Le marché mondial des études est principalement porté par les études quantitatives en particulier du fait du développement des access panels online. En 2014, les panels et les études quantitatives ad hoc représentent 78% du marché français des études. Le recrutement de répondants est un enjeu majeur pour les instituts d’études. Dans une étude prospective menée par l’ESOMAR, les professionnels des études prédisaient déjà en 2007 que le marché des études subirait une diminution drastique de la coopération des répondants et que la baisse des taux de réponses constituait une véritable menace pour l’avenir de l’industrie des études. Aujourd’hui, les instituts d’études doivent déployer tous les moyens pour motiver les consommateurs à participer aux enquêtes.
UNE PRATIQUE GENERALISEE
Longtemps réservé aux études qualitatives, du fait d’un effort et d’un sacrifice en temps plus importants (temps de déplacement et de participation), le principe d’une gratification des répondants a peu à peu gagné les sondages. Aujourd’hui, à l’instar des pays anglo-saxons, la plupart des instituts de sondage présents sur le territoire français proposent une gratification aux personnes qui acceptent de prendre le temps de répondre à un questionnaire. Le développement des études on-line, et en particulier des access panel on line, a très certainement accéléré la mise en place de programmes d’incentive, la raison majeure restant la difficulté croissante à mobiliser des répondants. La notion d’incentive revêt différents sens selon son contexte d’utilisation. Dans celui des études marketing, l’incentive est une rétribution sous forme de prime, de cadeau, de tirage au sort, etc. qui a pour but de favoriser le recrutement de répondants. Le recours aux incentives permet-il de garantir le recrutement de répondants ? Autrement dit la rétribution des répondants représente-t-elle un levier de motivation suffisant pour attirer et fidéliser des répondants ? Nous nous proposons ici de discuter les avantages et inconvénients du recours aux incentives et de dresser les pistes de réflexion pour permettre aux instituts de préserver leurs viviers de répondants. Pour cela, après avoir indiqué les incidences du recours aux incentives sur la pratique des études, nous discuterons leur rôle dans la motivation des répondants.
DES INTERETS ET LIMITES AU RECOURS D’INCENTIVES
Plusieurs travaux de recherche se sont intéressés à l’impact des
incentives sur la pratique des études (Göritz A. S. & Neumann B. P.,
2016). Plus précisément, ces travaux ont cherché à montrer les effets
des incentives sur les taux de retour, la qualité des données
recueillies et la constitution des échantillons. Ces travaux,
aboutissant parfois à des résultats contradictoires (Lynn & Jackle,
2008), ont néanmoins permis de soulever des questions sur ces pratiques
et leurs effets sur le déroulement des enquêtes, permettant ainsi de
mettre à jour les avantages et les inconvénients des programmes
d’incentives. Il est indiscutable que le recours aux
incentives a un effet positif sur le taux de participation aux
enquêtes. En particulier, il a pu être démontré que le
recours aux incentives permet d’augmenter les taux de réponse,
celui-ci étant positivement corrélé au montant de la prime (Church 1993,
Rodgers 2002). A ce titre, les incitations monétaires sont plus
efficaces sur les taux de réponses que les cadeaux ou les
loteries (Church 1993, Singer & al., 1999).
D’autre part, il a été montré que le recours à des primes est plus
efficace dans le cadre d’enquêtes administrées par voies postales
que par un enquêteur (Singer & al., 1999). Ces travaux démontrent
bien l’intérêt pour les instituts de mettre en place des
programmes d’incentives afin de favoriser le recrutement de
répondants.
Pourtant, on sait aussi que, le recours aux incentives n’est pas
sans incidence sur la qualité des réponses et sur la constitution de
l’échantillon. En effet, il a pu être montré que le
recours aux incentives a une influence sur la qualité des réponses
obtenues mais que par ailleurs ces programmes permettraient aussi de
minimiser la non réponse partielle (Lynn & Jackle,
2008). Ces résultats contradictoires sur les effets des incentives sur
la qualité des réponses ont néanmoins pour effet de jeter une suspicion
sur l’identité et la motivation des répondants. A ce titre,
on sait que l’utilisation d’incentives favorise la
participation de certaines catégories de populations
habituellement sous représentées dans les enquêtes telles que les
personnes peu instruites (Singer, Van Hoewyk et Maher 2000), les
personnes défavorisées (James 1997) ou les minorités ethniques
(Stratford, Simmonds & Nicolass 2003). Pour toutes ces raisons,
Syntec rappelle dans la Charte des pratiques éthiques
des études sur internet que « les incentives utilisées ne
doivent pas constituer un biais pour les résultats de l’étude,
de par leur nature ou leur importance ». Dans le cadre des
méthodologies d’access panel on line, les instituts d’études
sont souvent questionnés sur la qualité des échantillons constitués, les
soupçons portant sur les internautes « anonymes », s’inventant de
multiples identités afin de présenter les caractéristiques
sociodémographiques et comportementales leur assurant de pouvoir
participer aux différentes enquêtes rétribuées. Bien évidemment, grâce à
la sophistication technologique des outils d’enquêtes et en
particulier des outils d’enquête digitaux, les instituts arrivent
à traquer ces « délinquants » des enquêtes, déjouant leurs stratégies
afin de maitriser la qualité de leurs échantillons. Ce sont
d’ailleurs ces outils de gestion des screen-outs et de contrôle
des échantillons que les instituts affichent à leurs clients pour
garantir la qualité des échantillons et par ricochet des données
collectées. Mais derrière ces constats se cachent le sujet de la
motivation des répondants.
QUELLES SONT LES MOTIVATIONS DES PARTICIPANTS AUX SONDAGES ?
D’une manière générale, la motivation peut-être définie comme ce
qui pousse la personne à agir. Dans le cadre des sondages, il
s’agit de comprendre ce qui motive un individu à participer à
des enquêtes. Pour cela, il nous semble essentiel
d’aller plus en avant sur la compréhension de la motivation. Parmi
les nombreuses approches de la motivation, la théorie de
l’autodétermination développée par Deci E.L. & Ryan R.M.
(1985) permet de distinguer différents types de motivation selon le
degré d’autonomie des individus : la motivation intrinsèque,
extrinsèque et l’amotivation. La motivation intrinsèque est
considérée comme le plus haut niveau de motivation parce qu’elle
est reliée pour un individu à la réalisation d’une activité qui
lui procure plaisir et satisfaction. La motivation extrinsèque est-elle
guidée par la volonté d’un individu d’obtenir une
rétribution en échange de la pratique de l’activité alors que
celle-ci ne lui procure ni plaisir, ni satisfaction. Enfin,
l’amotivation correspond à l’absence de motivation chez
l’individu générée par l’absence de lien entre
l’activité en elle-même et le résultat qu’il en retire.
Dans le cadre de programmes d’incentives, centrés
sur l’allocation de rétributions financières ou matérielles
les instituts d’études actionnent la motivation
extrinsèque des individus ou l’amotivation en
détachant la remise de points, de primes, ou de cadeaux de la tâche
elle-même. Ceci est d’autant plus vrai dans le cadre de programmes
d’incentives qui proposent des primes inconditionnelles. La
motivation intrinsèque est, quant à elle, incitée lorsque la
participation à l’enquête procure aux répondants, intérêt, plaisir
et satisfaction.
Ces différents types de motivation n’agissent pas de manière
indépendante. En particulier, nous savons que « toute récompense
contingente et tangible affaiblit la motivation intrinsèque » (La Gardia
J.G. & al., 2000). L’utilisation d’incentives «
contingentes et tangibles » engendrerait-elle un risque de
démotivation des personnes trouvant dans la participation aux
enquêtes intérêt et plaisir ? Cette question est
essentielle pour la fidélisation des répondants, enjeu essentiel pour
les instituts d’études, en particulier dans le cadre des access
panels on-line. Faut-il pour autant supprimer les programmes
d’incentives ?
LES INSTITUTS DEVRAIENT-ILS SE PASSER D’INCENTIVES MONETAIRES ET TANGIBLES ?
Les travaux sur les effets des incentives sur la pratique des études ont démontré leurs effets positifs sur le recrutement des répondants. Les instituts ont donc tout intérêt à maintenir ces programmes dans un objectif de recrutement. Mais il parait essentiel de ne pas restreindre les leviers de motivation à l’attribution de primes « contingentes et tangibles ». Certaines enquêtes ont d’ailleurs fait la preuve de leur capacité à recruter et à mobiliser dans le temps des cohortes importantes de répondants. Parmi elles, l’étude NutriNet-Santé fait figure d’exemple. Lancée en 2009, cette enquête pilotée par le Ministère de la Santé et l’INSERM, mobilise aujourd’hui plus de 275 000 adultes volontaires qui ont accepté de participer à une recherche sur les relations entre la nutrition et la santé. Recruter uniquement sur la base du volontariat, sans aucune rémunération ou gratification, les « nutrinautes » sont sollicités régulièrement et sous différentes formes en fonction de « leurs disponibilités et de leur intérêt ». La récompense ne constitue donc pas le seul levier de motivation actionnable par les instituts d’études pour motiver les répondants. D’autres facteurs « non monétaires » peuvent contribuer à motiver les répondants attirés par l’envie de « découvrir des choses », le besoin de donner leur avis et d’apprendre, de contribuer à l’amélioration des offres, etc, tout en étant acteurs. Ces motivations sont tout autant intrinsèques qu’extrinsèques, invitant les instituts d’études à ne pas restreindre les incentives à l’octroi de rétributions monétaires. En effet, l’activité elle-même doit constituer une source de motivation pour les répondants. La créativité dans les enquêtes, la sophistication des interfaces, le recours croissant aux méthodologies mixtes quali-quanti, l’implication croissante des répondants et par la co-création du processus de collecte des données, etc. sont autant de voies pour permettre de motiver intrinsèquement les répondants, gage de leur fidélité.