L’ethnographie peut-elle mettre à jour des vérités émotionnelles ?
Traditionnellement, les ethnographes observent. Ils essaient d’éviter d’influencer les comportements, de sorte qu’ils limitent les questions au minimum. L’objectif est de comprendre comment les gens vivent leur vie réelle dans des environnements réels. L’ethnographie est une méthode d’étude qui permet de dépasser l’environnement artificiel et sous pression d’un focus group où, comme nous le savons, les gens mentent.
À la maison, il n’y a nulle part où se cacher. C’est tellement plus difficile de prétendre que vous ne nourrissez vos enfants qu’avec des aliments biologiques faits maison lorsque votre enfant de six ans fait irruption et enlève un cordon bleu du réfrigérateur. Alors, on se rapproche de la vérité.
Ce style d’ethnographie discrète est excellent à bien des égards. Il est particulièrement efficace pour mettre en évidence les besoins pratiques non satisfaits qui peuvent inspirer l’innovation en matière de produits. Mais qu’en est-il de la compréhension des besoins émotionnels ? Vous pourriez me regarder nettoyer ma maison et me demander pourquoi cette femme utilise tel produit sur les surfaces de sa cuisine et un autre nettoyant hautement toxique dans son évier ? Si vous me le demandiez, je vous dirais probablement qu’ici je peux essayer de faire un geste pour la planète mais que là je m’inquiète des germes. Je fais des compromis. Si j’y réfléchis bien, la vérité est que j’aime bien le joli flacon lilas de telle marque avec sa brume parfumée mais quand il s’agit de mes bouchons, je m’inquiète des grosses boules de poils pourrissantes qui se cachent à l’abri des regards et doivent être violemment attaqués. Nous pouvons encore mentir à la maison, mais il est plus probable qu’il s’agisse de mensonges que nous nous disons aussi à nous-mêmes.
Exposer la vérité émotionnelle est beaucoup plus difficile – pour les chercheurs et les consommateurs. L’ethnographie peut brosser un tableau plus réaliste de la vie quotidienne, mais peut-elle révéler les points de vue humains recherchés qui inspirent des positions de marque qui performent ?
Soyons plus intrusifs
Ne vous inquiétez pas. Aucune prise d’assaut à l’improviste. Je parle de créer un modèle plus stimulant pour l’ethnographie. Un qui aide les consommateurs eux-mêmes à se rapprocher de la vérité. En utilisant une gamme d’outils et de tâches spécifiques, nous pouvons surmonter certains de ces » mensonges » pour exposer des besoins et des motivations non satisfaits plus profonds.
Cela permet de révéler les angoisses souvent sombres et inconfortables auxquelles les marques pourraient répondre avec plus d’efficacité et de sensibilité. Vous voulez redessiner un salon de coiffeur qui permet aux consommateurs de lâcher leur smartphone et de flâner dans la rue ? Vous devez comprendre leurs raccourcis personnels les plus profonds pour savoir comment créer un environnement utile et stimulant. Vous voulez positionner une nouvelle marque de nettoyage non toxique ? Vous devez découvrir les mythes que les gens créent pour justifier leur dépendance quotidienne aux produits chimiques.
Comment on fait ça ? En plus de l’observation, il existe des outils qui peuvent donner lieu à des observations plus utiles – en voici quelques-uns.
- La plupart des routines quotidiennes se font en pilote automatique.
Nous avons une conscience limitée de ce qui nous motive ou même de nos
frustrations : nous les avons normalisées. Pour surmonter cela, nous
pouvons perturber cette routine. En amont de la rencontre
ethnographique, nous nous fixons une tâche : priver nos sondés d’une
routine essentielle pour quelques jours ou leur faire faire autrement.
Cela accroît la conscience du comportement et la motivation, alimentant
ainsi une conversation plus productive et moins superficielle.
- Le comportement est façonné par les normes sociales. Apporter une
dimension collective à l’ethnographie peut sembler artificiel – et c’est
parfois le cas – mais c’est aussi très révélateur. L’implication de
dynamiques intergénérationnelles, familiales ou amicales crée des
débats, parfois même des conflits. En observant cela, dans le confort de
l’environnement familial, on expose doucement les incohérences
personnelles et interpersonnelles qui nous donnent une compréhension
plus profonde du comportement.
- Il est difficile de comprendre, et encore plus d’articuler,
certaines croyances et peurs. Lorsque les répondants ont de la
difficulté à verbaliser ce qu’ils font ou imaginent, nous pouvons les
laisser le dessiner ou lui donner une personnalité. Ce genre d’exercices
projectifs n’est pas rare dans les groupes de discussion, mais ils
fonctionnent aussi bien en ethnographie.
- Pour être un ethnographe perturbateur, vous devez être capable de
poser des questions inconfortables et de remettre en question ce que
l’on vous dit en signalant les incohérences. Effectué de manière
sensible et amicale, cela encourage la réflexion et une prise de
conscience plus aiguë de ce qui se passe réellement. Prétendez être un
gastronome obsédé par la santé et observons les réactions face à un
congélateur bourré de plats cuisinés !
Cet article est une traduction libre d’un billet rédigé par une ethnologue passionnée et publié sur le GreenBook Blog.