Merci à Audrey Becuwe, Maitre de Conférences HDR à L’Université de Limoges (CREOP UR-15 531), Sergey Kovalev, Professeur Associé, INSEEC – OMNES EDUCATION et Waleed Omri, Professeur Associé, EXCELIA La Rochelle pour leur contribution.
La reconnaissance est un besoin humain fondamental, qui joue un rôle
central dans la construction de notre identité.
Selon le centre national des ressources textuelles et lexicales (CNTRL),
la reconnaissance représente « l’action, le
fait de reconnaitre, identifier quelqu’un ou quelque chose, en
témoignage de gratitude ». Dans le champ de la gestion,
il s’agit de reconnaître la valeur du travail, ainsi que les réussites
des collaborateurs et des équipes au sein de son
organisation. Distinct d’une simple « récompense », le concept de
reconnaissance au travail peut se rapporter (1) aux
gratifications matérielles (telles qu’une augmentation de salaire) ainsi
(2) qu’aux gratifications plus symboliques
(comme les encouragements ou les feed-back) ou encore (3) à la
reconnaissances interne des compétences propres au métier
exercé par le membre de l’organisation. Pour Brun et Dugas (2002), la
reconnaissance au travail correspond ainsi à la
démonstration explicite que les comportements au travail d’un salarié ou
agent sont appréciés à leur juste valeur et
constitue de ce fait un des facteurs de l’amélioration de la qualité de
vie au travail et, par ce biais, de l’efficacité
au travail.
Dans le secteur hospitalier, les problèmes
récurrents de gestion des Ressources Humaines (absentéisme, turnover
fréquent
ou encore crise des vocations) soulignent l’insatisfaction chronique des
soignants à l’hôpital en la matière,
insatisfaction liée aux rémunérations mais aussi aux conditions de
travail.
Dans ce contexte, la hausse récente de
rémunération semble s’avérer insuffisante pour l’hôpital public, à bout
de
souffle. A contrario, il apparait au grand
jour la nécessité de mettre en place une véritable politique de
reconnaissance du personnel hospitalier, qui dépasse la
seule question de la rémunération des agents.
MESURE DE LA RECONNAISSANCE AU TRAVAIL A L’HOPITAL
En termes de gestion des ressources humaines, une politique de reconnaissance au travail efficace comprend trois dimensions. Tout d’abord, on retrouve la reconnaissance financière, qui se traduit par des augmentations de salaire, des éléments de rémunération dits « périphériques » comme les primes, ainsi que des conditions de travail satisfaisantes (effectifs et moyens suffisants). Ensuite, le second axe correspond à une politique de reconnaissance des métiers et des compétences des membres de l’organisation, qui fait référence à une gestion plus souple du temps de travail, à la possibilité de participer aux prises de décision du service, ou encore aux opportunités d’évolution professionnelle et/ou de développement des compétences. Enfin, une politique de reconnaissance managériale en constitue la troisième dimension. Elle se caractérise par des pratiques verbales de feedback positifs (par exemple des félicitations ou des remerciements, adressés par les cadres aux collaborateurs subordonnés).
Plusieurs échelles de mesure ont été développées pour mesurer ces trois dimensions. Dans le champ hospitalier, l’échelle de Blegen et al. (1992) est principalement mobilisée dans les études terrain. Dans le cadre de notre recherche (Becuwe et al. 2022), nos analyses factorielles nous amènent à retenir trois dimensions :
1. Reconnaissance financière :
- Des primes individuelles sont accordées à l’infirmier au regard de la
qualité des soins et de son efficacité.
- Des primes collectives sont distribuées au personnel pour valoriser
l’efficacité d’un service et la coordination
entre agents.
- Des augmentations de salaire rétribuent l’implication et l’efficacité
des infirmiers.
2. Reconnaissance des métiers et des compétences :
- L’infirmier est sélectionné pour participer à l’insertion et former
les nouveaux arrivants (infirmiers,
aides-soignants, agents des services hospitaliers).
- Le chef des infirmiers consulte le personnel infirmier pour les
décisions importantes.
- Le chef des infirmiers demande à son équipe d’infirmier de participer
au planning pour son service et adapte les
horaires à leurs contraintes.
- L’infirmier se voit proposé des opportunités de développement
(formation, mobilité, etc.)
- Du temps est accordé aux infirmiers méritants pour travailler sur des
projets qui les intéressent dans le service.
3. Reconnaissance managériale :
- Une lettre relative à la qualité des soins donnés aux patients est
remise au personnel infirmier et une copie est
placée dans le dossier du personnel.
- Des feedbacks verbaux privés et/ou publics, des félicitations, sont
formulés aux infirmiers, pour les soins
administrés aux patients et leur efficacité, par le chef des infirmiers.
- Une fête est organisée pour remercier la contribution d’un infirmier
après plusieurs années de service à l’hôpital.
LA RECONNAISSANCE AU TRAVAIL SOURCE D’INNOVATION A L’HOPITAL
Les études scientifiques ont montré que les différentes facettes de la reconnaissance au travail diminuent le stress au travail des salariés, tout en incitant le personnel à rester en poste. En outre, les recherches en la matière soulignent le lien entre la reconnaissance et la performance individuelle au travail. Dans la continuité, notre étude terrain (Becuwe et al. 2022) menée auprès de 214 infirmiers démontre qu’une politique RH intégrant les trois dimensions de la reconnaissance au travail renforce significativement deux dimensions clés d’une bonne prise en charge à l’hôpital : les comportements d’entraide, et la capacité d’innovation des soignants.
Méthodologie de l’étude terrain
Notre
collecte de données a été effectuée en
Tunisie. L'échantillon a été construit à partir des bases de données du
portail national de la santé en Tunisie (PNST), offrant une couverture
relativement complète des hôpitaux tunisiens
publics et privés. Nous avons sélectionné des hôpitaux dans quatre
villes différentes en Tunisie (Tunis, Sousse, Sfax,
and Monastir) puis effectué un tirage aléatoire. Sur cette base composée
de 58 hôpitaux, une prospection téléphonique a
été faite auprès du personnel infirmier. Sur les 650 infirmiers
contactés, 214 ont rempli notre questionnaire (taux de
réponse de 33%). L’échantillon était composé de 79 hommes et de 135
femmes. Les répondants avaient principalement entre
22 et 60 ans.
Concernant le niveau d’étude des répondants, 203
infirmiers possédant au moins un Bac contre 11 qui
étaient titulaires d’un diplôme inférieur au bac. Quant à l’expérience,
seulement 10 infirmiers ont une expérience
inférieure à moins d’un an.
MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE RECONNAISSANCE A L’HOPITAL
Nos résultats invitent à développer des politiques de ressources humaines qui favorisent la reconnaissance au travail à l’Hôpital. Dans cette perspective, les managers sont incités à apprécier et valoriser les contributions de leurs collaborateurs de façon plus systématique, afin de favoriser le comportement d’innovation et, in fine, leur performance individuelle au travail.
La première dimension de la reconnaissance (dite « financière ») invite à rémunérer de façon juste et équitable les collaborateurs. Créer des conditions de travail satisfaisantes suppose également d’attirer et de fidéliser les agents hospitaliers, afin que les effectifs soient suffisants pour répondre à la charge de travail inhérente à ces organisations. Il s’agira, en outre, de leur donner les moyens matériels de faire correctement leur travail. Concernant la seconde dimension (reconnaissance des métiers et des compétences des agents hospitaliers), l’objectif serait par exemple de trouver des solutions opérationnelles pour développer les passerelles entre métiers (telle qu’infirmier·e à sage-femme ou sage-femme à médecin), afin de proposer d’autres évolutions professionnelles que l’évolution managériale (cadre-infirmier). En outre, il s’agirait de réfléchir à une meilleure reconnaissance de la nature intrinsèque du métier d’infirmier et de valoriser la dimension relationnelle avec les patients, en sus des soins, ce qui impliquerait de leur octroyer un temps plus long auprès des patients. Enfin, concernant la troisième dimension de la reconnaissance (dite « managériale ») les cadres hospitaliers gagneraient à être davantage sensibilisés à l’intérêt de soutenir plus activement leurs équipes soignantes, en préservant leur autonomie de travail et en formulant plus régulièrement des remerciements, notamment lorsqu’ils viennent travailler un jour de repos pour pallier le manque de personnel.