Depuis l’annonce des jeux olympiques de Paris 2024, c’est une petite révolution à laquelle nous assistons dans le milieu traditionnellement underground des sports alternatifs. Nombreuses sont les marques dites « grand public » à vouloir désormais associer leur image au Skateboard, au BMX freestyle ou au Breaking durant les JO. Pour exemple Visa, Samsung ou encore Dior s’affichent auprès des skateboarders français Aurélien Giraud et Vincent Milou. Le monde automobile avec Toyota et Alpine valorise ses accointances avec celui du Skateboard et son lifestyle innovant, pourtant peu évidentes à première vue. Samsung se rapproche des communautés Surf, Skateboard et Breaking pour sa campagne « Open always wins » qui promeut des valeurs d’ouverture, de créativité et de réalisation de soi. Au-delà de la simple opportunité de communication que représentent les JO pour les marques, c’est bien ici que réside la principale raison de l’intérêt porté par ces dernières aux sports alternatifs : leurs valeurs.
D’après un sondage Opinion Way de 2023, 67% des consommateurs français accordent une importance accrue aux valeurs sociales et environnementales des marques qu’ils choisissent. Cette tendance, en nette hausse par rapport à l’avant-Covid, reflète une volonté croissante d’alignement entre leurs convictions personnelles et leurs actes d’achat. La pandémie a joué un rôle indéniable dans l’amplification de ces préoccupations. Confinés et confrontés à une situation sanitaire inédite, les consommateurs ont eu le temps de repenser leur mode de vie et son impact sur l’environnement et la société. Face à cette nouvelle donne, les attentes envers les entreprises se sont renforcées. Les consommateurs exigent désormais plus d’authenticité et d’engagement de la part des marques. Ils souhaitent que ces dernières incarnent des valeurs positives et concrètes en agissant de manière responsable sur l’ensemble de la société.
Cette évolution des attentes a accéléré la mutation des stratégies
marketing des marques. Pour survivre et prospérer, les entreprises
doivent s’adapter à ces nouvelles réalités sociales et répondre aux
exigences des consommateurs en constante évolution. C’est dans ce
contexte que les entreprises passent progressivement du marketing
de LA valeur au marketing DES valeurs. Dans un passé pas si lointain,
le marketing de la valeur dominait la profession et mettait l’accent
sur les caractéristiques techniques et les avantages fonctionnels des
produits et des services afin de mieux les vendre. La communication
mettait l’accent sur leurs performances, leur fiabilité, leur efficacité
et leur bénéfice apporté. Les individus étaient incités à acheter en se
basant sur une analyse rationnelle de leurs caractéristiques tangibles.
Cependant, les consommateurs post-covid recherchent désormais
bien plus qu’une simple proposition de valeur intrinsèque. Ils veulent
de plus en plus s’identifier à des marques qui incarnent des idéaux et
des engagements qui leur semblent important sur le plan individuel et
collectif. Ainsi, le marketing des valeurs ne se contente plus de
décrire ce
que fait une offre, il raconte son histoire et met en avant les
aspirations, les croyances et les causes partagées par la marque et ses
clients. Leur
relation n’est plus uniquement rationnelle : elle devient émotionnelle.
Cette nouvelle approche cherche à connecter plus profondément et
plus durablement les entreprises à leurs clients à travers le partage de
valeurs communes. Ainsi, le marketing des valeurs est un moyen de se
différencier de la concurrence en se positionnant au-delà de la fonction
d’un simple fournisseur de produits ou de services. En valorisant les
croyances et les engagements qui la distinguent de ses concurrents, la
marque s’impose comme un choix évident pour les consommateurs
qui les partagent et qui en deviennent les ambassadeurs. La démarche
permet donc de bâtir une communauté de consommateurs engagés
autour de valeurs communes et de créer un sentiment d’appartenance
à la marque.
Par conséquent, l’adhésion de la marque à des valeurs sociales,
humaines ou encore environnementales est une étape critique dans la
construction de son identité différenciante vis-à-vis du marché et de
sa relation durable avec les consommateurs. Son choix doit donc se
porter sur des valeurs qui associent à la fois l’histoire de
l’entreprise, les
attentes des consommateurs et les tendances sociétales. L’engouement
populaire à la sortie de la pandémie pour les sports alternatifs (près
de
deux millions de skateurs et un million de surfeurs en France) et leurs
valeurs de liberté, de créativité et de partage semblent offrir un
levier
puissant pour les marques souhaitant construire une image authentique
et engagée auprès de leurs clients ou de leurs nouvelles cibles comme
les jeunes.
Descendants de la contre-culture américaine des années 1960 et de ses figures emblématiques (citons l’écrivain Jack Kerouac auteur du bestseller « Sur la route »), les sports dits alternatifs se distinguent dès leur origine des activités physiques traditionnelles. Les premiers « surfers vagabonds » de Californie (également créateurs du skateboard pour occuper leurs journées sans vagues) sont perçus comme des marginaux pronant un style de vie simple et centré sur l’océan. Ils revendiquent une culture qui rejète les valeurs et les normes sociales d’une Amérique axée sur le progrès économique et la consommation. Leur identité s’est renforcée au fil des décennies à travers la revendication d’une forte liberté individuelle, d’un esprit communautaire maintenu par une passion partagée et une conscience environnementale précoce. Malgré leur solide ancrage dans l’imaginaire collectif, ces pratiques et leurs dérivés (BMX, Snowboard, etc.) ont été paradoxalement longtemps inconsidérés, rejetés et même réprimés en raison de leur opposition historique aux valeurs de compétition, de réglementation et de performance défendues par les institutions fédérales (comme le Comité International Olympique…). Néanmoins, cette identité distinctive, autrefois source d’exclusion sociale, s’inscrit aujourd’hui parfaitement dans une tendance de consommation post-covid grandissante qui se caractérise par une recherche d’appartenance, d’expérience et d’authenticité. Par conséquent, les marques peuvent véhiculer une image positive, dynamique et inclusive allant de la simple mise en scène de « riders » dans leurs communications jusqu’au soutien financier de projets conséquents afin de démontrer leur profond engagement envers cette culture et ses valeurs. Certaines actions peuvent sembler opportunistes et isolées, tandis que d’autres apparaissent témoigner d’un engagement plus crédible et durable. D’un côté, l’industriel Saint Gobain construit et met en scène sur les réseaux sociaux un skatepark éphémère et écologique ouvert à tous (nommé le « Saint-Gobain skate game ») sur la place de la Défense durant la période des JO ; de l’autre, le conglomérat militaro-industriel japonais Mitsubishi accompagne la ville de Tokyo dans une politique de skate urbanisme qui vise à intégrer durablement la pratique libre du skateboard dans un nouveau projet d’aménagement urbain de la mégalopole. En soutenant financièrement le skate urbanisme et sa dimension citoyenne (recyclage urbain via l’amélioration de lieux de pratique existants, développement d’une activité physique de proximité pour tous, soutien à la mixité sociale, etc.), Mitsubishi va au-delà du simple rôle d’acteur de la vie économique en bâtissant l’image d’un contributeur actif à l’édification d’une ville plus sportive, plus responsable et plus inclusive pour l’avenir.
Ainsi, les sports alternatifs sont bien plus qu’une simple activité physique : ils incarnent un mode de vie avec ses valeurs qui résonnent aujourd’hui auprès d’une large audience. En s’associant à leur dimension culturelle et sociale, les marques souhaitent démontrer leur engagement à agir de manière responsable et à contribuer positivement aux transformations sociétales. Par ce moyen, elles peuvent non seulement toucher une cible de consommateurs jeunes et engagés, mais aussi renforcer leur image et créer un lien émotionnel durable avec les consommateurs. Néanmoins, la crise sanitaire a exacerbé l’exigence de ces derniers en matière d’authenticité des marques. Les entreprises doivent désormais adopter un positionnement clair, transparent et crédible pour gagner leur confiance. La campagne de Jeep, qui associait l’image de ses 4x4 à un événement de surf (« Liberté, aventure, fun et sport : autant de valeurs partagées entre une marque légendaire et un évènement sportif de renommée internationale ») en est un exemple frappant. Accusée d’opportunisme et de greenwashing, cette initiative a suscité une vive polémique sur les réseaux sociaux démontrant les risques encourus par les marques qui tenteraient d’arborer des valeurs qui ne sont pas en adéquation avec leur véritable identité.