La question de la prise en compte des processus affectifs (émotions, humeurs ou sentiments) est centrale depuis quelques années en marketing. Toutefois, la nature de ces réactions mais aussi les questions éthiques et légales autour de leur mesure rendent ce champ d'étude encore sous travaillé eu égard à l'enjeu qu'il représente.
La notion d'affect recouvre un ensemble de processus psychologiques. Elle est définie comme un ensemble d'états sentimentaux internes à valence positive ou négative, qui incluent les humeurs et les émotions. Alors que les émotions sont des phénomènes relativement intenses, de courte durée et liés à un objet particulier (stimulus), les humeurs sont des états plus durables, indépendantes d'un objet spécifique, ils se manifestent à une plus faible intensité. Il existe des émotions discrètes ou primaires comme la Joie, la Tristesse, la Peur, la Colère, le Dégoût et la Surprise et des émotions secondaires qui sont des mélanges de ces émotions primaires. Les émotions influencent de nombreux aspects des décisions et des comportements du consommateur comme la satisfaction client, la réclamation et la fidélité. Les recherches montrent notamment, que les émotions positives ont pour effet d'augmenter la satisfaction des consommateurs alors que les émotions négatives provoquent l'effet inverse. La satisfaction globale est définie comme l'évaluation d'une expérience d'achat ; ce jugement étant basé sur un niveau de performance du produit ou du service délivré ainsi que sur la qualité d'autres « outputs », tels que les émotions générées par cette expérience.
Bien que les émotions soient aujourd'hui reconnues comme des variables pivots dans l'explication des comportements du consommateur, leur nature rend leur capture difficile. D'une part parce que les méthodes de mesure les plus simples qui consistent à demander aux individus leurs ressentis sont biaisées. Et d'autre part parce que des mesures directes se font dans un contexte qui n'est pas naturel ce qui peut aussi biaiser leur mesure. Enfin parce qu'en France les études sur la mesure des émotions à fins commerciales sont encadrées.
En France, les études sur la mesure des émotions à fins commerciales sont encadrées.
L'oculométrie ou encore l'analyse par des capteurs des micro-contractions des muscles du visage (technique qui évalue l'émotion que ressent le consommateur face à un produit) sont autorisées. En revanche, selon la loi relative à la bioéthique, révisée en juillet 2011, les techniques d'imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu'à des fins non commerciales (Art.16-14 du Code civil). Ces méthodes ne vont pas sans poser de questions relatives au respect de la vie privée et des libertés (CNIL, RGPD).
Que ce soit en BtoC ou en BtoB, qu'ils soient virtuels ou physiques, les points de contact avec le client sont à l’origine de réactions affectives et générateurs d'émotions. L'expérience émotionnelle positive suscitée par les marques et leurs enseignes ou points de contact est ainsi devenue une priorité des professionnels du marketing. Au niveau du point de vente, Lichtlé et Plichon (2014) identifient six catégories d'émotions : Plénitude, Evasion, Nervosité, Plaisir, Détente et Oppression. Ces émotions sont mesurées à l'aide d'une échelle de Likert où les répondants s'auto-évaluent. Des instruments permettant de capture des mesures physiques existent aussi. Ainsi le neuromarketing utilise l'observation directe de l'activité du cerveau, mais également l'analyse du comportement facial à travers les expressions du visage et d'autres indicateurs plus ou moins directement liés au système nerveux. Cette appellation englobe différentes méthodes comme l'électroencéphalographie, l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, l'électromyographie faciale, l'activité électrodermale ou du rythme cardiaque. L'analyse par des capteurs des micro-contractions des muscles du visage est ainsi utilisée pour évaluer l'émotion que ressent le consommateur face à un produit. L'oculométrie (eye tracking) enregistre les mouvements oculaires sert à identifier par exemple ce qui attire l'œil du client dans un magasin ou sur un site internet. Walmart, le 1er distributeur au monde, travaille actuellement sur des systèmes de reconnaissance faciale pour améliorer le service pour ses clients. L'objectif est d'utiliser ses caméras de sécurité pour repérer les expressions du visage des clients afin d'estimer leur degré de satisfaction et, surtout, d'insatisfaction. Si la technologie repère des signaux d'insatisfaction sur le visage d'un client, les employés sont prévenus afin de pouvoir réagir lors du passage en caisse du client.
Dans un article qui fait le point sur la mesure des émotions, Gianelonni et Le Nagard (2015) expliquent toutefois que si l'identification des émotions par reconnaissance faciale est devenue plus accessible et peu intrusive, elle se focalise sur les émotions primaires, rarement ressenties en situation de consommation. Elle ne prend pas en compte l'ensemble du langage corporel ni le contexte dans lequel la mesure est effectuée.
L'identification des émotions par reconnaissance faciale (…) se focalise sur les émotions primaires. Elle ne prend pas en compte l'ensemble du langage corporel ni le contexte.
Ces techniques permettent par exemple de mesurer si un individu apprécie ou non une publicité dans la rue. Mais si cet individu sourit en regardant une publicité, est-ce parce qu'il aime la publicité ou bien parce qu'il est de bonne humeur ? L'enjeu de la capture des émotions est tel que la personnalisation de la communication diffusée selon la personne face à l'écran est toutefois un service proposé aux professionnels du Marketing.
Plus ou moins maitrisée, cette technologie répond à une problématique majeure du service et de l'expérience client. L'expérience visée n'est pas toujours celle qui est vécue par le client. Dans ce contexte, le personnel en contact joue un rôle particulièrement important aussi bien dans la servuction et donc la production d'émotions que dans la gestion des émotions négatives du client par exemple lors d'un incident de service. Ce management des émotions ou « travail émotionnel » qu'est celui du personnel en contact est reconnue comme étant stratégique. Le concept de travail émotionnel est encore peu développé en France.
Le concept de travail émotionnel est encore peu développé en France.
La récente traduction de la sociologue américaine Arlie Hochschild ouvre aujourd'hui de nouvelles perspectives à tous ceux qui travaillent sur les émotions et sur l'expérience client. Pour celle-ci, il se traduit par l'acte par lequel on essaye de changer l'intensité ou la qualité d'une émotion. Telle une production artistique, le travail émotionnel du personnel de vente en charge de la relation client est ainsi la clé de l'expérience client réussie. Il s'agit tout d'abord pour le personnel en contact d'être capable de déceler la nature des émotions ressenties par le client. Celles-ci peuvent être identifiées en observant le client (expression du visage, langage corporel) en l'écoutant (ton de la voix, mots utilisés) via divers indicateurs. Ensuite, si ces émotions sont à valence négative, d'atténuer ces émotions négatives et à partager avec le client ses émotions positives via un processus de contagion émotionnelle. Pour ce faire, le personnel doit avoir une posture empathique afin de mieux lire la communication verbale et non verbale de l'interlocuteur pour identifier les émotions ressenties par le client. Ensuite le travail émotionnel consiste à transformer ces émotions négatives (si elles le sont) en émotions positives à travers un processus de production d'émotions positives (ressenties et exprimées) et de contagion émotionnelle. Des recherches récentes montrent que l'authenticité du personnel en contact est essentielle dans l'interaction avec la clientèle. Une production d'émotions authentique agit de manière positive sur l'expérience client. Il s'agit donc pour ce personnel en contact tout d'abord de comprendre son rôle majeur dans l'expérience client, et ensuite d'arriver à réaliser ce travail de transformateur d'émotions. Pour les professionnels du marketing il s'agit de relier Intelligence Artificielle, qui permet d'identifier les émotions discrètes des clients, et management du personnel. Les recherches en marketing sur la qualité du service ont prouvé depuis longtemps l'importance du personnel et de ses réactions dans la satisfaction client tant recherchée. Elles posent désormais la question du management du travail émotionnel des personnels chargés de la relation client.