Survey-Magazine : Tout le monde parle d’intelligence artificielle. La
réputation de l’intelligence artificielle semble précéder la
technologie. Comment en sommes nous arrivés là ?
Romain Costes : L’imaginaire autour de l’intelligence
artificielle a des racines très anciennes : on peut penser aux automates
et créatures artificielles d’Héphaïstos ou au mythe de Pygmalion et
Galatée. A l’époque, la technologie était très loin de pouvoir réaliser
ces fantasmes. C’est toujours le cas aujourd’hui. Dans notre imaginaire
l’IA est capable de bien plus des choses que la technologie peut
réellement nous offrir, mais l’écart se réduit probablement et c’est
intéressant : nous cherchons à faire en sorte que notre réalité
s’approche de nos idéaux; de notre vision de futur. L’IA occupe aussi
plus de place dans les médias depuis la victoire de Deep Blue sur Gary
Kasparov ou plus récemment du logiciel Alphago sur Ke Jie, le n°1 du jeu
de go. Ces événements nous font croire que la technologie a surpassé
l’intelligence humaine, ouvrant ainsi la porte à bon nombre de
fantasmes. D’où l’emballement.
Il n’en reste pas moins que l’IA, ou a minima une certaine forme d’IA, est devenu incontournable avec l’avènement du Big Data, des objets connectés, du M2M, des robots et en marketing, avec la digitalisation de la relation client et la multiplication des applications. La technologie nous offre de nouvelles possibilités, que l’on cherche à exploiter au mieux, mais la difficulté reste encore à savoir comment et dans quel sens orienter les développements
Plus concrètement, à quoi s’apparente l’IA dans la tête des
consommateurs ?
C’est pour nous une question fondamentale qui doit être adressée par les
marketeurs. Pour y répondre, nous avons décidé de sortir de nos
habitudes de marketeur et de gens d’étude, en adoptant une approche
différente. Nous sommes partis de la pop culture, des livres, séries,
films, pour identifier les représentations collectives structurantes des
consommateurs autour de l’IA. Ces représentations définissent un
imaginaire collectif à partir duquel nous pouvons décrypter les attentes
des consommateurs : c’est le prisme à partir duquel ils évaluent les
services, sites, applications, chatbots, etc.
Les dimensions que nous avons identifiées se retrouvent dans nos études marketing. Nous en avons identifié 8 don la sécurité, l’anthropomorphisation, l’omniscience, la gestion des émotions, l’analyse prédictive ou encore le Machine learning. Pour prendre un exemple, nous avons pu voir que la sécurité est toujours une préoccupation reliée aux services intégrant une dose d’IA et que les consommateurs attendent des marques qu’elles les rassurent sur les données qui sont collectées : par qui, à quelles fins, comment elles sont protégées, etc. Concrètement cela veut dire que prendre la parole sur ce sujet, donner ces informations au consommateur permet d’améliorer la satisfaction et de faciliter l’adoption d’une application par exemple.
« Nous sommes partis de la pop culture, des livres, séries, films pour identifier les représentations collectives structurantes des consommateurs autour de l’IA ».
Il y a donc un lien direct entre l’IA telle que pensée, imaginée dans l’esprit des consommateurs et les recommandations à prendre en compte pour développer un produit, un service, une application ou un outil de relation client digital. A minima comprendre ces représentations collectives permet de se poser les bonnes questions. Et tout ça à partir de livres, films, séries que nous connaissons tous plus ou moins dans notre sphère privée : pensez à l’IA telle que présentée dans Iron Man (qui s’appelle Jarvis), aux peurs mises en scène dans la série Black Mirror, à l’usage des lunettes connectées dans le roman Zero de Marc Elsberg ou plus communément à Hall 9000 dans 2001 l’odyssée de l’espace. A noter qu’on parle de peurs et de dystopies, mais il y a aussi des applications positives.
La pop culture inspire certains développeurs, marketeurs et ils ont raison : l’exemple marquant qui symbolise ce lien entre pop culture et développement marketing est cette vidéo postée par Mark Zuckerberg, présentant un assistant personnel domestique qui fait tout, ou presque, dans sa maison. Il l’a nommé Jarvis en s’inspirant d’Iron Man. Le message que je veux faire passer ici est : intéressez-vous à la pop culture, analysez-la, c’est très précieux pour aider au développement de produits, services, sites, applications…
A quels défis marketing les entreprises sont-elles confrontées
?
Justement la technologie est aujourd’hui foisonnante, elle permet de
faire plein de choses différentes, mais concrètement, les marques ne
peuvent pas tout faire. Le défi majeur reste encore d’avoir une base de
savoir pour orienter les développements et choisir les bonnes
technologies, délivrant les bons bénéfices, et ce le plus tôt possible
dans le processus d’innovation. Nous testons encore de nombreux produits
ou services qui proposent des choses super sur le papier, mais pas du
tout en lien avec les attentes des consommateurs. La conséquence directe
est une perte de temps et d’énergie qui peut entraîner le découragement
des équipes, alors qu’en impliquant les consommateur dès le départ on
peut avancer plus sereinement et plus efficacement.
Pour revenir à l’IA, de nombreuses questions peuvent être tranchées en s’intéressant à la pop culture : Faut-il privilégier une interface vocale ou tactile ? Que doit faire un chatbot pour être pleinement satisfaisant ? Qu’attend-on d’une application, d’un site de relation client ? Comment faire pour répondre aux peurs des consommateurs craintifs de la technologie quant au tout digital ? Bien entendu, la pop culture ne permet pas de répondre à toutes les interrogations que l’on peut avoir au sujet de l’IA et de ses modalités d’application, mais elle permet de mieux comprendre ce vers quoi il faut tendre, de tracer un chemin. Aux marketeurs de l’emprunter.