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Soutien et bien-être comme priorités : La mission des gestionnaires

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Les défis liés à la santé mentale sont devenus de plus en plus prévalents chez les employés, avec une incidence particulièrement marquée chez les vendeurs dans un contexte interentreprises (business-to-business –B2B). Face à cette nouvelle réalité, il est impératif que les entreprises prennent des mesures concrètes pour soutenir leurs vendeurs et investissent dans des programmes de formation axés sur la santé mentale et le bien-être. Pour y arriver, le rôle des gestionnaires est essentiel : leur soutien est la clé du succès pour favoriser un environnement de travail sain et propice à l'épanouissement de leurs équipes de vente.

La prévalence des troubles liés à la santé mentale dans la vente

Nous sommes dans une nouvelle ère de la santé mentale au travail. Avant la pandémie de la COVID-19, la santé mentale était déjà un enjeu au travail. Malheureusement, la pandémie a exacerbé la situation en matière de santé mentale et de bien-être au travail. En effet, une enquête révèle que 75 % se sentent plus isolés, 67 % signalent une augmentation du stress, 57 % ressentent davantage d'anxiété et 53 % sont plus épuisés qu’avant la crise sanitaire. Des chiffres alarmants!

Les vendeurs en B2B—c’est-à-dire des d’employés de première ligne qui interagissent avec les clients externes pour promouvoir des services ou des produits en lien avec leurs besoins d’affaires—n'ont pas échappé aux effets dévastateurs de la crise sanitaire. Une enquête montre que 40 % des vendeurs déclarent avoir des problèmes de santé mentale. En effet, les vendeurs sont trois fois plus susceptibles d’avoir des troubles liés à la santé mentale à celui des employés travaillant dans d'autres secteurs d’activités. En outre, le métier de la vente est classé comme l'un des plus stressants, arrivant en deuxième position après les conseillers financiers, et suivi par les restaurateurs (en troisième position), les professionnels de la santé (en quatrième position) et les services de police/sécurité (en cinquième position). Dans le même ordre d'idée, une étude que nous avons menée en 2020 met en lumière les conséquences de la pandémie sur les professionnels de la vente soulignent une augmentation des troubles de santé mentale (p. ex. stress, anxiété, dépression) et physique (p. ex. troubles musculosquelettiques, maux de tête, insomnie) chez les vendeurs en B2B.

Mais ce n’est pas tout. Le travail des vendeurs est un terrain de jeu favorisant les enjeux liés aux troubles de santé mentale. Tout d’abord, les vendeurs doivent gérer un large éventail de relations (clients, collègues, gestionnaires, fournisseurs, etc.) où ils peuvent se sentir tirailler, observés et jugés par les autres. En effet, cela arrive sur une base régulière qu’un(e) vendeur(se) doive gérer plusieurs demandes de la part de plusieurs acteurs à la fois! Ce qui n’est pas une mince affaire! De plus, les vendeurs doivent naviguer dans un terrain de jeu qui est très compétitif, complexe, hostile et en évolution constante. Aussi, les clients des vendeurs sont plus informés et exigeants que jamais, et demandent souvent des réponses en temps réel et de manière personnalisée. Ainsi, les vendeurs doivent s’adapter constamment aux demandes et à l’environnement de travail, tout en ayant une pression de performance toujours présente sur leurs épaules. Pour couronner le tout, les professionnels de la vente se retrouvent souvent seuls sur la route (ou devant leur écran d’ordinateur en mode virtuel), la plupart du temps sans encadrement ou supervision directe. Hélas, en lien avec la crise de santé publique actuelle de la solitude, l'isolement social et le manque de liens, le métier de vente engendre la sensation de solitude et d’isolement.

Les effets néfastes de l’anxiété sociale, de la dépression et de l’épuisement sur la performance au travail

Depuis quelques années, en collaboration avec l’Institut de vente HEC Montréal et plusieurs collaborateurs internationaux, nous avons mené trois recherches sur la santé mentale et le bien-être des vendeurs. Dans une étude, nous avons examiné l'influence néfaste de l'anxiété sociale— caractérisée par un malaise dans des situations sociales réelles ou anticipées—sur les performances des vendeurs. Nos résultats soulignent le poids significatif de l'anxiété sociale sur les performances des vendeurs, surtout lorsqu'ils sont en situation de travail.

Dans une seconde étude effectuée en période de crise (c.-à-d. au début de la COVID-19), nous avons exploré la performance des vendeurs déjà fragilisés et souffrant de symptômes de dépression—un état négatif marqué par la tristesse, l’inactivité et un manque d’intérêt généralisé. Nos observations sont particulièrement évidentes: la dépression est négativement liée à la performance des vendeurs. En outre, un(e) vendeur(se) souffrant de symptômes dépressifs verra sa performance affectée négativement, et plus encore en période de crise.

Dans une troisième étude, nous nous sommes intéressés à l’effet négatif de l’épuisement professionnel (burnout) des vendeurs sur leurs comportements éthiques et performance au travail. Sans surprise, lorsque la fatigue s’installe, les vendeurs deviennent à fleur de peau et commencent à se sentir incompétents dans des tâches qu’ils maîtrisaient parfaitement auparavant. Par conséquent, l’épuisement a un effet boule de neige sur la manière dont les vendeurs vont vendre de manière éthique et sur leurs performances au travail. Autrement dit, le burnout a un impact négatif sur la manière dont les vendeurs effectuent leurs tâches sur le plan éthique et sur leurs performances. Ainsi, nos résultats montrent que l'anxiété sociale, la dépression et l'épuisement ont un impact négatif sur les performances des vendeurs. Dans cette optique, les entreprises disposent-elles de ressources pour résoudre cette problématique?

La clé de succès : le rôle essentiel du soutien des gestionnaires

Heureusement, il existe des lueurs d'espoir. En effet, nos trois études indiquent que le soutien des gestionnaires—caractérisé par une préoccupation sincère du bien-être et une valorisation des contributions des vendeurs—joue un rôle crucial sur la santé mentale et le bien-être de leurs équipes. Tout d’abord, le soutien de la part d’un gestionnaire aide non seulement dans la prévention de l'anxiété sociale, mais aussi dans l'atténuation de ses effets une fois installée, qui peut contribuer à réduire les répercussions de l'anxiété sociale. Puis, le soutien des gestionnaires a également un effet majeur pour réduire les effets négatifs de la dépression et de l’épuisement sur la performance des vendeurs. Enfin, selon une autre étude menée avec d’autres chercheurs internationaux, les bienfaits du soutien de la part des gestionnaires ont également été observés chez les vendeurs travaillant seuls. Sans aucun doute, le rôle du gestionnaire est essentiel pour améliorer la santé mentale et le bien-être des vendeurs. Cependant, quelles actions précises doivent être entreprises?

Que doivent faire les gestionnaires concrètement?

Premièrement, en offrant du soutien concret tout en favorisant un environnement de travail équitable et respectueux, les gestionnaires peuvent guider les vendeurs pour apprendre de leurs erreurs, transformant ainsi les problèmes en opportunités, ce qui contribue à réduire leur anxiété sociale, la dépression et l’épuisement professionnel. En d’autres termes, un gestionnaire bienveillant exercera une influence très positive sur le bien-être et la performance des vendeurs en offrant des encouragements, des commentaires constructifs, de la reconnaissance et du renforcement positif.

Deuxièmement, l'augmentation de la fréquence des interactions entre les gestionnaires et les vendeurs est également une pratique à adopter, car celle-ci favorise de meilleures relations.
En effet, prendre le pouls quotidiennement ou plusieurs fois par semaine permet aux gestionnaires de mieux comprendre les enjeux et le bien-être de leurs équipes. Un gestionnaire peut communiquer efficacement avec ses vendeurs en utilisant divers canaux et méthodes de communication. Par exemple, il ou elle pourrait privilégier les rencontres en personne autour d’un café, les courriels, les textos (SMS), le téléphone et les plateformes virtuelles comme Teams, Zoom ou Google Meet.

Troisièmement, les gestionnaires pourraient proposer aux membres de leur équipe de vente de miser sur leur santé mentale et physique. Pour se faire, un gestionnaire pourrait guider son personnel à prendre soin de leur santé en faisant de l’exercice sur une base régulière et avoir une alimentation saine. Parce que la nourriture affecte l'esprit, en accordant une attention particulière aux aliments qu’ils consomment, les vendeurs seraient en mesure de mieux contrôler leurs états d’esprit, sur le plan intellectuel et émotionnel. De plus, un gestionnaire bienveillant pourrait suggérer à ses vendeurs de prendre de courtes pauses sur une base régulière. En effet, il suffit de prendre une pause d’environ 5 minutes chaque heure pour diminuer l’anxiété et pour se ressourcer. En ce sens, les gestionnaires pourraient encourager leurs vendeurs à se détendre en prenant de grandes respirations, effectuer quelques exercices d’étirement, de yoga ou de méditation. Aussi, les gestionnaires pourraient proposer à leurs équipes de commencer la journée en prenant un grand verre d’eau ou même d’écrire un journal de gratitude. Sur le plan des technologies, ils pourraient préconiser d’enlever les notifications du téléphone cellulaire en dehors des heures de bureau et d’éviter de prendre ses courriels ou textos avant de se coucher ou en se levant le matin.

Des bénéfices qui dépassent le cadre de la vente

Cependant, l'appui des gestionnaires pour atténuer les problèmes de santé mentale et promouvoir le bien-être ne se limite pas uniquement aux vendeurs. Dans cette optique, un gestionnaire bienveillant et offrant du soutien pourrait bénéficier à la plupart des employés d'une entreprise, quel que soit leur poste. De plus, d'autres employés de première ligne tels que les enseignants, le personnel de la santé, les avocats et les juges , les policiers et militaires, les pompiers, les journalistes, pour n'en nommer que quelques-uns, pourraient bénéficier du soutien d'un gestionnaire. En fin de compte, ces bonnes pratiques s'appliquent à tous les professionnels qui ont des interactions humaines fréquentes, qui font face à de la pression sur une base régulière et qui doivent respecter des échéanciers. Mais, que devrait faire les entreprises pour encourager les gestionnaires à soutenir et aider leurs équipes de vente?

Investir dans la formation des gestionnaires

Pour y arriver, il est crucial de fournir une formation adéquate aux gestionnaires en ce qui concerne la santé mentale et le bien-être de leurs employés. Hélas, les gestionnaires ne bénéficient pas d'une formation adéquate en gestion de personnels, et encore moins en matière de santé mentale et de bien-être, ce qui peut compromettre leur capacité à soutenir efficacement leurs employés. Dans le même ordre d’idées, les recherches et la formation sur les gestionnaires d’équipes de vente sont encore plus insuffisantes. Pourtant, la formation est d’une importance capitale car elle permet aux gestionnaires de reconnaître les signes de détresse mentale chez les membres de leur équipe et d'y réagir de manière appropriée. Effectivement, en comprenant les défis auxquels peuvent être confrontés leurs vendeurs, les gestionnaires peuvent non seulement offrir un soutien efficace, mais également créer un environnement de travail plus favorable à la santé mentale. En somme, en investissant dans la formation des gestionnaires, les organisations démontrent leur engagement envers le bien-être de leurs employés, ce qui peut contribuer à accroître la motivation, la satisfaction au travail et la productivité des vendeurs.

En résumé, un gestionnaire qui apporte son soutien tout en manifestant de la bienveillance contribuera incontestablement à forger une équipe de vente plus motivée, engagée, et productive, mettant en priorité la santé mentale et le bien-être.




Lecture :

Lussier, B., Beeler, L., Bolander, W., & Hartmann, N. N. (2023). Alleviating the negative effects of salesperson depression on performance during a crisis: Examining the role of job resources. Industrial Marketing Management, 111, 173-188.

Lussier, B., Chaker, N. N., Hartmann, N. N., & Rangarajan, D. (2022). Lone wolf tendency and ethical behaviors in sales: Examining the roles of perceived supervisor support and salesperson self-efficacy. Industrial Marketing Management, 104, 304-316.

Lussier, B., Hartmann, N. N., & Bolander, W. (2021). Curbing the undesirable effects of emotional exhaustion on ethical behaviors and performance: A salesperson–manager dyadic approach. Journal of Business Ethics, 169(4), 747-766.

Lussier, Bruno, Matthew Philp, Nathaniel N. Hartmann, and Heiko Wieland (2020), “Social Anxiety and Salesperson Performance: The Role of Mindful Acceptance and Perceived Sales Manager Support,” Journal of Business Research, 124, 112-125.