Les sondages politiques agiraient-ils sur l’opinion en cours de campagne électorale et in fine sur l’élection elle-même ?
Toutes les disciplines qui se sont intéressées au comportement électoral se sont penchées sur la question. Originellement ce sont les publications en science politique qui ont traité cette supposée influence. Les travaux de Gallup et Rae (1940) et de Simon (1954) ont ouvert la voie. Puis, les sociologues, notamment Bourdieu (1973) et Champagne (1990) leur ont emboîté le pas.
La plupart des recherches académiques ont mis en évidence deux
effets. Ceux-ci résultent de la connaissance des sondages
sur les intentions de vote des électeurs. Ces deux effets ont
été nommés « bandwagon » et « underdog ». Le premier peut
être défini comme un mouvement d’opinion par agrégation des
intentions autour du vainqueur pressenti dans le sondage. La prime au
futur vainqueur en quelque sorte. Le deuxième est le phénomène inverse,
à savoir un déplacement des intentions, au contraire vers le candidat
qui paraît faible. Cette fois, la prime au candidat qui semble avoir
dévissé dans les intentions.
Ces deux effets semblent rester marginaux sur les intentions de vote.
Les résultats des travaux de recherche à ce jour restent partagés.
D’autant que pour compenser leur influence supposée, deux
autres phénomènes ont été avancés. Il s’agit de l’effet
« humble-the-winner » et de l’effet « snob-the-looser
». Le premier consiste en une démobilisation du camp
d’un candidat en tête des intentions de vote. Cet effet viendrait
donc relativiser le « bandwagon ». Le deuxième est l’effet «
snob-the-looser » qui désigne la démobilisation du camp du perdant dans
les sondages. Cet effet viendrait donc atténuer le « underdog ».
Ces quatre effets restent en tout état de cause modérés par
l’implication des électeurs. Depuis les travaux de
Petty et Cacioppo (1979) sur le facteur de l’implication en
persuasion, il a été vérifié que plus un électeur est impliqué (par
compétence ou volonté), moins il se laisse influencer par des
contingences autres que le contenu des programmes, tels les effets
susnommés.
Finalement, il ne faut pas oublier que les sondages ne mesurent qu’à un instant t une potentielle traduction conative de l’attitude. Ceci veut bien dire que depuis les travaux de Festinger en 1957, les chercheurs des sciences humaines ont bien conscience qu’il peut y avoir un écart entre les intentions et les comportements, ce qui de fait, relativise la portée des sondages sur l’opinion publique. La proximité d’une échéance électorale conduit, de manière générale, à une cristallisation progressive des intentions de vote, phénomène qui peut remettre en cause des mesures précédentes.
Cet article a été co-écrit par Herbert Castéran, enseignant-chercheur en marketing et Directeur général de l’EM Strasbourg.