Les technologies informatiques continuent de révolutionner le quotidien des professionnels du marketing. Intelligence artificielle, chatbot, machine learning ou encore reconnaissance visuelle… Tout le monde en parle. Certains se lancent et d'autres… hésitent. Pourtant, l'automatisation des process pour la relation client offre de nouvelles possibilités comme des campagnes moins contraignantes, des données plus affinées et, in fine, une meilleure connaissance client.
Survey-Magazine : Quels sont les nouveaux outils et pratiques en matière de marketing relationnel ?
Etienne Oddon : Les objectifs du marketing relationnel sont toujours les mêmes : mieux connaître ses clients, renforcer le lien et la satisfaction, et créer plus de valeur à court, moyen et long terme grâce à l'enrichissement de la relation client. Les moyens, eux, ont changé.
En premier lieu, au niveau de la capacité à exploiter les données clients :
- D'abord pour identifier les clients : de plus en plus de plateformes et
d'applications permettent aux clients de s'identifier, et les solutions
techniques permettant de gérer cette identification (customer identity
management) se sont grandement développées, permettant sécurité,
conformité aux nouvelles normes, et expérience d'identification
simplifiée pour les clients ;
- Ensuite pour réconcilier la donnée client : être en mesure de
consolider les données collectées pour un client donné est un enjeu
vital pour tout programme relationnel élaboré. Cela fait appel aussi
bien à des solutions développées ces dernières années (data lake, en
particulier) qu'à un savoir-faire pointu en termes de gestion des
données ;
- Une fois réconciliée, il s'agit d'enrichir les données client :
c'est ici qu'interviennent les solutions de tracking comportemental et
de scoring (score d'engagement, d'influence, de churn, etc.). Mais
l'enrichissement des données clients passe surtout par une conception de
l'expérience client favorisant la collecte de données déclaratives, ou
comportementales grâce à l'obtention du consentement : ici, les
nouvelles solutions de sondage ergonomiques, permettant d'intégrer de
manière fluide des questions ponctuelles dans un parcours client, sont
par exemple très utiles.
- Enfin, bien sûr, les solutions permettant d'exploiter les données
client de manière de plus en plus pertinente se sont multipliées, et
offrent une grande créativité.
Les outils innovants ayant la capacité de de faire évoluer le marketing relationnel ne se limitent pas aux data. Il est aussi question, très concrètement, d'expérience client. Par exemple, les “bots” que l'on voit se multiplier sur les interfaces de réservation ou de commande en ligne sont un vrai progrès : ils permettent à l'utilisateur de partir réellement de son besoin pour être orienté. Grâce au machine learning, ces bots donnent des réponses de plus en plus appropriées et précises. Plus largement, l'intelligence artificielle a des applications de plus en plus concrètes au niveau des expériences client, avec par exemple la création de solutions prédictives de self-care : FAQ personnalisées, box d'aide personnalisée, etc.
Enfin, un troisième axe d'évolution du marketing relationnel repose sur la valorisation des ambassadeurs, via des plateformes facilitant leur implication : plateforme de communautés intelligentes permettant la mise en relation de clients entre eux ou avec des prospects selon des critères précis, systèmes de parrainage évolués, ciblage des clients les plus influents sur les réseaux sociaux…
Les pratiques, elles aussi, changent. La meilleure organisation des données clients, combinée à un contexte réglementaire de plus en plus strict, a une vertu : elle permet aux annonceurs de donner plus de contrôle aux clients sur leurs données. Cette plus grande transparence, qui se matérialise directement dans les choix proposés aux utilisateurs dans leur gestion de comptes clients avec les différentes marques, est bénéfique à tous. Les clients comprennent mieux l'utilisation de leurs données et s'assurent qu'elle est maîtrisée par les marques qui sont transparentes sur ce sujet : ils sont alors mieux disposés vis-à-vis des marques et peuvent accepter de transmettre plus de données afin de personnaliser leur expérience et le niveau de service auquel ils peuvent prétendre.
Une autre évolution des pratiques du marketing relationnel, surtout appliquée à la fidélisation, consiste à “gamifier” l'expérience du client. Cette tendance consiste à appliquer les codes du jeu vidéo aux expériences vécues par les clients, afin de susciter plus d'engagement et d'orienter les objectifs, tout en donnant un ton plus ludique. Les clients ont alors un statut visible, visualisent leur parcours et leur progression avec la marque, se voient attribuer des objectifs et des bonus matérialisés par des badges, etc. Le gain est concret, puisqu'il s'agit de bénéficier de nouveaux services, de plus d'accompagnement ou même tout simplement de récompenses. Personne n'est dupe des règles du jeu, les marques appliquent ces principes pour obtenir plus de leurs clients, mais la créativité et la tonalité de ces interfaces valorisent néanmoins la marque et donnent aux clients la preuve que leur engagement est récompensé.
Selon vous, comment peut-on en tirer parti concrètement ?
Mettre en œuvre une plateforme de données bien structurée et enrichie n'est pas une finalité. L'exploitation des données revêt un enjeu tout aussi essentiel et suppose à la fois le déploiement de nouvelles technologies et de la créativité.
Le premier enjeu est celui de la contextualisation de la relation client à tous les points de contact. C'est d'ailleurs souvent le premier motif d'un chantier de réconciliation des données clients : permettre au service client de mieux connaître le client, d'avoir son historique, pour lui répondre de manière adaptée et personnalisée. La complexité des données clients est une réalité que ne perçoivent pas les entreprises : en 2019 pas plus qu'en 2009, le client ne comprend que son interlocuteur à la hotline de la marque ou que le vendeur en point de vente ne le (re)connaisse pas.
L'autre enjeu, qui demande plus de créativité est celui de la personnalisation de la relation client. La première application évidente consiste à exploiter ces données pour segmenter les messages. Toute campagne doit être pensée en fonction de l'audience : qui ce message intéresse-t-il, en fonction de quel critère peut-il être personnalisé ? Les critères de segmentation sont pratiquement infinis : géographie, profil client, niveau d'engagement, historique d'achat, préférences de contact, etc. En soi, tout est possible dès lors que la donnée a été préparée pour cette segmentation : par exemple, avec quel découpage peut être réalisée la segmentation géographique ?
Pour aller plus loin et réellement individualiser la communication client, cette segmentation doit être couplée à une solution de marketing automation : les messages sont alors non seulement personnalisés, mais déclenchés lors d'évènements précis pour le client, comme un achat, une livraison, un contact avec le service client, l'obtention d'un statut, une date anniversaire, etc. Le marketing automation s'appuie sur une brique technique centrale : le moteur de règles (rule engine). Ce moteur de règles permet d'exploiter les données clients disponibles pour générer les événements déclencheurs (triggers) d'une action : envoi d'un email ou d'une notification, attribution de points ou déblocage d'un badge dans le programme de fidélité, etc.
Voici deux exemples d'événements déclenchés par des règles dans un programme de fidélité à points :
- Si un client n'a pas commandé de produit d'une gamme définie au cours
de l'année écoulée, dès qu'il en commande un, il obtient un bonus de 10
points pour cette première commande et un email est déclenché pour l'en
informer.
- Si un client appartient au statut le plus élevé, alors le jour de
son anniversaire il est éligible à un cadeau défini.
Au-delà de l'expérience client, personnalisée ou mieux contextualisée, l'exploitation des solutions de data clients peut avoir un bénéfice économique encore plus direct. Premièrement grâce à une estimation plus précise de la valeur d'un client. Dans un premier temps, des critères assez simples permettent d'attribuer un niveau à un client, qui peut être un “statut” si celui-ci est visible par le client. Ces critères reposent sur des actions ayant une valeur pour la marque : achat de produits (selon un barème), recommandations ou parrainage, consommation de contenus, etc. En fonction de ce statut, la marque peut donner accès à des services et avantages, de manière hiérarchisée, avec une meilleure pertinence économique. En effet, donner accès aux mêmes services à tous les clients n'est pas possible, puisque ces services représentent un coût : il s'agit donc de les valoriser et de leur donner une équivalence en termes de statut, c'est-à-dire d'engagement client.
D'autre part, plus les données clients sont unifiées, plus il est possible de calculer la valeur “complète” d'un client (Average Revenue Per User, ARPU), en considérant tous ses achats et tous les coûts qui lui sont associés : achat de produits, d'options ou produits complémentaires, et coûts associés aux services consommés ou aux sollicitations du service client. Cette donnée bien sûr, n'est pas visible par le client, mais elle est essentielle dans la manière dont la marque va gérer la relation avec un client.
Enfin, l'exploitation d'une plateforme de données clients complète peut se traduire par un système d'identification du churn, qui lui-même rend possible la création d'un algorithme de prédiction du churn. Cette donnée, vitale pour le pilotage de la relation client, permet de mettre en place des actions concrètes avec un impact économique immédiat pour la marque, c'est-à-dire un ROI très élevé.
Comment réussir la mise en place de programmes relationnels ?
Le premier écueil pour une marque consisterait à se lancer dans un vaste chantier de rationalisation de ses données clients sans avoir au préalable fait un plan précis de sa stratégie de marketing relationnel. Mettre en œuvre une infrastructure de données clients organisée et opérationnelle est un chantier important et, bien souvent, il n'est pas linéaire : il impose de faire des choix, fondés sur une vision claire du résultat escompté. Dit autrement, il est fortement recommandé de partir des cas d'usage précis (“use cases”) afin d'en déduire les données requises, et donc les solutions techniques.
Afin d'être pragmatique et agile, il est aussi préférable de “commencer petit” : c'est-à-dire ne pas attendre que toutes les conditions “théoriques” soient réunies, et mettre en place le programme relationnel cible par itérations successives. Cela permet d'obtenir les premiers retours d'expérience sur un périmètre plus petit, ou avec des données partielles, et ainsi de valider les choix effectués en conception.
Un autre écueil consiste à ne pas avoir une vision globale de la marque pour concevoir le programme relationnel. Pour créer une expérience client complète et cohérente, il est nécessaire de prendre en compte toutes les composantes de la marque : ses contenus, ses services, ses produits, sa distribution... Pour réussir, la stratégie relationnelle doit être pensée de manière globale, en termes d'écosystème et de parcours client.
Enfin, un dernier risque qui peut pourtant paraître évident : pour créer un programme relationnel, il ne faut pas perdre de vue la réalité économique. Enrichir la relation client a un coût : il est important d'être capable d'en estimer l'impact, en faisant un business plan, puis de mesurer et suivre l'évolution de cet impact, afin de piloter le ROI de la stratégie mise en place.