A l’ère du consommateur infidèle et versatile, la recherche marketing classique peine à identifier de manière précise et fiable les besoins et les attentes, les goûts et les préférences. C’est dans ce contexte qu’une méthode censée aller au-delà du déclaratif pour identifier les vraies aspirations et sentiments attire l’attention et suscite un intérêt grandissant chez les marketeurs. Il s’agit du neuromarketing, discipline qui se place à la croisée des chemins entre le marketing et les neurosciences cognitives, et dont la promesse serait d’approcher de manière plus scientifique le cerveau du consommateur afin de mieux l’appréhender.
Une technique récente
L’intérêt pour les neurosciences cognitives est assez récent
puisqu’il remonte au début des années 2000 et fait suite à la
publication de recherches réalisées sur l’impact des stimuli sur
notre cerveau et qui démontraient leur impact décisionnel. On considère
depuis que ces réactions, observables par IRMf (Imagerie par Résonance
Magnétique fonctionnelle) et électro-encéphalographie, sont susceptibles
d’influencer la prise de décision lors des actes d’achat. La
discipline qui découle de ces observations et que l’on a baptisé
depuis neuromarketing vise à décrypter des processus cérébraux humains
complexes soumis à des stimuli qui peuvent être des marques, des
produits ou des publicités. L’enjeu est de permettre aux marques
d’apprécier les mécanismes neurologiques liés aux aptitudes
cognitives que sont la préférence, l’attention, la mémorisation et
les émotions pour évaluer la performance de leurs outils commerciaux
comme la publicité, le packaging, le merchandising, l’image de
marque (.) mais aussi effectuer des tests de comparaison avec la
concurrence.
Les résultats des expériences neuroscientifiques mettent en évidence des
différences flagrantes entre ce que dit le consommateur d’une part
et ce que son activité cérébrale laisse voir d’autre part. Cela ne
milite pas en faveur des enquêtes traditionnelles qui, au dire de ces
observations, peuvent s’avérer trompeuses et induire les marques
sur des mauvais choix. C’est peut être pour cela que 80 à 90% des
produits lancés sur le marché échouent dès la première année suivant
leur lancement. Certains exemples concernant des entreprises de premier
plan ont d’ailleurs marqué les esprits comme l’échec du New
Coke de Coca Cola ou le tollé généré par le changement de logo de Gap.
La prise de décision du consommateur ne peut donc pas être uniquement
abordée via le seul raisonnement conscient. Si l’on veut vraiment
comprendre des consommateurs qui évoluent constamment et de plus en plus
vite, le développement du neuromarketing semble offrir des perspectives
prometteuses.
Comment décrypter le cerveau
Le traitement de toute information provenant de l’environnement se
produit d’abord dans les régions cérébrales dédiées aux émotions
(autrement dit ce qui forme la partie du cerveau dite primitive ou
reptilienne), avant de l’être au niveau des fonctions cognitives
supérieures. A ce stade on s’aperçoit que le cerveau primitif
prend des décisions alors que la conscience tente de leurs trouver une
explication. Le libre arbitre ne serait alors qu’une illusion
rétroactive. Cette hypothèse n’est pas encore démontrée.
Néanmoins, les circuits cérébraux de plaisirrécompense ou de
peur-punition sont actionnés très tôt dans l’acte « réfléchi » de
décision d’achat. L’émotion est donc la véritable cible des
marques. Le Graal du neuromarketing est de trouver l’émotion (la
tristesse, la culpabilité, la joie, .) qui va actionner le « Bouton
d’achat ». Mais pour les neuromarketeurs, les émotions ne valent
rien si elles ne sont pas associées à une bonne mémorisation.
Ainsi, chez Neurofocus, la société américaine leader sur ce domaine, le
procédé de mesure cérébral se distingue par une étude spécifique. Les
chercheurs calculent 3 paramètres sur les millions de données
enregistrées correspondant à l’activité cérébrale (leurs capteurs
enregistrent 120 000 données par secondes). Le calcul de ces paramètres
est représenté par des courbes :
- 1ère courbe : l’attention. Elle est la cible la plus facile à
atteindre.
- 2ème courbe : l’émotion. Cette courbe doit monter et
descendre durant l’exposition du message publicitaire. En effet,
l’émotion ne doit pas être trop forte pour qu’il n’y
est pas un rejet du consommateur.
- 3ème courbe : La mémoire. Elle est la cible la plus difficile à
atteindre. Le pic de mémoire à la fin d’un spot de publicité est
excellent car c’est le moment où est généralement exposée la
marque.
Des mesures ont été prises pour prouver un phénomène qui paraît logique, mais que les annonceurs ne respectent généralement pas : le contexte. Nous sommes exposés à deux millions de publicités tout au long de notre vie. Soit 8 heures, 7j/7 pendant 6 ans. Et plus de la moitié d’entre elles sont hors contexte. Les paramètres se retrouvent décuplés lorsque le consommateur perçoit le message dans un contexte favorable. Pour faire gros, diffuser un spot publicitaire pour un steak après 30 millions d’amis n’est pas conseillé.
Des découvertes et des incertitudes
L’étude neuroscientifique a permis de comprendre un phénomène
courant. L’attachement à une marque est semblable à la dévotion à
une religion, il fait appel au sentiment de sécurité. La sensation
d’appartenir à une communauté fonctionne dans notre cerveau de la
même manière pour une marque que pour une religion. Apple est cool,
innovateur et stylé, mais ce que le consommateur sait, c’est que
des millions de personnes à travers le monde utilisent ses produits. La
marque l’a bien compris et développe les fonctionnalités de ses
produits (iTunes, iMessages…) pour former une véritable
iCommunauté.
Ce sentiment de sécurité a été observé dans de nombreux autres cas.
Notamment pour les campagnes de prévention anti-tabac. La stagnation du
nombre des fumeurs malgré les efforts des services sanitaires a mis en
évidence que les messages du type « Fumer tue » ne fonctionnait pas. Les
expériences en neurosciences ont vérifié cette hypothèse. Le fumeur
exposé à une publicité voyant quelqu’un fumer ressentait un
sentiment de bien-être. Quand plus tard, il la revoyait, son cerveau
finissait par associé le message de prévention au sentiment de
bien-être…
Autre révélation, a priori surprenante vu l’usage abusif qui en
est fait : le sexe ne paie pas. L’activité cérébrale a démontré
que l’humain est tellement obsédé par le sexe, que la vision de
mises en scène se rapportant au sexe dans un spot publicitaire, occulte
complètement la mémorisation de la marque. De plus, le sexe est
aujourd’hui, tellement abondant dans les medias et sur Internet
qu’il n’évoque plus de mystères et perd encore plus son
impact.
Le neuromarketing peut aussi être utilisé pour mieux respecter le
cerveau du consommateur. Dans le contexte de la publicité infantile, on
remarque que les enfants n’ont pas la structure cérébrale
nécessaire pour distinguer une publicité télévisée du monde réel.
Analyser leurs réactions devant certaines images pourrait donc
contribuer à la diffusion de spots plus sains.
Les différentes techniques neuroscientifiques utilisées à l’heure
actuelle sont néanmoins susceptibles d’être améliorées. Les
difficultés de précision temporelle et spatiale s’expliquent par
la complexité de l’expérimentation neurologique. Et les coûts
engendrés sont importants. En France notamment, avec des moyens limités
(un scanner IRM vaut quelques millions d’euros !) la priorité des
recherches revient aux usages médicaux. Néanmoins, le monde voit des
entreprises qui emploient chercheurs scientifiques et marketing de haut
niveau, proposer déjà des services de grande qualité et faisant preuve
de beaucoup d’innovation.
Les grandes démarches de mesure en neuromarketing
Le test électroencéphalographique
Le test électroencéphalographique (EEG) est la mesure directe des ondes
cérébrales. Une multitude de capteurs mesurent directement les réponses
de l’ensemble du cerveau aux stimuli plusieurs milliers de fois
par seconde. L’avantage de cette méthode est la précision
temporelle qui permet de suivre l’activation cérébrale en temps
réel. Mais la technique présente de gros défauts en situation réelle
comme dans un supermarché par exemple. L’outil est très sensible
aux mouvements environnants, aux néons, aux ondes électromagnétiques ou
tout simplement aux mouvements de la tête. Concrètement, il
n’enregistre que l’activité cérébrale de surface alors que
la prise de décision sollicite aussi des parties du cerveau plus
profondes.
L’avantage de cette méthode est la précision temporelle qui permet
de suivre l’activation cérébrale en temps réel. Sa faible
précision spatiale ainsi que son impossibilité d’enregistrer des
régions profondes du cerveau la limite dans son utilisation.
L’oculométrie
L’oculométrie aussi appelée « Eye Tracking » est l’observation et la mesure des mouvements oculaires. Elle identifie quels composants de l’image visuelle entraînent des réactions neurologiques spécifiques. Cette technique, l’une des plus fréquentes dans la recherche marketing, est surtout efficace pour les publicités et le packaging. En effet, l’équipement (des lunettes évoluées) est abordable pour la majorité des sociétés d’études.
L’imagerie par résonance magnétique (IRMf)
L’imagerie par résonance magnétique (IRMf) mesure la consommation d’oxygène dans les tissus du cerveau en fonction des actions du sujet. Elle permet de distinguer les zones du cerveau susceptibles d’être sollicitées avec une très grande précision anatomique (de l’ordre du millimètre). Elle est donc la plus efficace pour rendre compte de l’image d’une marque ou d’un produit. Ses limites se situent au niveau de la précision temporelle et de l’impossibilité d’effectuer des mesures dans les lieux d’achat. Le gros inconvénient de l’IRMf est, comme cité précédemment, l’équipement nécessaire qui est non seulement imposant mais aussi très coûteux.
L’activité électrodermale
L’activité électrodermale est une activité électrique biologique qui peut être traduite par la mesure de paramètres biométriques (rythme cardiaque, respiration, mouvement corporel, tension artérielle, etc.). Cette méthode de recherche est dite secondaire car les phénomènes de réaction sont bien plus lents. La réflexion dispose donc d’un laps de temps plus long et peut fausser l’engagement émotionnel.
Le neuromarketing, un problème d’éthique
Le neuromarketing ne dispose pas à l’heure actuelle d’une
bonne image auprès de l’opinion publique. La connotation avec
manipulation est bien trop présente et pousse les firmes comme Coca-Cola
ou BrightHouse, qui a véritablement inventé le concept, à dissimuler
leur pratique du neuromarketing. Se posent donc des questions
d’éthique. Si la compréhension du fonctionnement du cerveau
contribue à la possibilité de mieux respecter et répondre aux besoins
essentiels des êtres humains, les applications mercantiles des
neurosciences ne sont-elles pas nuisibles aux consommateurs susceptibles
de se faire manipuler ?
Drouet et Roullet, chercheurs en neurosciences cognitives qui ont publié
« Neuromarketing : Le marketing revisité par les neurosciences du
consommateur » (octobre 2010) estiment que « le fait d’observer
(au niveau macroscopique) n’a jamais influé ou modifié le sujet
d’observation. Affirmer que la découverte de certaines activations
cérébrales sous certains stimuli commerciaux est le premier pas vers une
manipulation pure et simple, relève de l’affabulation ou de
l’ignorance. »
Ce qui est avant tout mis en doute, c’est la rationalité des
besoins qui peuvent découlés de ce procédé qui ne considère plus la
capacité de jugement mais la réceptivité à un stimulus.
Ceci étant, les dérapages qui peuvent exister comme dans tout
développement technologique, doivent être soumis à des mesures
préventives. Des règles éthiques internationales et la transparence des
entreprises sur l’utilisation de ces techniques s’avèrent
indispensables.
Une pratique réservée aux riches
Avis aux petites et moyennes structures, pour faire du neuromarketing, il
faut du temps et de l’argent : six à douze mois pour mener une
étude sérieuse et beaucoup de zéros sur le chèque. Le coût du test par
personne est de l’ordre du millier d’euros. Et si
l’IRM est un procédé qui vous attire, sachez que s’équiper
revient à plusieurs millions d’euros puisque, outre la machine,
l’équipement nécessite un bâtiment isolé et des scientifiques
spécialisés. Il faut d’ailleurs savoir que la location à des fins
marketing est inconcevable en France. C’est peut-être en raison de
ces difficultés de mise-en-oeuvre et des coûts associés que le
neuromarketing ne serait utilisé que par une centaine
d’entreprises dans le monde à l’heure actuelle.
Le neuromarketing porte pourtant les germes d’une véritable
révolution. C’est la toute première fois où le marketing est
associé à la science pour accroître les performances dans la
compréhension du consommateur. L’analyse des comportements et des
motivations entre dans une nouvelle ère et l’avenir de cette
nouvelle discipline est pour l’instant difficile à imaginer. Pour
l’instant, les usages concrets restent perfectibles, notamment
dans l’interprétation des réactions cérébrales aux stimuli et leur
rapport avec l’acte de décision d’achat. Mais ce qui est
sûr, c’est que de grands progrès seront réalisés d’ici
quelques années qui permettront d’acroître la fiabilité des
résultats.
Il faut en tout cas anticiper les dangers de dérive et éviter le secret
qui entoure les neurosciences et qui donnent l’impression que des
scientifiques manipulent dans l’ombre le cerveau humain. Pour que
le neuromarketing se développe au grand jour et évite les tentations de
l’eugénisme cérébral, il convient d’établir des
réglementations spécifiques qui encadrent les pratiques potentiellement
dangereuses. Rien n’existe aujourd’hui dans ce domaine. Les
annonceurs et marketeurs ont en tout cas un outil au potentiel
extraordinaire, même si le cerveau humain, on peut en être sûrs, ne sera
pas totalement décrypté de sitôt.
Cas pratiques
La mesure du branding
C’est un fait, la boisson Coca-Cola est mondialement plus appréciée
par les consommateurs de sodas que son concurrent principal, Pepsi-Cola.
Si des questions de goût sont mises en avant, une étude neurologique a
démontré que l’image de la marque d’Atlanta en était pour
beaucoup. En 2004, une étude a eu une résonance médiatique planétaire.
Elle s’est basée sur deux tests : le premier consistait à un
blind-test gustatif avec d’un côté du Coca Cola et de
l’autre du Pepsi. Le résultat a montré que les cobayes ne
faisaient pas de différence particulière entre les deux échantillons. Le
deuxième test se déroulait de la même manière, excepter le fait que les
cobayes étaient renseignés sur la marque d’un des deux
échantillons. Là, les cobayes ont montré une préférence notable quand
ils se savaient boire du Coca-Cola*. Les deux types de réponses
constituant des comportements objectifs au sens des réflexes
neurologiques, c’est le branding Coca Cola (puissance de la
marque, cohérence de la communication, habitudes de consommation…)
qui est mis en évidence dans l’influence sur les choix et la
préférence des consommateurs.
*Dans le premier cas, c’est essentiellement le putamen qui était
actif (appréciation des valeurs gustatives et déclenchement du plaisir).
Dans le second cas, en plus du cortex préfrontal ventromédian,
l’hippocampe, le cortex préfrontal dorsolatéral, le tronc central
qui font appel aux émotions et à la mémoire étaient actifs, tandis que
le putamen était nettement en retrait.
La découverte de l’hypnose vocale
Des chercheurs américains en neuromarketing ont découvert un timbre de voix qui décuplerait l’efficacité des messages audio utilisés dans les spots radio et télévisés. Ils ont isolé une gamme de fréquence androgyne qui aurait un pouvoir hypnotique ultra puissant. Des tests ont mesuré des taux de mémorisation hors normes et des réactions spectaculaires de consommateurs. Les entreprises qui ont adopté ce concept ont observé un trafic sur leur point de vente en forte progression, des ratios de transformations améliorés et des paniers moyens en hausse significative.
La mesure de la peur
Une étude menée pendant les élections américaines a permis de montrer que la réaction des démocrates aux images du 11 septembre est plus élevée dans l’amygdale, une zone du cerveau associée à la peur, que celle des républicains, alors que lors d’un simple sondage cette différence n’apparaissait pas. »
Intégrer les connaissances en neurosciences cognitives pour pratiquer un marketing durable ?
Nous vous proposons l’interview d’un spécialiste du
neuromarketing, Jean-Louis Prata, pour aborder la question des
neurosciences cognitives comme vecteur d’un marketing
durable.
Jean -Louis Prata, Directeur R&D de l’Institut de Médecine
Environnementale et de l’Institut de Neurocognitivisme nous
explique pourquoi et comment intégrer les connaissances en neurosciences
cognitives pour pratiquer un marketing durable.