Il y a déjà un quart de siècle que l’Internet et le numérique métamorphosent nos sociétés, transforment nos vies quotidiennes et modifient les métiers au sein des entreprises. Deux caractéristiques majeures de ces vingt-cinq ans de numérique impactent en particulier le secteur des études. La première est le développement des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), services devenus incontournables, utilisés par des millions d’individus dans le monde, et fondés sur un modèle bi-face : d’un côté un service gratuit simple à utiliser, de l’autre une collecte massive de données fondant le modèle économique sur des revenus publicitaires. La deuxième est l’évolution de la capacité d’agir de l’internaute, qui au cours de ces vingt-cinq ans a évolué en quatre phases : capacité d’influence sur la demande (achat sur un site), capacité de contribuer, de fournir de l’information, du contenu, capacité à constituer des réseaux, et capacité à faire appel à la foule. Aujourd’hui, on est dans l’ère du partage massif d’informations, accentué par les technologies mobiles, puisque quasiment à tout moment et n’importe où, il est possible de partager une information, texte, photo et vidéo, via des plateformes comme Facebook, Twitter, Google Plus, Weibo, You Tube, Instagram, Pinterest ou Flickr.
Cette évolution des acteurs et du comportement des internautes entraîne deux conséquences : des données massives sont laissées par les individus sur les plateformes du web social ; les entreprises traditionnelles du marketing ou les sociétés d’études ne sont plus celles qui collectent ces données, concentrées chez quelques grands acteurs américains du web. Par conséquent, on se retrouve dans une situation nouvelle dans laquelle une riche connaissance sur les individus et les consommateurs, au cœur des stratégies marketing, échappe aux acteurs traditionnels.
Face à ce phénomène, le métier des études doit s’adapter sur deux points: collecter et analyser ces données issues du web social avec des outils adaptés; faire évoluer ses compétences en devenant un marketing scientist (comme il existe des data scientist) en se formant aux techniques du Big Data.
La collecte et l’analyse des insights des plateformes sociales, même s’il existe de nombreuses offres sur le marché, n’est pas simple. Il n’est pas suffisant d’analyser des critères de base (activités sur la page, nombre de fans), mais bien de déterminer et suivre des métriques expliquant le comportement des individus. Par exemple, il est intéressant de modéliser le processus de diffusion d’une information sur les réseaux sociaux (et non uniquement visualiser l’activité d’une page de marque), de qualifier les internautes propageant l’information (influenceurs, engagés, etc…) en fonction de critères expliquant leur propension à diffuser (comme par exemple les structures de réseaux, métriques nouvelles en marketing), de savoir catégoriser les conversations échangées, pas uniquement en termes de valence (positif/négatif/neutre) mais aussi en termes de contenu. A l’institut Mines Télécom, nous avons par exemple développé ce type de plateforme dans la Chaire réseaux sociaux.
Le web social modifie aussi les techniques de CRM, donnant une nouvelle
voix aux consommateurs satisfaits ou insatisfaits. Ces derniers, avec un
simple téléphone mobile, sont aujourd’hui capables de poster leur
insatisfaction, en temps réel, lors d’une expérience produit ou
service, via un post, une photo ou une vidéo diffusée sur Facebook ou
Twitter, créant ainsi un buzz négatif viral pouvant potentiellement
influencer le non achat d’autres internautes. Dans une stratégie
de CRM, le croisement de données de comportement d’achat et de
données sociales permet de détecter ces insatisfaits et améliore
l’efficacité des opérations ciblées. Enfin, de nouvelles
plateformes de réseaux sociaux de crowd innovation émergent, et
constituent une belle opportunité pour les entreprises. Elles regroupent
un nombre massif d’internautes imaginant des idées de nouveaux
produits ou de services. L’analyse des échanges entre ces
participants exige des traitements big data des résultats (évaluation
des idées innovantes, qualification des idées, traitement automatique du
contenu), comme le fait la plateforme Fanvoice, par exemple.
Pour maîtriser, comprendre et prendre les bonnes décisions dans ces
univers de données massives, le métier des études requiert donc
aujourd’hui des compétences en Big Data, et devrait évoluer vers
la fonction de marketing scientist. Déjà aujourd’hui, des
compétences Big Data sont indispensables pour juger d’un
prestataire de service ou pour collecter directement les données des
plateformes sociales. Par exemple, il est nécessaire de comprendre les
outils de collecte (crawlers) pour juger de la qualité des données, de
connaître les algorithmes et outils statistiques nouveaux traitant des
données structurées et non structurées (par exemple, l’algorithme
calculant la valence (positif/négatif/neutre)), de pouvoir développer
ses propres analyses sans systématiquement faire appel à
l’extérieur. Ces compétences peuvent s’acquérir dans des
masters spécialisés destinés aux professionnels (Télécom ParisTech,
ENSAE..), ou même par des cours accessibles en MOOC directement en
ligne.
Cette métamorphose du métier est indispensable, d’autant plus que les réseaux sociaux aujourd’hui se métamorphosent de par leur extension aux objets connectés. Demain, les consommateurs ne seront plus uniquement reliés à des individus sur des plateformes sociales, mais échangeront au sein de réseaux constitués d’individus et d’objets. Nous sommes à l’aube de l’ère du « Social Internet of Things ». Vont émerger de nouveaux services et produits innovants, visant d’un côté à faciliter notre vie quotidienne, mais dont les modèles économiques reposeront sur le traitement et l’utilisation des données collectées, à la fois sur des individus et sur des objets. La compréhension du comportement des consommateurs face à ces nouveaux produits et services constituera un avantage concurrentiel majeur, qui peut se préparer dès aujourd’hui par une évolution des compétences internes et par un rapprochement entre entreprises et chercheurs sur ces grands enjeux futurs.