Survey-Mag : En matière d’expérience en ligne, quels sont les moyens incontournables pour tout professionnel ?
Jean François Lemoine : L’expérience en ligne repose sur le concept d’atmosphère des sites web qui se définit comme le « développement d’environnements virtuels destinés à créer des effets positifs, tant au niveau cognitif qu’émotionnel, chez les internautes afin d’engendrer des réponses favorables vis-à-vis du site (revenir sur le site, passer du temps sur le site, etc.) » (Dailey, 2004). 3 grandes catégories de facteurs atmosphériques peuvent être mobilisés par les managers afin d’offrir aux internautes une expérience gratifiante, mémorable susceptibles d’orienter leur comportement durant la visite (acheter plus, envie de revenir sur le site, envie de recommander le site, améliorer la satisfaction vis à vis de la visite, générer de la confiance envers le site).
Ces trois leviers d’action pour les professionnels sont :
les facteurs d’ambiance :
Ils concernent tous les outils marketing qui relèvent du marketing
sensoriel et qui peuvent être utilisée pour la conception d’un site web
(ou d’une application mobile). On citera, en premier lieu, les éléments
visuels. Parmi ces derniers, on peut évoquer :
- La couleur du fond
d’écran qui sera choisie. Selon qu’elle soit, par exemple, rouge ou
bleue, les réactions émotionnelles et comportementales des internautes
seront radicalement différentes (la couleur bleue amène l’internaute à
parcourir plus longtemps le contenu du site, à s’attarder sur un nombre
de pages plus important ; le rouge, quant à lui, aura tendance à
sur-stimuler émotionnellement l’internaute ce qui l’amènera à réduire
son temps de présence sur le site et à lire plus rapidement et de
manière moins approfondie le contenu du site). Travailler sur la couleur
des sites web est un travail complexe car la couleur peut s’appréhender
à travers différentes dimensions que l’on doit tester : la teinte (c’est
à dire le choix d’une couleur par rapport à une autre), la luminosité et
la saturation ;
- Parmi les autres éléments visuels qui font
actuellement l’objet de nombreuses études, on citera la typographie
utilisée. Rappelons que la typographie fait référence aux
caractéristiques de la police, de la mise en page et de l’espacement
(inter-mot, interligne, et inter-phrase). Dans le cadre d’une étude
récente portant sur le marché des brosses à dents électroniques, il a
été montré que les émotions ressenties durant la visite du site étaient
plus positives avec un interligne large qu’avec un interligne rétréci,
que l’esthétique perçue du produit et les intentions comportementales
étaient meilleures avec un interligne large plutôt qu’avec un interligne
rétréci (Lemoine et Zafri, 2019).
- Un autre facteur d’ambiance est
la musique. Là encore, différentes modalités de la musique peuvent être
testées par les professionnels du marketing digital : le type de musique
utilisée, le volume et le rythme. A chaque dimension de la musique
testée, des résultats différents sont obtenus en matière de réponses
émotionnelles et comportementales des internautes.
Les facteurs de design :
Ils constituent le deuxième levier d’action. Ils font référence à l’architecture du site (organisation de la navigation, modalités d’accès aux produits, type de menu) et impactent directement la qualité de la navigabilité et de l’accès aux produits. Si les études consacrées aux facteurs d’ambiance sont nombreuses, force est de constater qu’il n’en est pas de même avec les facteurs d’ambiance qui pourtant vont impacter autant les comportements des internautes ;
Les facteurs sociaux :
Ils font l’objet de nombreuses études et concernent tour à tour l’influence des avis clients et des agents virtuels (ou même des chatbots). Selon qu’ils sont rédigés de manière positive ou négative, les avis clients n’auront pas les mêmes effets sur les consommateurs. Ainsi, en France les avis négatifs sont souvent jugés comme plus crédibles que les avis positifs. Il n’en est pas du tout de même aux Etats Unis ni même en Asie où les avis rédigés de manière plus modérée sont préférés. Toujours en ce qui concerne les avis, le nombre d’avis présents sur un site impacte les réactions des internautes. Tandis qu’un nombre réduit d’avis sur une page (inférieur à 5) réduira leur crédibilité perçue, il n’en sera pas de même pour un nombre d’avis allant de 6 à 20. Au delà de 20, la crédibilité perçue aura tendance à rebaisser. Enfin, il conviendra de s’interroger sur les représentations iconographiques des avis (sous forme d’étoiles ou de moyennes). Des premières études exploratoires laissent supposer que l’internaute ne réagit pas de manière identique selon ces deux types de représentations. Enfin des études récentes ont montré qu’un avis négatif devait présenter une couleur de fond rouge et un avis positif une couleur de fond vert pour voir leur pouvoir de persuasion augmenter (Lombard et al, 2019) Dernier facteur social qui permet d’impacter l’expérience client, les agents virtuels définis comme « des personnages, humains ou non, animant l’interface homme-machine et assurant différents types de missions nécessitant une interaction avec l’utilisateur » (Notebaert, 2005). Il a été démontré qu’en présence d’un agent virtuel sur un site (vs absence d’un agent virtuel), la confiance envers le site était plus forte et qu’elle s’accompagnait d’intentions comportementales plus élevées (envie de recommander le site, de revenir sur le site, de recommander l’enseigne) (Lemoine et Notebaert, 2011). Dernièrement, des expérimentations ont été conduites sur la voix qui doit être affectée aux agents virtuels. Une voix humaine a été comparée à une voix de synthèse. Avec la voix humaine, la perception de présence sociale sur le site est plus élevée (on se sent moins seul durant la navigation), la confiance envers l’agent et envers le site sont plus élevées et les intentions comportementales plus fortes (intention de revenir sur le site et de le recommander) (Chérif et Lemoine, 2019).
En conclusion, l’expérience en ligne peut être impactée, améliorée (ou parfois détériorée) par ces trois catégories de facteurs. Il importe donc de ne pas les utiliser de manière intuitive mais au contraire de tester en amont leurs effets respectifs sur les variables susceptibles de créer de la valeur pour les internautes (les émotions, la confiance, la satisfaction, les intentions comportementales).
Pourquoi ce type d’outils, et quels sont les bénéfices clients ?
Ces outils sont régulièrement utilisés par les responsables du marketing digital car il a été démontré qu’ils agissent sur des dimensions créatrices de valeur pour les internautes et sur lesquelles les professionnels peuvent différencier durablement leurs sites web, leurs applications mobiles.
Quelles sont les dimensions sur lesquelles les trois outils précédemment présentés opèrent-ils ?
tout d’abord, il a été prouvé que ces outils impactent (positivement ou négativement) les réactions émotionnelles des internautes. En agissant sur la couleur de fond d’un site web, sur la musique diffusée, sur la typographie utilisée, voire sur les interactions entre ces variables, il est possible d’impacter les ressentis de l’internaute lors de sa visite d’un site ou d’une application mobile. A charge pour le responsable marketing de tester en amont lesquels de ces outils (couleur, musique, typographie, agent virtuel, avis client) agissent positivement sur les émotions des individus et lesquels agissent négativement. En privilégiant les outils qui agissent positivement sur les émotions de l’internaute, les responsables du marketing digital sont en mesure d’offrir à leurs clients des gratifications hédoniques, émotionnelles susceptibles de différencier leurs offres en ligne et de fidéliser leurs consommateurs. A titre d’exemple, un interligne large génère plus de plénitude chez l’internaute qu’un interligne rétréci (Lemoine et Zafri, 2019). De même, le type de typographie et la teinte du fond d’écran sont associés à un sentiment de plaisir important lors de la navigation sur un site web (Diouf et Lemoine, 2019). Enfin, dans le domaine touristique, les émotions les plus agréables ressenties lors de la navigation sur un site sont associées à l’utilisation de couleurs chaudes et à une mise en page spécifique, à savoir les photos sur la gauche et le texte sur la droite (Chen et Wu, 2016) ;
ces outils impactent également les réactions cognitives des internautes telles que la qualité perçue des biens vendus, la facilité d’utilisation perçue du site, l’esthétique perçue du site. A titre d’exemple, la taille d’une police de caractère associée à la couleur de fond d’un site améliorent la facilité d’utilisation perçue du site de même que la graisse de la typographie combinée à l’espacement interligne impactent positivement la rapidité d’utilisation perçue du site (Diouf et Lemoine, 2019). Là encore, de tels résultats permettent aux professionnels de se différencier sur les caractéristiques perçues de leurs sites en mobilisant ces composantes atmosphériques. En matière de présence sociale sur un site, il a été démontré que la présence sociale perçue était plus forte avec un agent virtuel doté d’une voix humaine plutôt qu’avec un agent virtuel doté d’une voix de synthèse (Chérif et Lemoine, 2019). Enfin, il est possible d’accroître le sentiment de confiance perçu envers un site en recourant à un agent virtuel plutôt qu’en y recourant pas (Lemoine et Notebaert, 2011) ;
enfin, ces outils peuvent influencer positivement les intentions comportementales (envie de revenir sur le site, de le recommander, d’acheter le produit, etc.) et les réactions comportementales des internautes. Les managers ont tout intérêt à connaître à l’avance lesquelles des composantes atmosphériques de leurs sites peuvent générer de telles réactions positives leur permettant d’acquérir un avantage concurrentiel durable par rapport à la concurrence. Ainsi, la teinte de couleur de fond d’un site, la taille et le style de la police de caractère impactent positivement la fréquentation du site et la durée de navigation. Dans le même état d’esprit, ces trois composantes atmosphériques exercent une influence positive sur l’intention d’achat et de revisite du site (Diouf et Lemoine).
En conclusion, ces leviers d’action liés à l’atmosphère des sites web (et des applications mobiles) doivent être utilisés avec une grande vigilance. Ils ne doivent pas être actionnés sur la base de la simple intuition des managers mais doivent faire, au contraire, l’objet de nombreux pré-tests en amont tant leurs effets sur les réactions des internautes peuvent parfois être trompeurs. En revanche, une fois les pré-tests réalisés et leurs effets connus, il s’avère pertinent de les mobiliser afin de se différencier durablement de la concurrence sur des critères générateurs de valeurs pour les internautes (le site sur lequel on éprouve le plus de plaisir, le site envers lequel on a le plus confiance, le site pour lequel la qualité perçue des produits est la plus élevée, etc.).