Les « focus groups » ont d’abord été utilisés comme méthode de
recherche qualitative en sociologie et en psychologie sociale en
complément aux méthodes quantitatives.
Puis, cette méthode a été utilisée dans les études marketing et en
conception de produits. Le marketing ayant été impliqué dans la
spécification de logiciels interactifs et du Web, il était logique
que l’on mette ici aussi cette technique à profit. Quels sont
les avantages et inconvénients de cette approche ?
Cet article aborde plus particulièrement les aspects méthodologiques du « focus group », appliqués à la conception de sites web.
Les « focus groups » sont des groupes de discussion animés par des
modérateurs/animateurs (facilitators) qui ont pour but d’obtenir
des informations relatives aux opinions et attitudes des gens face à des
idées ou des produits donnés, ou encore d’expliciter les attentes
des gens face à de nouveaux produits et d’obtenir des idées sur
leurs usages éventuels tout comme sur leurs contextes
d’utilisation.
Les « focus groups » se déroulent généralement dans des salles équipées
d’une table autour de laquelle les participants et le(s)
animateur(s) peuvent s’asseoir. Les discussions sont la plupart du
temps enregistrées, parfois filmées. Des équipements audiovisuels tels
que rétroprojecteurs ou vidéo-projecteurs peuvent aussi être utilisés
pour présenter des maquettes des produits sur lesquels on souhaite
obtenir des commentaires. Parfois, des glaces sans tain permettent à des
observateurs (concepteurs et développeurs) situés dans une salle
adjacente de suivre et éventuellement de noter les commentaires et
comportements des participants sans être vus.
L’animateur des « focus groups » a pour objectif
d’encourager la discussion et d’inciter toutes les personnes
à participer. Une des caractéristiques du « focus groups » est
d’amener les participants à réagir les uns aux autres.
Le nombre de participants varie généralement de 6 à 12 par groupe.
Ceux-ci sont censés être représentatifs des futurs utilisateurs du
produit (logiciel, site Web, etc.). Il est d’usage de mener
plusieurs groupes de discussion de façon à éviter les biais pouvant
résulter des caractéristiques des participants. Il est difficile de
déterminer a priori le nombre de groupes. La règle voudrait que des
groupes soient constitués jusqu’à ce que les discussions
n’apportent rien de nouveau par rapport aux groupes précédents.
Les études publiées comportent de 3 à 10 groupes, ce qui permet de
totaliser entre 30 et une centaine de participants. Les séances peuvent
durer 2 heures.
Quelques précisions
Leurs intérêts…
L’intérêt des « focus groups », comparativement aux entretiens individuels est que les commentaires d’un participant peuvent susciter des commentaires chez d’autres participants. Des idées peuvent ainsi être développées et approfondies beaucoup plus qu’au cours d’entretiens individuels. Les discussions s’avèrent généralement très fructueuses. Les équipes de conception et de développement bénéficient généralement des idées générées lors de ces discussions.
Quand les mener…
Dans le cadre de la conception des logiciels interactifs et de services Web, les « focus groups » peuvent être menés très tôt dans le processus de conception et en aval, une fois que le logiciel ou le site est développé. Lorsque qu’ils sont menés très tôt, ils peuvent avoir un impact direct sur les choix de conception.
Difficultés de mise en oeuvre et pièges
La première difficulté inhérente à la mise en oeuvre des « focus groups »
est la sélection des participants. En effet, une fois les
caractéristiques des participants définies, reste à trouver des
personnes répondant aux critères. Il s’agit donc bien là de
trouver les bonnes personnes. Une fois trouvées, il faut ensuite les
convaincre de participer aux groupes de discussion. On se heurte alors
au manque de disponibilité des gens et à leur éloignement des lieux de
discussion. C’est pourquoi dans bien des cas les groupes de
discussion se tiennent dans diverses régions, dans diverses
villes.
Une autre difficulté des « focus groups » est la dérive consensuelle. En
effet, selon la composition des groupes les individus peuvent avoir
tendance à adopter le point de vue d’un « leader ». Tout
l’intérêt des « focus groups » est alors perdu. Seuls les
animateurs expérimentés peuvent éviter cet écueil.
De plus, une fois les discussions terminées, le traitement des
informations peut être long et coûteux. Il faut généralement ré-écouter
les enregistrements audio réalisés lors des séances de discussion,
parfois re-transcrire les commentaires sur papier, les coder et les
analyser, etc. Toutes ces étapes sont longues et nécessitent des
compétences particulières.
Outre ces aspects techniques, d’autres aspects plus fondamentaux doivent être considérés et plus particulièrement lorsque les « focus groups » sont utilisés dans le but d’évaluer les produits. Rappelons que les « focus groups » n’ont pas été prévus à l’origine pour évaluer la qualité ergonomique des produits. Sur ce point ils présentent des limites importantes. En effet, un des aspects importants de la qualité ergonomique des logiciels est de pouvoir être utilisé efficacement et sans erreurs. La seule façon de s’en assurer est de procéder à des tests utilisateurs, c’est-à-dire de placer des utilisateurs potentiels (un à la fois) devant le logiciel ou le site Web à évaluer, de leur demander de réaliser des tâches spécifiques représentatives des tâches pour lesquelles le système a été développé et de recueillir des indices de performance (temps de réalisation des tâches, nombre d’erreurs, etc.) et des données relatives à leurs comportements. Lorsque des groupes sont invités à commenter l’usage d’un système, rares sont les occasions où tous les participants peuvent interagir directement avec celui-ci. Les tests utilisateurs fournissent donc des données quantitatives, les « focus groups » des données qualitatives. Ces derniers ne peuvent vous fournir des informations sur ce que font ou feront réellement les utilisateurs. De plus, il y a une différence importante entre ce que peuvent vouloir des utilisateurs et ce dont ils ont réellement besoin. En d’autres termes, les « focus groups » ne remplaceront jamais les analyses de l’activité et des tâches des utilisateurs que les outils logiciels sont censés faciliter.
Le « focus group » est donc une technique des plus intéressantes. Encore faut-il qu’il soit utilisé de manière appropriée…
Pour en savoir plus
- Brinck, T., Gergle, D., & Wood, S. D. (2002). Usability for the
Web. Designing Web sites that work. San Francisco, CA: Morgan Kaufmann.
- Bruseberg, A., & Mcdonagh-Philp, D. (2001). Focus groups to
support the industrial/product designer: a review based on current
literature and designers’ feedback. Applied Ergonomics, 33(1),
27-38.
- Dumas, J. S., & Redish, J. C. (1993). A practical guide to
usability testing. Norwood, New Jersey: Ablex Publishing.
- Krueger, R. A. (1988). Focus groups: a practical guide for applied
research. Newbury Park, CA: Sage.
- Kuhn, K. (2000). Problems and benefits of requirements gathering
with focus groups : a case study. International Journal of
Human-Computer Interaction, 12, 309-325.
- Nielsen, J. (1997, 26/08/2001). The use and misuse of focus
groups. useit.com. Disponible à l’adresse suivante:
http://www.useit.com/papers/focusgroups.html.
- Stewart, J. F., & Shamdasani, P. N. (1990). Focus groups :
theory and practice. London, UK: Sage.
- Templeton, J. F. (1994). The focus group : a strategic guide to
organizing, conducting and analyzing the focus group interview. New
York, NY: McGraw Hill.