Dimanche 6 mai 2012. 20 heures. Le portrait du nouveau président de la
République, François Gérard Georges Hollande, s’affiche sur nos
petits écrans… C’est du moins ce que nous prédisent les
sondages actuels qui donnent Hollande très largement vainqueur avec 60%
des suffrages face au président sortant, Nicolas Sarkozy, probable
candidat de la droite, même s’il ne s’est pas encore déclaré
officiellement.
L’heureux élu des sondages, 6 mois avant l’élection,
proclame déjà qu’il est « le prochain président ». En face, les
ténors de la droite prêchent une « grande prudence » dans
l’interprétation de projections si prématurées à leurs yeux (et
qu’ils auraient certainement défendues si elles avaient été plus
favorables pour leur camp).
Beaucoup, à droite mais aussi à la gauche de la gauche (googlisez, vous
verrez) lancent des sentences aussi définitives que : « le favori des
sondages à l’automne n’est jamais le vainqueur au
printemps » .
Qu’en est-il vraiment ? Hollande est-il d’ores et déjà
assuré de présider aux destinées de la France pour les 5 prochaines
années ? Doit-on affirmer, au contraire, que son statut de favori actuel
rend peu probable son succès au printemps ?
Pour en avoir le cœur net, nous avons épluché les sondages des mois qui
ont précédé les différentes présidentielles en France depuis 1965, date
de la première élection du président de la République au suffrage
universel direct. C’est d’ailleurs cette année-là que les
sondages sont arrivés en force dans le paysage politique Français, avec
l’estimation, pour la première fois du résultat de
l’élection à 20h, le soir même du vote.
Elections présidentielles de 1965
La première élection présidentielle au suffrage universel a lieu les 5 et
19 décembre 1965. C’est la 2ème présidentielle sous la Cinquième
République, après celle de décembre 1958 qui avait vu l’élection
du Général de Gaulle au suffrage universel indirect (collège de grands
électeurs) avec 78,5% des voix. Ce dernier instaure, avec la réforme
Constitutionnelle d’octobre 1962, le principe de l’élection
présidentielle au suffrage universel à deux tours.
L’élection de 1965 oppose le président sortant à son adversaire
François Mitterrand. C’est lors de cette élection que les
candidats s’adressent pour la première fois directement à la
population, grâce à la télévision (qui leur attribue le même temps de
parole).
Les premiers sondages sont effectués par l’Institut Français
d’Opinion Publique (IFOP) trois mois avant l’élection, en
septembre 1965. Ils donnent le Général De Gaulle largement réélu dès le
premier tour, avec un score de 68% contre 23% seulement à Mitterrand.
Assuré de sa réélection, De Gaulle néglige le nouveau média qu’est
la télévision et n’utilise pas son temps de parole (dans un
premier temps). Ce n’est pas le cas de ses adversaires, François
Mitterrand et Jean Lecanuet, conscients tous deux de l’importance
qu’avait joué la télévision dans le succès de John Kennedy face à
Richard Nixon lors de l’élection américaine de 1960.
À la veille du scrutin, les sondages améliorent le score de François
Mitterrand de 23% à 27% d’intentions de vote. Quant à Charles de
Gaulle, il chute de 68% à 43% dans les intentions de vote. Lecanuet, qui
a démarré à 4,5% dans les sondages du mois d’octobre (il
n’était pas évalué avant), est crédité de 20% des intentions de
vote.
Finalement, De Gaulle recueille 44,65% des votes au premier tour et est
mis en ballotage par un François Mitterrand à 31,72%, en raison
notamment du bon score de Jean Lecanuet, qui recueille 15,57% des
suffrages. Ce ballotage n’avait pas été prévu par les sondages, 1
mois seulement avant l’élection !
De Gaulle l’emporte au second tour avec 55,2% des suffrages contre 44,8% pour Mitterrand.
Elections présidentielles de 1969
Le 28 avril 1969, Charles de Gaulle prend acte du désaveu des 52,41% des
électeurs qui ont rejeté, lors du référendum qu’il avait proposé,
le transfert de pouvoirs aux régions et la transformation du Sénat. Par
un communiqué laconique, il indique cesser d’exercer ses fonctions
de président de la République.
Le centriste Alain Poher, président du Sénat, assure l’intérim.
Une élection présidentielle anticipée est fixée pour le 1er juin 1969.
Les principaux candidats sont Alain Poher, le gaulliste Georges
Pompidou, le communiste Jacques Duclos et le socialiste Gaston
Defferre.
Les sondages de la première quinzaine de mai marquent un certain
avantage pour Alain Poher, qui incarne mieux le changement que son
concurrent gaulliste. Poher connaît une progression constante dans les
intentions de vote (de 35% au 1er tour pour les sondages de début mai à
39% à la mi-mai) alors que Pompidou stagne à 41-42%.
Lors du premier tour, Georges Pompidou arrive largement en tête avec
44.47% des suffrages alors que Poher, 2ème avec 23,3% des voix est
talonné par Duclos qui réalise l’excellent score de 21,31%.
Le 15 juin 1969, Pompidou devient le troisième président de la Cinquième République avec 58.21% des votes contre 41.79% à Poher.
Elections présidentielles de 1974
Le président Georges Pompidou décède en cours de mandat, le 2 avril 1974.
Une élection présidentielle anticipée est programmée pour les 5 et 19
mai 1974. Elle opposera le gaulliste Jacques Chaban-Delmas au jeune
ministre des Finances de l’époque Valérie Giscard d’Estaing
et au candidat socialiste François Mitterrand.
Les premiers sondages effectués le 9 avril, donnent Mitterrand en tête
au 1er tour avec 36% pour la Sofres et 40% pour l’IFOP. La Sofres
place Giscard en 2ème position avec 27% et relègue Chaban en 3ème
position à 26%. A l’inverse, l’IFOP qualifie Chaban-Delmas
pour le 2ème tour avec 29% et crédite Valérie Giscard d’Estaing de
27% des intentions de vote. Toutefois, dès les jours suivants, la
tendance à la montée de VGE et à la chute de Chaban-Delmas se confirment
dans tous les sondages.
A l’issue du premier tour, François Mitterrand recueille 43.2% et VGE
réunit 32.6% des votants, conformément aux prédictions des derniers
sondages. Ceux réalisés entre les deux tours prédisent également de
manière correcte le résultat final de l’élection qui voit le
succès de Valérie Giscard d’Estaing avec 50,8% des voix contre
49,2% à son adversaire malheureux.
A l’occasion de cette élection anticipée, les sondages se
banalisent, occupant quotidiennement les colonnes des journaux. Leurs
pronostics, très proches des résultats de l’élection, installent
dans la presse, l’opinion et chez les politiques eux-mêmes une
grande confiance en leur fiabilité et leur caractère scientifique.
Elections présidentielles de 1981
La 4ème élection présidentielle est prévue pour les 26 avril et 10 mai
1981. Elle oppose le président sortant Valérie Giscard d’Estaing
au socialiste François Mitterrand, au gaulliste Jacques Chirac et au
communiste Georges Marchais.
Les sondages, désormais complètement entrés dans les mœurs et confortés
par leurs bonnes prévisions lors de l’élection précédente,
assurent, tout au long de l’année 1980 d’une victoire
écrasante du président sortant. Même si sa cote commence à baisser à
partir de la fin de l’année, VGE est encore crédité, en décembre
1980, de plus d’un tiers des suffrages au premier tour, contre 18%
seulement à son adversaire socialiste.
Même si la montée en puissance du candidat Mitterrand a bien été mise en
évidence ensuite par les sondages qui se sont succédés à
l’approche de l’élection, le public est resté convaincu
jusqu’au vote, de la victoire de VGE. L’élection de
Mitterrand représente donc une onde de choc. Le sociologue et
spécialiste des sondages Jean Stoetzel a bien mis en évidence
l’évolution de l’opinion et des prévisions pour cette
élection dans son analyse intitulée « Les élections françaises de 1981
et les sondages ».
Finalement, Valéry Giscard d’Estaing, arrivé en tête au 1er tour, s’incline au second tour face à François Mitterrand qui rassemble 51,76 % des suffrages contre 48,24% au président sortant.
Elections présidentielles de 1988
Après avoir connu sa première expérience de cohabitation en 1986 suite au
succès de la droite aux législatives de mars 1986, le président sortant
François Mitterrand doit affronter son premier ministre Jacques Chirac
pour l’élection présidentielle programmée les 24 avril et 8 mai
1988.
L’ancien premier ministre, Raymond Barre, se présente au nom de
l’UDF. Les sondages le donnent un temps favori, devant Mitterrand,
avant de le placer en 2ème position, devant Chirac. Ce dernier grignote
petit à petit l’avance de Barre, à partir de l’automne 1987.
Il finira par le dépasser en réalisant un score de 19,96% contre 16,5%
pour l’ancien premier ministre et maire de Lyon.
Cette élection marque l’installation en force dans le paysage
politique du Front National, avec Jean-Marie LePen, crédité de 9 à 11%
des suffrages et qui réalisera le score de 14,4% (alors qu’il
avait fait 0,75% en 1974). On assiste également à la chute du parti
communiste, représenté par André Lajoinie et qui ne rassemblera que
6,76% des électeurs.
En remportant 34,1 % des suffrages exprimés au premier tour, François Mitterrand s’impose de nouveau au second tour avec 54,02% des voix et devient à nouveau président de la République, confirmant les estimations effectuées par les sondages de l’automne.
Call me Spock, Captain Spock
Elections présidentielles de 1995
Les élections présidentielles de 1995 ont lieu au terme du second
septennat de François Mitterrand.
A droite, Jacques Chirac est contesté par son « ami de 30 ans », Edouard
Balladur, à son tour premier ministre de cohabitation de François
Mitterrand. Balladur est donné très largement favori par les sondages,
certains allant jusqu’à lui prédire, un an avant l’élection,
une victoire dès le premier tour.
A gauche, on attend la candidature de Jacques Delors qui connaît des
records de popularité dans les sondages. Tout le monde s’attend à
un duel Delors-Balladur lors du 2ème tour. Hésitant, Delors finit par
annoncer sa non-candidature le 11 décembre 1994, laissant la gauche sans
candidat crédible.
Alors que Chirac rattrape son retard sur Balladur, Lionel Jospin
s’impose chez les socialistes face à Henri Emmanuelli. Crédité de
20% des intentions de vote, il crée la surprise en devançant les
candidats de droite au 1er tour, avec un score de 23,3%. Balladur, de
son côté, s’effondre dans les sondages à partir de fin janvier et
est devancé par Jacques Chirac qui effectue une remontée spectaculaire
et ravit la deuxième place de finaliste avec 20,84% des suffrages et
l’emporte au second tour face à Jospin.
En se trompant sur les deux finalistes, les sondages réalisent la plus mauvaise estimation de l’histoire des présidentielles.
Si Gagarine l’avait su !
Elections présidentielles de 2002
L’élection présidentielle de 2002 est ancrée dans beaucoup de mémoires
pour longtemps. Cette élection fait suite à une cohabitation de 5 ans
entre le président de la République Jacques Chirac (RPR) et le Premier
ministre Lionel Jospin (PS). C’est aussi une première car le mandat
présidentiel passe de 7 à 5 ans.
L’élection oppose le chef de l’État à son premier ministre.
Les sondages prévoient la victoire de Chirac mais en l’opposant à
Jospin. Le candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen est crédité
de 8 à 10% des suffrages fin 2001. Son estimation progresse
jusqu’à environ 13% fin avril alors que les cotes de Chirac et
Jospin suivent une courbe baissière parallèle, pour arriver
respectivement à 20% et 18% juste avant l’élection.
Les résultats du premier tour constituent un électrochoc sur le plan
national et international. Lionel Jospin, qui avait annoncé sa
candidature par fax, se retire de la vie politique après avoir appelé à
voter Chirac. Ce dernier bénéficie d’une union républicaine et
obtient, sans surprise, 82,21% des votes lors du second tour.
Le favori des sondages l’emporte donc mais les sondages se sont encore trompés sur l’identité de l’un des finalistes.
On ira tous au paradis
Après un premier mandat de 7 ans suivi d’un deuxième de 5 ans,
Jacques Chirac annonce en mars 2007 qu’il ne sollicitera pas un
troisième mandat.
Nicolas Sarkozy est déjà candidat depuis fin novembre 2006 et
s’active sur le terrain. A gauche, le parti socialiste organise
une primaire pour départager Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et
Ségolène Royal. Cette dernière la gagne avec un score triomphal de
60,65% contre 20,69% et 18,66% pour ses deux concurrents.
Portée par la dynamique de ces primaires, Royal caracole dans les
sondages de l’automne, au coude à coude avec le candidat de la
droite. La plupart des instituts lui prédisent la victoire, avec une
petite avance (51/49).
Mais dès le début de 2007, la tendance s’inverse et Sarkozy s’impose comme le favori dans toutes les études d’opinion.
Bilan à tirer des élections précédentes
Comme nous le montre l’étude des élections précédentes, les
sondages 6 mois avant le 1er tour peuvent difficilement donner un
résultat exact.
Pour autant, il est inexact d’affirmer, comme le font certains,
que « le favori des sondages à l’automne n’est jamais le
vainqueur au printemps ». Il y a d’une part le cas de 1988 où la
reconduction de Mitterrand pour un 2ème mandat a été très clairement
anticipée par les études des intentions de vote 6 mois avant. Mais il y
a également les autres élections où les sondages ont donné assez tôt le
nom de vainqueur même s’ils se sont trompés sur son challenger
(1965 et 2002 notamment, les élections de 1969 et 1974 n’ayant pas
permis des sondages longtemps à l’avance, en raison de leur
caractère précipité).
Il est nécessaire d’observer aujourd’hui la dynamique des
différents candidats et de s’attendre, dans les prochains mois à
d’importants bouleversements, dans un sens ou dans l’autre.
En revanche, une chose est sûre : plus on se rapprochera de
l’échéance et plus les sondages permettront d’identifier le
vainqueur.