la prise en charge des maladies, promettant une ère où chaque patient bénéficie d'un plan de soin conçu spécifiquement pour ses besoins génétiques et de santé uniques.

L'intégration des Modèles de Langage à Grande Échelle (LLM), tels que GPT (Generative Pre-trained Transformer), dans le domaine de la santé, est en train de révolutionner la manière dont les patients comprennent leur maladie et interagissent avec les professionnels de santé. Ces modèles d'intelligence artificielle apportent deux contributions majeures à l'amélioration de la communication et de la gestion de la santé.

La capacité des LLM à générer des réponses structurées et personnalisées joue un rôle crucial dans la démocratisation de l'information médicale. En transformant le jargon technique et les concepts complexes en un langage simple et accessible, ces modèles abolissent les barrières linguistiques qui peuvent entraver la compréhension du patient. Cette transformation ne se limite pas uniquement à la simplification du langage ; elle structure également l'information de manière logique et cohérente, permettant aux patients de saisir facilement les nuances de leur condition, le processus de diagnostic, et les options de traitement. Ce niveau d'accessibilité et de personnalisation garantit que chaque patient, quel que soit son niveau de connaissances médicales, peut avoir une compréhension claire de sa maladie, renforçant ainsi son autonomie et sa capacité à prendre des décisions éclairées concernant sa santé.

Un impact important est à attendre de l'amélioration de la compréhension de la maladie par les patients qui a déjà une conséquence directe et profonde sur la facilitation de l'échange avec leur médecin. Avec des informations médicales rendues accessibles grâce aux LLM, les patients se trouvent mieux équipés pour poser des questions pertinentes, exprimer leurs préoccupations et discuter des options de traitement de manière plus significative. Cette implication accrue et facilitée dans leur propre prise en charge aboutit à une relation patient-médecin plus collaborative et efficace. Les médecins peuvent bénéficier d'interactions plus riches et plus productives, permettant une compréhension mutuelle et une confiance renforcée. Par conséquent, les patients deviennent des partenaires actifs dans le processus de soin, contribuant à la planification et à la mise en œuvre de leur traitement.

L'utilisation de modèles prédictifs basés sur l'intelligence artificielle (IA) pour l'analyse de données de santé représente une avancée significative dans la gestion proactive des maladies chroniques. Ces modèles intègrent une variété de données, y compris des informations cliniques, des résultats de laboratoire, et des indicateurs de santé recueillis en temps réel grâce à des dispositifs portables. Grâce à cette intégration, ils sont capables de prédire les phases d'activité ou de rémission de maladies telles que le lupus ou le diabète. Cette capacité prédictive permet aux patients de prendre des mesures préventives pour mieux gérer leur état de santé, réduire les risques de complications, et organiser leurs consultations médicales de manière plus efficace, renforçant ainsi leur autonomie dans la gestion de leur santé.

Pour améliorer encore la précision et la pertinence de ces prédictions, les modèles prédictifs peuvent être soumis à un processus de fine-tuning (ajustement fin) avec des données historiques spécifiques aux patients. Ce fine-tuning utilise des réseaux de neurones spécialisés dans l'analyse de séries temporelles, qui sont ajustés pour mieux comprendre les particularités de chaque maladie chronique et les patterns de données individuels des patients. Cette approche personnalisée augmente considérablement la précision des modèles, rendant le suivi de la maladie plus fiable et plus adapté aux besoins spécifiques de chaque patient. En conséquence, le fine-tuning transforme les modèles prédictifs en outils encore plus puissants pour la gestion quotidienne de la santé, permettant aux patients de jouer un rôle actif et informé dans la prévention et le traitement de leurs conditions.

Une application ou un service intégrant intelligemment l'autonomisation du patient par une meilleure compréhension de sa maladie et une prédiction possible de l'évolution de l'activité de cette dernière, tout en favorisant des éléments positifs émotionnels, représente la meilleure façon d'impliquer consciemment et efficacement le patient dans sa prise en charge. Cette stratégie est particulièrement pertinente dans un contexte où la France, comme de nombreux pays, fait face à une baisse de la démographie médicale et une tension croissante d'accès aux soins. En permettant aux patients de comprendre en profondeur leur condition, de suivre de près l'évolution de leur maladie grâce à des prédictions précises fournies par des modèles d'IA finement ajustés, et de se sentir émotionnellement soutenus, les patients deviennent des acteurs clés de leur propre santé.

Cela contribue non seulement à une meilleure qualité de vie pour les patients mais aussi à une utilisation plus efficiente des ressources médicales. En ces temps de contraintes sur le système de santé, optimiser l'allocation des ressources hospitalières et minimiser les consultations non nécessaires deviennent des priorités absolues. Un patient bien informé, capable de gérer de manière proactive sa santé et de communiquer efficacement avec les professionnels de santé, peut contribuer à alléger la charge sur le système de santé. Cette approche soutient une médecine préventive et personnalisée, où le traitement est adapté non seulement aux besoins médicaux immédiats mais aussi aux prévisions à long terme de l'état de santé du patient. En fin de compte, l'intégration de ces technologies avancées dans la prise en charge des patients chroniques offre une lueur d'espoir pour surmonter les défis posés par la situation actuelle du système de santé, en renforçant l'engagement des patients dans leur parcours de soins et en soutenant les professionnels de santé dans leur mission de fournir des soins de la plus haute qualité possible.

L’Association Française du Lupus et autres maladies auto-immunes (AFL+) a initié l'étude OPTIMISE en collaboration avec une société spécialisée en e-santé, visant à valider un auto-questionnaire. Ce PRO innovant appelé LUPIN, en intégrant des données paracliniques sur la durée, offrira aux patients une méthode fiable pour évaluer le risque de rechute ou de crise de lupus. Ainsi, il permet d’adopter des stratégies préventives sur mesure, contribuant à une meilleure gestion personnelle de la maladie.

C’est dans ce double objectif, prédictif et autonomisation, qu’a été créée l’application AITIO Lupus, fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre les centres de référence de Strasbourg et de la Pitié-Salpêtrière, Hometrix Health et l’AFL+. L’application comprend notamment l’auto-questionnaire LUPIN d’évaluation de l’activité de sa maladie, que le patient peut à tout moment compléter.

Passionnant dans sa conception et sa genèse, L’étude OPTIMISE/LUPIN est à la fois un modèle et un enjeu de démocratie sanitaire : son approche vise à exploiter pleinement l’expérience, la connaissance et les perspectives des patients pour enrichir la recherche et ses résultats.

En effet, dans un étude clinique traditionnelle, les patients participent généralement en suivant les protocoles établis par les chercheurs, sans avoir de rôle significatif dans la conception de l'étude, la formulation des questions de recherche, ou l'interprétation des résultats. Le rôle des patients est principalement de fournir des données par leur participation, sans engagement actif dans les processus décisionnels ou analytiques.

À l'opposé, dans un projet de recherche participatif appliquant les principes de la démocratie sanitaire, les patients et leurs représentants sont considérés comme des partenaires à part entière de la recherche. Ils sont impliqués dès les premières étapes de la conception de l'étude, contribuant non seulement par leurs données personnelles mais aussi par leurs idées, leurs expériences vécues qui constituent leur expertise de vie avec la maladie.

Il faut ici insister sur le fait que l’AFL promeut elle-même ses études, c’est-à-dire est responsable de l'initiation, de la gestion et du financement de l'étude par des fonds ministériels publics (Fonds National pour la Démocratie Sanitaire). C’est également l’AFL qui conçoit les objectifs de l'étude, s'assure qu'elle respecte toutes les réglementations légales et éthiques, de l’équité de son accès afin que toutes les personnes éligibles puissent avoir la même opportunité d’y participer (indépendamment de leur littéracie numérique ou localisation géographique en incluant systématiquement les DROM et des questionnaires papier pour les personnes non-connectées), surveille la collecte des données, et analyse les résultats.

Cette participation active et inclusive des patients et de leurs représentants dans la recherche présente plusieurs avantages significatifs :

● L’amélioration de la pertinence de la recherche : Les patients peuvent aider à identifier des questions de recherche qui sont directement pertinentes pour leur vie quotidienne, augmentant ainsi l'utilité pratique des résultats de l'étude.
● L’augmentation de la qualité des données : La participation active peut conduire à une meilleure qualité des données recueillies, car les patients engagés sont souvent plus motivés à fournir des informations précises, complètes et au plus proche de leur vie réelle.
● La facilitation du recrutement et de la rétention : Les études qui impliquent activement les patients dans leur conception et leur mise en œuvre tendent à rencontrer moins de difficultés dans le recrutement et la rétention des participants.
● Une accélération de l'adoption des résultats : L'implication des patients et de leurs représentants dans l'interprétation et la diffusion des résultats peut faciliter une adoption plus rapide des découvertes par les communautés de patients et de soignants.

La mise en œuvre des recherches participatives dans le cadre de la démocratie sanitaire ne reste cependant pas sans défis. En effet, conduire de tels projets nécessite pour l’AFL d’investir non-seulement beaucoup de temps et de ressources humaines et matérielles, mais aussi de surmonter les barrières culturelles et de gérer les attentes des différentes parties prenantes.

Si de telles recherches contribuent indubitablement à produire des connaissances plus riches, plus pertinentes et plus susceptibles d'être mises en pratique pour améliorer la santé et le bien-être des populations, il s’agit maintenant d’agir pour diffuser et pérenniser ces approches, ce qui exigera un grand engagement de la part de l’ensemble des parties prenantes (ministère de la santé et de la prévention, institutions hospitalières, soignants, patients…). Les enjeux, qui sont d’améliorer la santé et le bien‐être des patients et de leurs proches ainsi que la façon dont les relations se vivent entre êtres humains, en valent cependant la peine.


Application AITIO Lupus, disponible sur les plateformes de téléchargement Apple et Android.