Les techniques d'enquêtes classiques permettent d'obtenir des mesures globales, généralisables pour l'ensemble des consommateurs. C'est le cas pour les enquêtes d'évaluation des besoins et, bien sûr, pour les études de mesure de la satisfaction. Le but des premières est de déterminer les besoins généraux de la cible visée pour aider à concevoir les produits et les services qui lui seront proposés. Dans le deuxième cas, on cherche à évaluer la conformité d'un ensemble de critères à des spécifications de qualité pré-définies dans l'objectif d'améliorer l'offre de l'entreprise. L'approche statistique associée à toutes ces enquêtes implique une extrapolation des besoins et du niveau de satisfaction de l'échantillon interrogé à l'ensemble de la population cible. Les réponses de chaque répondant ne sont là que pour être consolidées et sont rarement considérées comme des informations qu'il faut prendre en compte de manière spécifique. Or l'expérience client est justement individuelle et spécifique. Elle vise à susciter des émotions et des sentiments particuliers, attachés à chaque client et qui ne peuvent être pris en compte de manière générale, sur la base de critères standardisés. Même si elle permet d'apporter un éclairage sur certaines dimensions pré-définies et de permettre des améliorations centrées sur des critères de base, une enquête de satisfaction classique ne peut pas vraiment traduire seule la réalité d'une expérience en faisant part de toute sa richesse.
Un véritable système capable de mesurer et d'améliorer l'expérience client nécessite une démarche complémentaire aux techniques d’écoute habituelles. Sa mise en place implique notamment une réflexion en amont sur les composantes de l’expérience et les éléments clés à évaluer. Ces éléments peuvent varier selon les canaux mais doivent être pris en compte dans leur ensemble, en s’adressant à toutes les catégories de clients et pas seulement à celles qui ont utilisé un canal particulier. Elle peut faire appel, en aval, au socle des techniques d’enquêtes classiques mais qui devront être ajustées pour intégrer des éléments co-définis avec le répondant afin de prendre en compte la variabilité des ressentis et des points d’ancrage individuels.
La construction d'un système d'écoute du client
Lorsqu’on veut mesurer quelque chose qui, par définition, est variable et multiforme, il convient au moins d’établir un cadre d’analyse. Cela passe par la formalisation des différentes composantes du parcours client. Les entreprises, habituées à analyser d'abord leur manière de servir le client et les améliorations qu’elles peuvent y apporter, doivent inverser leur mode de pensée pour chercher à regarder les choses du point de vue du client. A ce titre, la notion de « Moments de vérité » se révèle essentielle.
L’identification des moments de vérité
Cette notion a été popularisée par le livre « Moments of Truth » que le patron de la compagnie aérienne suédoise SAS, Jan Carlzon, a publié en 1987. Les moments de vérité (MOT, abréviation de l'expression en anglais) correspondent à toutes les interactions entre une entreprise et un client, actuel ou potentiel, et qui ont une certaine importance aux yeux de ce dernier. Ces moments, qui peuvent donc être vécus de manière positive ou négative, démarrent bien avant l'achat et se poursuivent bien au-delà. Beaucoup d'entre eux n'impliquent pas de contact direct entre le client et un représentant de l'entreprise. Ils ne correspondent donc pas, pour une bonne part, aux critères habituels que l’on évalue dans les enquêtes de satisfaction.
Chaque domaine d'activité a son contexte d'expérience client et ses
moments de vérité particuliers. Ainsi, l'expérience associée à
l'acquisition d'un véhicule et celle qui correspond à la réservation
d'un séjour de vacances ou d’un repas au restaurant ont très peu à voir.
On retrouve toutefois dans toutes les expériences un élément déclencheur
et 4 grands moments de vérité communs (qui pourront ensuite être
décomposés selon le contexte particulier de chaque produit ou service).
L'élément déclencheur ou stimulus correspond à un besoin, une envie, un
article, une conversation, une publicité, qui nous poussent à nous
intéresser à un produit ou un service. Les 4 moments communs
généralement considérés sont les suivants :
ZMOT : Il s’agit du moment de vérité initial, théorisé en 2011 par la
société Google, qui l’a baptisé Zero Moment of Truth. Le géant du web a
en effet constaté que le modèle en trois étapes utilisé depuis plusieurs
années par les marketeurs ne correspondait plus à la réalité. Ce modèle
intégrait le stimulus évoqué ci-dessus, suivi du contact avec le produit
en magasin ou dans la vraie vie puis la phase d’usage du produit, une
fois acheté (respectivement FMOT et SMOT que nous détaillons
ci-dessous). Google a constaté, à travers une étude menée sur plusieurs
milliers de consommateurs, que le moment ayant le plus d’influence sur
l’acte d’achat se situait avant même le contact avec le produit, juste
après le stimulus. Ce moment se révèle aujourd’hui de plus en plus
important dans la mesure où le consommateur a désormais le réflexe quasi
automatique de sortir son smartphone ou de se mettre devant son
ordinateur pour se renseigner sur le produit ou service qui l’intéresse.
Vous pouvez retrouver un ensemble très intéressant d’articles et
d’études évoquant le ZMOT sur le site thinkwithgoogle1.
- FMOT : Il définit le premier contact du client avec le produit.
Formalisé par Procter & Gamble en 2005, ce First Moment of Truth
correspond aux premières impressions que suscite le produit auprès du
client ou du prospect lorsqu’il le découvre pour la première fois. Selon
P&G, c’est un moment précieux sur lequel il faut concentrer des efforts
importants afin de convertir les personnes en acheteurs.
- SMOT : C’est également P&G qui a formalisé ce deuxième moment de
vérité (Second Moment of Truth), qui correspond à ce que les clients
éprouvent à l’utilisation du produit. Ce moment démarre généralement à
l’ouverture du produit, étape à laquelle seules les entreprises les plus
matures en matière d’expérience client accordent un soin tout
particulier (cf l’emballage des produits Apple). Le SMOT intègre ensuite
toute la phase d’usage du produit et, bien sûr, la manière dont est
assuré le support et le service au client.
- UMOT : Cette étape a été théorisée par le chercheur Brian Solis.
Il s’agit du moment de vérité ultime (Ultimate Moment of Truth) qui
marque le moment où l’utilisateur d’un produit ou d’un service partage
son expérience sur les réseaux sociaux en donnant son avis et ses
conseils. Ce moment correspond alors au ZMOT de la personne suivante et
revêt donc une importance toute particulière.
La scénarisation du parcours client et du processus d’écoute
L’identification des moments de vérité permet de définir le parcours client. La mise en place du système d’écoute des clients et de prise en compte de leurs expériences consiste à identifier sur ce parcours toutes les occasions de remontées d’informations et, éventuellement, d’en créer d’autres.
Contrairement à ce qui se passe avec une enquête classique, l’idée n’est pas d’interroger les consommateurs sur l’ensemble des critères pour chaque étape du parcours mais de s’assurer déjà, dans un premier temps, d’une bonne remontée et prise en compte de toutes les données déjà disponibles : demandes des clients, commentaires émis lors des interactions avec l’entreprise sur les différents canaux, réclamations, compte rendus, réactions sur les réseaux sociaux, citations, témoignages, blogs...
Bien sûr, cela n’exclut pas la mise en place d’enquêtes quantitatives ou qualitatives pour mesurer l’un ou l’autre des aspects du parcours. Mais les résultats de ces enquêtes doivent être mis en commun avec les autres remontées et faire l’objet d’une scénarisation. C’est ce que conseille par exemple dans son ouvrage « Chief Customer Officer 2.0 » Jeanne Bliss, qui a occupé cette fonction dans plusieurs grandes entreprises dont Mazda et Microsoft. Pour Bliss, le rôle du CCO est d’engager toute l’organisation dans un storytelling unifié et centré sur la priorisation des actions. En effet, habituellement, lorsque les résultats arrivent séparément des enquêtes, réseaux sociaux et autres systèmes de reporting, ils sont transmis à un secteur opérationnel avec des consignes d’action. Chaque secteur est donc habitué à organiser ses propres priorités d’actions dans son propre périmètre. Ce processus permet de résoudre certains problèmes, mais a l’inconvénient de ne pas impacter systématiquement l’expérience client dans sa globalité.
Le CCO doit donc réunir l’ensemble des feedbacks pour raconter l’histoire complète de l’expérience client et permettre d’agir de manière globale pour optimiser les moments de vérité, en faisant intervenir de manière transversale tous les services concernés.
Des problèmes identiques qui remontent à travers plusieurs sources méritent une attention particulière. De même, une catégorisation unifiée et transversale des points négatifs peut aider à bien évaluer l’importance des difficultés les plus fréquentes et des critiques les plus pertinentes. Enfin, la présentation des problématiques par étape clé de l’expérience (moments de vérité) a une vertu pédagogique et permet d’engager les actions toujours du point de vue du consommateur.
Les Indicateurs de mesure
L’évaluation de l’expérience client doit donc chercher à dresser un tableau d’ensemble, à travers une consolidation des insights liés à chaque étape de cette expérience. Si beaucoup d’indicateurs reposent sur des données existantes qu’on peut réunir, d’autres peuvent être recueillies au travers de mesures ad’hoc, en utilisant les indicateurs ci-dessous.
Les indicateurs existants
En reprenant le parcours client, il est possible d’identifier, pour chaque étape, un ou plusieurs indicateurs que l’on peut calculer à partir de données disponibles dans le système d’information de l’entreprise ou ailleurs, sur le web ou les réseaux sociaux.
Pour les données internes, il peut s’agir par exemple, d’indicateurs issus du système de téléphonie (temps d’attente, nombre de sonnerie avant décrochage, nombre d’appels avant clôture du dossier, taux de réponse...), du système de réclamation, du SAV, des enquêtes de satisfaction, des audits qualité, des statistiques de fréquentation (sites, magasins...), des bases commerciales (churn rate ou taux d’attrition, évolution du coût d’acquisition d’un client, revenu moyen par client...).
Pour ce qui est des données externes, on pense naturellement aux données analytiques de fréquentation du site web mises à disposition par Google. Mais on peut également collecter, avec des outils adaptés comme EthnosData, des données sur les réseaux sociaux, les forums, les blogs, les pages web de distributeurs ou concurrents...
Les indicateurs à collecter
Certaines étapes du parcours client ne s’accordent pas avec des indicateurs descriptifs existants mais nécessitent d’aller chercher l’information en interrogeant le client. Chaque indicateur correspond à une formulation de question ou à un mode de questionnement particulier. Voici quelques indicateurs très utilisés :
Customer Satisfaction (CSAT) : Il s’agit de la mesure classique de la satisfaction des clients, au travers d’une question simple : « Avez-vous été satisfait de... ». Il est possible de proposer 2 réponses seulement (Oui/Non) ou une échelle d’évaluation en plusieurs points, avec une présentation simple (case à cocher) ou plus élaborée (étoiles, curseurs...). Le taux des clients satisfaits s’obtient directement (Oui) ou en additionnant les pourcentages obtenus à toutes les réponses positives (Très satisfait + Satisfait, par exemple). Cet indicateur simple de la satisfaction a été tellement utilisé qu’il semble aujourd’hui moins attirant et efficace que les indicateurs qui suivent.
Customer Effort Score (CES) : Cet indicateur permet de mesurer le niveau d’effort que consent le client lors d’une interaction avec l’entreprise. Certaines études affirment que le CES serait mieux corrélé avec les comportements et les décisions des consommateurs que d’autres indicateurs comme le NPS, par exemple. Le CES est basé sur une question exprimée comme suit : « Quel niveau d’effort avez-vous consenti pour que votre demande soit traitée ? ». Le répondant répond sur une échelle de 1 (niveau d’effort négligeable) à 5 (niveau d’effort élevé).
Customer Advocacy (CA) : Cet indicateur vise à évaluer la corrélation entre les éléments de l’expérience et les performances commerciales. Le CA se base sur une question du type « Pensez-vous que votre entreprise fait ce qu’il y a de mieux pour vous ou seulement ce qui est mieux pour ses bénéfices ? ».
Net-Promoter Score (NPS) : Cet indicateur est très largement utilisé et permet d’évaluer le solde entre les promoteurs de l’entreprise et ses détracteurs. La question posée prend la forme suivante : « Quelle est la probabilité que vous recommandiez notre entreprise à un parent, un ami ou un collègue ? (0 = pas du tout probable, 10 = très probable) ». Le score NPS tient compte du pourcentage de réponses 9 et 10 (promoteurs) auquel il soustrait le pourcentage des réponses de 0 à 6. Potentiellement, le score peut donc prendre une valeur entre -100 et 100.
La simplicité du NPS l’a popularisé notamment auprès des directions d’entreprises. L’un de ses grands avantages de cet indicateur est d’ailleurs d’être disponible pour beaucoup de secteurs d’activité et d’entreprises, ce qui permet des comparaisons immédiates (par exemple sur npsbenchmarks.com).
Les indicateurs ci-dessus peuvent être recueillis de manière isolée, après certaines interactions bien ciblées. Certains suggèrent leur systématisation, après chaque interaction avec le client. C’est oublier leur objectif, qui est d’évaluer l’expérience client pour l’améliorer. Un système systématisé sera certainement perçu comme invasif et pourra donc avoir l’effet inverse.
Par ailleurs, ces indicateurs apportent peu de données explicatives des opinions et besoins. Le dispositif d’évaluation de l’expérience client devra donc intégrer également des enquêtes qualitatives et quantitatives plus détaillées, sur l’ensemble des canaux et de l’ensemble des cibles de clientèles. n