Popularisé par Jeff Howe en 2006 dans la revue Wired, le terme crowdsourcing (crowd = foule et sourcing = approvisionnement) est défini par Jean-Fabrice Lebraty comme étant « l’externalisation par une organisation, via un site Web, d’une activité auprès d’un grand nombre d’individus dont l’identité est le plus souvent anonyme ». Selon Howe, le crowdsourcing recouvre beaucoup d’activités différentes : il peut impliquer de la foule d’apporter son travail, sa créativité, ses idées, ses connaissances, son expérience ou bien encore son argent. Via Internet, des organisations marchandes ou non vont ainsi s’en remettre aux internautes pour qu’ils puissent les accompagner dans la résolution de problématiques qu’elles rencontrent. Citons deux exemples : en 2016, la Nasa lançait par l’intermédiaire de la plateforme HeroX « the Space Poop Challenge ». Le défi des internautes : trouver une solution à l’épineuse problématique des déjections des astronautes. Plus récemment, en avril 2020, l’UNESCO lançait une campagne intitulée #Dont go Viral afin de déployer des contenus éducatifs sur la Covid 19 auprès du continent africain. L’idée était d’inviter des designers, créateurs, artistes, entrepreneurs etc. à formuler, dans des dialectes locaux, des réponses pertinentes au manque d’informations sur la Covid 19. Tandis que le crowdsourcing trouve de nombreux champs d’application, beaucoup d’entreprises se posent la question du comment, c’est-à-dire par quel moyen mettre en œuvre le crowdsourcing.
Sophie Renault et moi-même vous proposons de partager quelques résultats issus de notre article publié dans la revue Management International à propos des outils de mise en œuvre du crowdsourcing pour innover. Plus particulièrement, nous apportons un éclairage sur les typologies de plateformes de crowdsourcing (plateformes de marque versus plateformes d’intermédiation, plateformes push versus plateforme pull, plateformes collaboratives versus plateformes compétitives). Nous mettons également en avant les principaux avantages et inconvénients des plateformes de marques versus des plateformes dites d’intermédiation.
Les différents types de plateformes
Pour mener à bien leurs activités de crowdsourcing, les entreprises ont
le choix entre plusieurs stratégies. Encore faut-il savoir s’y
retrouver. La première classification des plateformes que l’on pourrait
opérer, sans doute la plus simple, consiste à faire la distinction entre
les plateformes de marques et les plateformes d’intermédiation.
Sont considérées comme plateformes de marques celles qui émanent
directement des entreprises qui souhaitent échanger avec leurs clients
par le biais de concours d’idées, de questions ouvertes ou de forums.
Citons quelques exemples emblématiques : Lego avec Lego
Mindstorms, L’Oréal avec L’Oréal Brandstorm, Crédit
Agricole avec le CA Store ou bien encore Intel
avec Ideaconnection.
Quant aux plateformes d’intermédiation, elles peuvent être définies
comme des intermédiaires entre les marques et les
utilisateurs/clients/prospects. Elles offrent un espace en ligne souvent
ludique pour partager, échanger et discuter des idées. Par
exemple, eÿeka met en relation les marques avec des
créatifs via des concours d’idées pour designer de nouveaux packagings,
imaginer de nouvelles solutions de produits/services, etc.
Chercheurs en Sciences de Gestion, Emilie Ruiz, Sébastien Brion et Guy
Parmentier font la distinction entre deux formes de crowdsourcing pour
innover, le « crowdsourcing push » d’une part et le
« crowdsourcing pull » d’autre part.
Le crowdsourcing push consiste à pousser un problème vers
la foule qui aura à apporter des solutions, comme par exemple la
plateforme Innocentive. Dans ce cas, des récompenses
matérielles et/ou financières sont régulièrement proposées afin que les
individus disposant d’un profil de compétences spécifique (designers,
scientifiques, marketeurs, etc.) donnent le meilleur d’eux-mêmes. La
plateforme Zooppa connecte les marques avec les
profils créatifs afin de réaliser des campagnes de communication. La
marque BIC a ainsi sollicité les membres de la communauté Zooppa pour
créer de courtes vidéos afin de stimuler l’achat de son emblématique
stylo 4 couleurs. Six semaines après le lancement de la campagne, 117
propositions issues de 84 participants ont été déposées.
Le crowdsourcing pull s’appuie sur une démarche « plus libre » où les internautes soumettent des idées sur tous types de sujets, dont certains correspondent à des problématiques formulées par le crowdsourcer. La plupart du temps, les contributeurs ne bénéficient pas de récompenses matérielles ou financières pour les idées qu’ils ont pu émettre. C’est le désir de partager et d’échanger qui est au fondement de leur motivation. Le jam, puissant outil collaboratif développé par IBM, a notamment permis à Barack Obama d’engager en 2010 un dialogue autour de questions sociales pressantes. L’outil a par ailleurs été déployé par de nombreuses organisations pour traiter de problématiques liées à l’environnement, à la sécurité ou bien encore à l’innovation.
Enfin, nous pouvons également distinguer les plateformes en fonction de
leur nature compétitive ou collaborative.
Les plateformes compétitives sollicitent leurs communautés pour
répondre aux problématiques transmises par leurs clients (les
crowdsourcers) puis récompensent les contributeurs ayant trouvé
la ou les meilleures solutions. Les récompenses peuvent être de nature
matérielle, immatérielle ou financière. Par exemple, Agorize
organise des challenges sur des sujets fournis par des clients marques
qui souhaitent solliciter l’avis d’étudiants. En 2019, le challenge
#CreatingTheNew d’Adidas a permis aux équipes finalistes d’assister à un
match de l'Olympique Lyonnais et d’obtenir des cadeaux Adidas/Reebok.
Leur défi consistait à réinventer le magasin Adidas à horizon 2024.
Quant aux plateformes collaboratives, elles sollicitent
régulièrement l’avis et le vote des membres de la foule sur différentes
idées émises. Leur présence stabilisée permet la construction d’un
véritable dialogue ainsi qu’un engagement fort de leur communauté. Le
Club Makers du Club Med permet aux internautes de déposer des
témoignages/retours d’expériences et récits de vacances mais également
de co-créer et de tester des solutions développées par le Club Med et
ses clients.
Quels avantages/quels inconvénients en fonction des plateformes ?
Les plateformes de marques ou d’intermédiation présentent de nombreux
avantages mais aussi quelques faiblesses. Comment choisir la solution
qui répondra au mieux aux enjeux et exigences de l’entreprise ?
Les plateformes de marques permettent de créer un véritable dialogue
entre les différents contributeurs et la marque sur le long terme. Elles
permettent aussi de nourrir un certain capital sympathie pour la marque
qui témoigne de son intérêt envers ses clients ou collaborateurs. Par
exemple, la plateforme de Ikea propose différentes activités
de co-création sur sa plateforme et invite les contributeurs à répondre
à des questionnaires ou bien encore à poster des photos sur un problème
qu’ils rencontrent, tester des idées/des prototypes, fournir des
feedbacks… La marque précise également que certains projets ne sont pas
ouverts à tous, car ils nécessitent une expertise particulière. C’est en
particulier le cas des problématiques inhérentes aux produits pour bébés
à destination des jeunes parents.
S’agissant des plateformes d’intermédiation, les réponses fournies par
les internautes permettent de fournir des réponses rapides à une
problématique précise. Grâce aux interactions de la communauté,
l’initiateur de l’appel à contributions bénéficie de la force d’idéation
et des compétences de la foule. Enfin, à l’appui de l’expertise et des
outils digitaux des plateformes, les marques peuvent identifier de
nouveaux talents parmi les participants, autant d’opportunités pour
potentiellement les convertir en de futurs collaborateurs. Parce que la
plateforme s’adresse à une communauté d’étudiants, Agorize constitue
notamment un éventuel relai pour identifier des talents.
Les deux types de plateformes permettent d’identifier des tendances
lourdes voire des signaux faibles. Indépendamment du type de plateformes
utilisé, c’est également l’occasion pour les marques d’identifier des
sources de développements business au travers des idées proposées :
quels seront les produits ou services de demain ?
En dépit de nombreux atouts, les plateformes de marques souffrent de quelques limites. Sous couvert d’anonymat, certains internautes y expriment leur mécontentement alors même qu’elles ont pour vocation d’être des lieux d’idéation. Les marques se heurtent également à la frustration de certains internautes dont les idées ne sont pas retenues pour des raisons stratégique, budgétaires, technologiques juridiques ou bien encore sociétales.
Quant aux plateformes d’intermédiation, elles se doivent de bien comprendre l’activité et les objectifs de la marque qu’elles accompagnent. En effet, les challenges qui sont proposés à destination de cibles parfois spécifiques doivent être compréhensibles et attractifs. Une mauvaise orientation du challenge conduirait à peu de résultats exploitables par la marque et donc, la démarche de crowdsourcing s’avérerait une dépense inutile. Au-delà d’une bonne préparation au niveau du challenge, il s’agit également pour la plateforme d’intermédiation de veiller à ce que la démarche soit bien comprise par les collaborateurs en interne et que les rôles de chacun soient clarifiés. En effet, si la plateforme peut parfois gérer l’ensemble du processus, il n’en demeure pas moins que les collaborateurs doivent être sensibilisés à la démarche et accompagnés voire formés à la manière d’interpréter et d’utiliser les propositions émises par la foule. Comment extraire parmi les propositions celles qui sont sources de création de valeur ? Comment exploiter le potentiel des idées proposées ? Comment traduire les idées en solutions opérationnelles ? Autant de questions auxquelles il convient d’apporter des réponses afin d’exploiter au mieux le potentiel créatif de la foule.
Les modalités de recours au crowdsourcing sont nombreuses, avec leurs avantages et leurs limites. Mais une chose est sûre : cette démarche d’externalisation n’est pas près de se tarir au vu des potentialités créatives d’une foule infiniment renouvelable.
Pour plus de détails, nous vous invitons à consulter l’article
intitulé : « Contours et Enjeux des Stratégies de Crowdsourcing
pour Innover : Le Cas des Banques Françaises » dans
Management International (vol. 24, n° 5).
Références
HOWE, Jeff (2006). « The rise of crowdsourcing », Wired
magazine, Vol. 14, N° 6, p. 1-4.
LEBRATY, Jean-Fabrice (2007). « Vers un nouveau mode
d’externalisation : le crowdsourcing », 12ème conférence
de l’AIM, 18 et 19 juin 2007, HEC Lausanne, Suisse.
RUIZ, Émilie ; BRION, Sébastien ; PARMENTIER, Guy
(2017). « Les barrières à la mise en œuvre du crowdsourcing pour
innover », Revue Française de Gestion, Vol. 43, N° 263, p.
121-140.