Survey-Mag : Quels sont les acteurs présents sur le marché des études au Brésil ?
Michel Videira : Le marché a été marqué en 2014 par la prise de contrôle du géant des études brésilien Ibope par Kantar WPP. Kantar Ibope Media est l’institut d’études médias leader en Amérique Latine. Il intervient notamment sur les mesures d’audience et de publicité. Plusieurs autres grands acteurs internationaux des études sont également directement présents au Brésil. En ce qui nous concerne, la société d’études Brasil Research se positionne comme le partenaire privilégié des instituts d’études français et européens qui ne sont pas directement présents au Brésil.
Quelles sont les spécificités du marché au Brésil ?
Les spécificités du Brésil sont particulièrement nombreuses. J’ai pris l’habitude de dire qu’il s’agit d’un « pays multi-facettes ». Nous pouvons rappeler que le Brésil correspond à environ 15 fois la superficie de la France avec 210 millions d’habitants. Le Brésil est un poids lourd de par sa taille et la force de certains de ses secteurs économiques. Le Brésil, c’est une profusion de couleurs, de sentiments… C’est de l’exubérance, de la beauté… Et parfois malheureusement tout le contraire. C’est un pays capable de beaucoup de contrastes. Malgré les turbulences économiques récentes, le Brésil reste, par exemple, le 4ème marché mondial pour le secteur de l’hygiène-beauté et il se hisse à la deuxième place sur plusieurs catégories de produits : les déodorants, les parfums, les produits pour homme, la protection solaire. Il se situe à la troisième place pour l’hygiène bucco-dentaire, les produits pour enfants, les produits pour cheveux… La croissance moyenne a été de 4% sur les 10 dernières années. Quant à la croissance annuelle des produits bio, elle est de l’ordre de 20 à 30%.
En ce qui nous concerne, le Brésil est un marché particulièrement plaisant à étudier de par sa diversité et sa richesse. A titre d’exemple, au niveau des cosmétiques, grâce au métissage, nous avons tous types de peau, même asiatique. Il est relativement surprenant d’apprendre que la communauté japonaise au Brésil est la plus importante hors du Japon. Pour la petite histoire, le premier bateau chargé de migrants japonais, le Kasato Maru, a accosté au port de Santos dans l’Etat de São Paulo, en 1908 avec 781 migrants. Un peu plus d’un siècle plus tard, les descendants de cette communauté sont estimés à près de deux millions de personnes.
Bien sûr, il y a de grandes différences entre le Nord et le Sud. Il faut savoir que 80% du PIB brésilien est produit au sud de Rio de Janeiro. Certaines villes au sud comme Curitiba, Florianópolis sont particulièrement proches culturellement de l’Europe. Ces villes ont reçu par le passé des flux importants de migrants européens : des portugais bien sûr mais également, des italiens, des allemands, des polonais, des ukrainiens, des néerlandais… Pour les projets d’étude de nos clients, ce sont des spécificités à prendre en compte. D’autres éléments entrent bien évidemment en compte. Si l’on envisage de conduire des études pour des ventilateurs, il peut être judicieux de réaliser l’étude à Recife où il fait chaud tout au long de l’année. Si l’on veut évaluer des nouveaux concepts de capsules à café, disons qu’une ville comme Porto Alegre est plus intéressante car plus représentative du profil des consommateurs de ce type de produit.
Pouvez-vous nous citer d’autres caractéristiques de ce marché ?
Parmi les autres caractéristiques des brésiliens : ils sont férus de réseaux sociaux. Si ma mémoire est bonne, ils ont représenté pendant longtemps la communauté la plus importante sur Orkut, l’ancien réseau social de Google. L’arrivée de l’appli WhatsApp a bouleversé la façon de communiquer des brésiliens et constitue désormais, pour nous en tant qu’institut d’études, un outil intéressant pour le recueil d’information. Auparavant, les coûts de communication au Brésil étaient particulièrement élevés notamment au niveau régional. Lorsque l’on vit au Brésil, on se retrouve régulièrement face à des situations étonnantes. C’est par exemple, de longues files d’attentes dans les « casa lotéricas » pour régler les factures lorsque arrive la date d’échéance et en parallèle des appli bancaires et des moyens de paiement particulièrement modernes et innovants.
C’est une rencontre parfois brutale, entre les « vieilles » habitudes d’usages et d’attitudes et les nouvelles technologies. C’est aussi des protocoles de fonctionnements pointus et modernes confrontés à des infrastructures qui – parfois – ne suivent pas.
Cette situation s’explique en partie par le boom économique particulièrement fort et rapide qui a eu lieu entre 2005 et 2013. La croissance du PIB a été obtenue grâce à une demande intérieure particulièrement soutenue permise principalement par la mise en place de politiques de réduction des inégalités.
Des millions de brésiliens aux ressources les plus faibles ont pu sortir de la pauvreté. Les améliorations dans l'éducation et le monde du travail ont également joué un rôle important dans ce processus. Une fois dans la classe moyenne, les individus changent leurs habitudes alimentaires et vestimentaires et ils acquièrent de nouveaux biens comme de l’électroménager, des ordinateurs, des voitures…
La Fondation Getúlio Vargas (FGV Brasil) indique qu’environ 39,5 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté et ont rejoint la classe moyenne. Les seules années 2010 et 2011 ont été particulièrement exceptionnelles : 10 millions de personnes ont intégré la classe C. C’était une période particulièrement euphorique alors que l’Europe faisait face aux turbulences financières liées à la crise des subprimes.
Les brésiliens sont considérés comme un des peuples les plus chaleureux au monde. Ils sont sociables, curieux. La culture brésilienne s’est construite grâce aux échanges ethniques, à ses origines africaines, européennes. Leur sentiment d’appartenance à la même nation les réunit et leur a permis au cours de l’histoire de créer une identité brésilienne qui transcende ces différences. C’est cela qui a permis à la samba, au Carnaval, à leur joie de vivre de se développer. Certains considèrent d’ailleurs qu’il s’agit là d’une fête nationale qui fait figure de catharsis à l’échelle du pays et qu’elle aide à libérer les tensions du quotidien par la fête. C’est un peuple orgueilleux de ses racines, il tient d’ailleurs à écrire son nom « BRASIL » avec un « S » et évite le « Z ».
Quelles sont les relations que vous entretenez avec le marché européen ?
Les relations de Brasil Research avec le marché européen sont directement liées à mon histoire. Dès ma sortie de l’école de commerce dans les années 90, je suis rentré dans le milieu des études. Tout a commencé avec un CDD d’un mois, puis trois mois au sein de l’institut d’études parisien Plm Marketing Research. J’ai été recruté pour faire la tournée des bars (rires…), des hypermarchés et superviser une vingtaine d’enquêteurs dans le cadre d’études menées pour les bières Adelscott et Desperados. Je tiens d’ailleurs à remercier Philippe Lespinet, patron de cet institut pour qui j’ai travaillé durant une dizaine d’années. C’est un des grands spécialistes du qualitatif en France. Il a notamment développé des techniques d’études basées sur le projectif, des techniques particulièrement novatrices et reconnues pour leur valeur ajoutée. Toutes nos études quantitatives passaient par le crible de notre devise « aucun détail n’est petit ». Nos résultats étaient systématiquement présentés avec les tests de significativité. Nous avons également été les précurseurs en France de l’utilisation de nouveaux outils comme l’Eye Tracking ou encore des techniques dites « Kano ».
Concernant mon arrivée au Brésil, l’histoire a commencé lors d’un congrès Esomar à Lisbonne. J’ai été contacté pour discuter de la possibilité de prendre la direction d’un institut brésilien. Entre temps et avant mon arrivée sur place, l’institut en question a été revendu. J’ai tout de même décidé de continuer mon expatriation et, finalement, j’ai créé Brasil Research.
Lorsque je suis arrivé au Brésil, Il est vrai que j’ai ressenti un certain décalage. Pour un pays si vaste, le cercle des professionnels était réduit. Depuis, les choses ont beaucoup évolué. Le marché des études a pris de l’ampleur et il a gagné en qualité. Je pense que les habitudes et les standards de travail des multinationales ont certainement contribué à cette évolution. C’est sans doute notre connaissance des cultures brésiliennes et européennes qui plait à nos clients. Nous savons pointer du doigt rapidement les différences clés entre les deux cultures et les expliquer à nos clients. C’est cette relation particulière que nous cultivons avec nos clients. Nous leur offrons une réelle proximité et connaissance du marché brésilien.
Selon vous, quel est l’avenir des études marketing au Brésil ?
Au niveau des méthodologies d’étude, je dirais que la tendance devrait suivre la tendance mondiale à savoir le Big Data, l’IA, l’utilisation croissante du mobile, l’automatisation des études… Certains outils récents comme les plateformes permettant de réaliser des études online ont démontré tout leur intérêt. Ce sont des solutions souples, relativement rapides à mettre en œuvre.
En ce qui nous concerne, ce sont des outils que nous apprécions car nous pouvons les coupler avec des outils comme WhatsApp. Cette appli nous permet, par exemple, de relancer les participants et d’approfondir certaines de leurs réponses. Nous pouvons avoir une communication instantanée avec eux. Ils peuvent nous envoyer des photos, des vidéos lorsqu’ils font leurs courses, lorsqu’ils déjeunent, etc. Nos modérateurs sont particulièrement ravis de ces possibilités car elles permettent d’explorer sur-le-champ des points qui nous semblent pertinents. Dernièrement, nous avons couplé une de ces méthodologies avec du placement à domicile pour des tests organoleptiques de produits frais. L’étude s’est révélée particulièrement adaptée et riche d’enseignements.
De façon générale, je pense que certaines études de type Test d’usage, Test avec placement à domicile, Tests organoleptiques, Sniff tests etc. devraient continuer sans changements majeurs en termes de méthodologie. Le CATI quant à lui reste un très bon outil pour étudier des cibles BtoB, souvent plus difficiles à atteindre. En ce qui nous concerne, nous aimons connaître nos participants. Que ce soit en qualitatif ou en quantitatif, tous nos participants auront au moins été une fois en contact de façon personnelle avec nos équipes de recrutement. C’est pour nous le meilleur moyen de s’assurer de la qualité de l’information recueillie.
Concernant le volume d’activité des études au Brésil, il devrait accompagner les performances économiques du pays. Celles-ci résultent principalement des facteurs macroéconomiques et des orientations politiques. Rappelons d’ailleurs que la durée du mandat présidentiel au Brésil est de 4 ans. Les changements par conséquent peuvent être assez rapides. C’est pour cela qu’il convient d’être toujours à l’écoute du marché et des opportunités. Les études restent le meilleur moyen d’être sur le qui-vive et de prendre l’initiative.
J’en profite pour rappeler que la France joue un rôle important au Brésil, elle est le quatrième investisseur étranger. Toutes les entreprises du CAC40 sont présentes sur place et semblent plutôt bien tirer leur épingle du jeu avec leurs propres cartes et leurs atouts. Le pays comptabilise plus de 1 000 filiales françaises. Les opportunités et relais de croissance sont nombreux voire indispensables pour nombre de ces sociétés. Je vais vous donner quelques exemples :
- En 2018, le marché automobile brésilien a progressé de 16% et Renault
Brésil a augmenté de 40% ses ventes sur la même période. Le fourgon
Renault Master représente plus de 50% des ventes de sa catégorie, la
petite Kwid quant à elle connait un succès fulgurant… ;
- Total vient enfin de rentrer de façon significative sur le marché
de la distribution de combustibles au Brésil avec le rachat d’un réseau
de 280 stations-services ;
- L’Oréal annonce une forte croissance de ses divisions Produits
Professionnels, Luxe et Cosmétique Active. Rappelons qu’il y a deux ans,
l’Oréal a inauguré un centre de R&I ultra-moderne sur l’ile Bom Jesus à
Rio de Janeiro afin de répondre à la diversité des attentes des
consommateurs brésiliens ; « pays où la beauté est considérée comme un
véritable art de vivre » comme le soulignait son vice-président, M.
Attal.
Les exemples sont nombreux… A ce titre, je considère que le pays reste incontournable dans le domaine des études.