L’Expérience Client (de qualité) est devenue un objectif central des stratégies marketing. En dépit de cette volonté des entreprises de délivrer une expérience exceptionnelle, l’expérience vécue en point de vente ou de contact est souvent éloignée de cet objectif.
Le premier contact et les premiers moments de la rencontre vendeur-client sont décisifs. Ceux-ci sont particulièrement marqués par ces échanges, moment où les deux individus se rencontrent pour s’identifier, se connaître et se mettre à la portée l’un de l’autre pour communiquer au mieux. Cette phase repose sur des perceptions sensorielles, notamment, la vue donnant lieu à des émotions. La prise de contact est une étape qui passe essentiellement par le langage corporel et l’apprivoisement des deux parties.
Pourtant, dès les premiers moments de contact le personnel commet bien souvent des erreurs qui sont difficilement rattrapables lors de l’interaction commerciale. Une de ces erreurs concerne par exemple le fait de ne pas se rendre disponible pour un client parce que le vendeur évalue mal celui-ci.
Marie-Cécile Cervellon et al. ont récemment conduit une étude à paraitre dans le JRCS (note de la rédaction : JRCS est l’acronyme de Journal Retailing and Consumer Services) sur les stéréotypes et notamment le stéréotype dit de statut qui consiste à discriminer le client en fonction de signes extérieurs de richesse. Les stéréotypes sont généralement formés sur la base d’une personne âge, le sexe, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle ou la classe sociale. Ils servent d’économiseurs cognitifs, fournissant un accès immédiat à l’information concernant un individu. Ce phénomène d’évaluation et de catégorisation du client en fonction de son apparence provient de la nécessité, pour un vendeur, de s’adapter au client et pour ce faire d’utiliser des raccourcis cognitifs servant à prendre des décisions concernant les ventes potentielles afin de gérer plus efficacement le processus de vente. Des études indiquent une utilisation accrue des stéréotypes quand les gens sont en situation de pression temporelle, ce qui est le cas lorsqu’un vendeur ou tout personnel en contact se trouve en interaction commerciale. Les stéréotypes induisent une simplification de la réalité, un traitement de l’information limité et conduisent à des comportements axés sur le stéréotype.
Une forme de stéréotype qui peut affecter la qualité de la relation vendeur-client est le stéréotype de statut ou de classe sociale. Il correspond au fait que les individus forment leur impression et jugent une personne en fonction de ses vêtements et accessoires. Par exemple, un vendeur peut conclure qu’un client appartient à une classe supérieure parce que celui-ci porte une montre de luxe. Une fois que l’employé a affecté ce client à une classe, l’employé peut fournir un service différent. Ainsi à la minute où un client pénètre dans un magasin, le vendeur peut avoir une impression fondée sur des informations facilement accessibles telles que des signes extérieurs de statut, puis adapter son investissement en fonction de cette première impression. Bien que les impressions du client puissent être modifiées au cours de la rencontre de vente, cette première impression fournit un cadre de référence qui dirige l’interaction initiale. Ce processus de catégorisation peut conduire à des comportements discriminatoires tels que l’attente du client ou la proposition d’offres de prix inférieurs. Or nous savons que la proactivité du personnel et son adaptabilité au client a un fort impact sur la satisfaction du client.
Cervellon et al (2019) montre, à travers plusieurs enquêtes dans le secteur de l’automobile de luxe (client mystère et expérimentation) l’existence de stéréotypes de statut chez les vendeurs, conduisant à des traitements différents des clients selon leur apparence. Ainsi ils sont moins réactifs dans la prise en charge du client si celui-ci est habillé de manière décontractée et il se voit proposé des modèles de gamme de prix inférieure à celle d’un autre client habillé de manière plus sophistiquée. La vente de produits et services de luxe est très exigeante, l’expérience de service se doit d’être exceptionnelle. Ceci est particulièrement problématique dans ce secteur où de tels stéréotypes peuvent avoir des conséquences désastreuses sur le client qui s’est vu mal traité.
Les résultats des enquêtes menées sont ainsi particulièrement surprenants et mettent en lumière le manque de compréhension du rôle du vendeur dans cette expérience. Le point de vente est le théâtre où se produit l’acte de vente. Mais malgré une théâtralisation et des rituels bien pensés (comme par exemple, la remise de la voiture accompagnée d’une bouteille de champagne), si le début de la pièce et le premier contact sont mal établis parce que le vendeur émet un jugement basé sur l’apparence du client, alors tous les efforts et les stratégies marketing sont vaines. Il est donc important de rappeler aux vendeurs et tout personnel en contact avec la clientèle leur mission et revenir aux fondamentaux de l’accueil et de l’attention et ce quel que soit le client qui se présente.
Le concept d'expérience de service idiosyncrasique (ISE) englobe trois
aspects interpersonnels :
- 1) « l'effort perçu que l'employé fait
preuve pour répondre aux besoins des clients.
- 2) la capacité de
surprendre les clients dans le processus de service.
- 3) l'empathie
perçue envers les clients au cours de l'expérience » (Collier et coll.,
2018).
Les vendeurs dans le secteur du luxe, plus que dans n’importe quel autre secteur, sont les acteurs de ce service et interviennent à chaque étape d'une interaction commerciale : accueillir les clients de manière agréable et adaptée est le point de départ. Chaque contact avec une personne qui entre dans un point de vente est l’occasion de créer une relation, et le vendeur doit être conscient de son rôle en particulier dans les premiers moments de l’interaction, moment où ne doivent pas se former de stéréotypes.
Les vendeurs plus que dans n’importe quel autre secteur doivent ajuster leur apparence et leurs comportements en fonction de ce à quoi leur employeur et leurs clients s'attendent. Est-ce cette exigence qu’ils s’appliquent qui leur fait perdre de vue que le client, lui, est libre de se présenter en point de vente habillé de manière décontractée ?
Les vendeurs ambassadeurs de la marque de luxe doivent « être » la marque. Ce positionnement du vendeur pour correspondre à la marque peut se manifester de plusieurs façons : au-delà de l’expertise, l'apparence du vendeur et son comportement sont essentiels. Pour Dion et Borraz (2017), le langage et l'attitude du vendeur vis-à-vis du client est une façon de positionner la marque de luxe et de filtrer une clientèle qui ne se sent pas appartenir à la classe sociale « supérieure » de la marque représentée par le vendeur. Ainsi, le « diable devrait vendre Prada » en ayant un comportement distant et hautain. Est-ce ce qui amène les vendeurs de notre enquête à négliger les clients perçus comme n’étant pas suffisamment aisés pour s’offrir une voiture de luxe ?
D’autres recherches mettent en évidence le fait que certains clients refusent de se soumettre à cette intimidation sociale et soulignent ainsi la limite de ce positionnement hautain et le risque de perdre des clients cibles. Il serait préférable que le personnel soit amical et sympathique. Le rôle du vendeur dans le secteur du luxe est en outre plus exigeant émotionnellement. Le vendeur doit être conscient que son travail est un travail émotionnel ; par conséquent les marques de luxe devraient développer la formation sur l’échange émotionnel et l’intelligence émotionnelle. Une étude récente sur le personnel en contact démontre que les employés doivent aussi être authentiques dans leurs interactions (Lechner et Paul, 2019). Cette étude identifie également la variabilité dans les perceptions des clients de l'authenticité des émotions des employés selon le type de client et sa culture.