Pourrait-on parler d'expérience omnicanal en 2019 si le smartphone n'existait pas ? Certainement pas. En moins de 10 ans, son usage a bouleversé le processus d'achat d'une grande partie des consommateurs occidentaux et asiatiques. Essentiellement utilisé en France par les 18-39 ans, les personnes à hauts revenus et les habitants des grandes agglomérations, cet outil, indispensable à beaucoup (nomophobie), génère déjà un quart du chiffre d'affaires du e-commerce français et la moitié du e-commerce chinois ou sud-coréen. Grâce à ses propriétés d'ubiquité et d'instantanéité, il est aussi utilisé en moyenne 15' en magasin pour réaliser diverses taches : localiser les produits en rayon, recevoir des promotions personnalisées, comparer les prix ou obtenir des conseils de la part de tiers de confiance (famille ou tribu). Ces avantages essentiellement utilitaires (commodité, gain de temps, gain d'argent) favorisent l'autonomie et en principe le libre-arbitre des clients (empowerment). Ceci réduit les contacts avec les vendeurs : 1 visiteur sur 3 préfère consulter son smartphone plutôt que de s'adresser à un conseiller en magasin.
Dès lors, chercheurs et managers s'interrogent sur ce qui va déterminer une expérience omnicanal réussie. Même si la fluidité sans couture est systématiquement invoquée comme la clé de ce type d'expérience, elle ne suffit ni à la définir, ni à la construire. En effet, cette fluidité étant par nature fonctionnelle, elle ne génère aucune stimulation pour le client, ce qui a finalement plus de chances de l'ennuyer que de le plonger dans une expérience qui devrait être idéalement « mémorable et créatrice de sens » (Antéblian, Filser et Roederer, 2013). Cette fluidité constitue donc une condition nécessaire, mais en aucun cas suffisante, d'une immersion inoubliable.
Que sait-on alors de l'expérience omnicanal ? Celle-ci implique une intime imbrication des canaux tout au long du processus de décision du client. Elle se différencie en cela de l'expérience multicanal ou cross-canal dans laquelle chaque canal était associé soit par le client, soit par l'entreprise concernée, à une phase bien délimitée du processus d'achat (recherche d'informations, choix du produit, achat). Mais l'accent mis sur les canaux est encore ici révélateur d'une tendance à regarder le futur avec un rétroviseur en négligeant la primauté nouvelle de l'individu consommateur.
Or, l'expérience omnicanal se caractérise avant tout par une extrême liberté du client, soutenue par des interactions plus étendues et plus intenses avec la marque et avec les tiers de confiance. En dépit des données que le client sème plus ou moins inconsciemment sur son parcours, cette expérience est en principe volontairement déclenchée par lui, et non plus contrôlée par l'entreprise. Pourtant, cette liberté du client n'est bien souvent qu'apparente tant les entreprises continuent à vouloir la maîtriser, souvent de manière simpliste (magasins connectés équipés de multiples bornes et écrans), parfois de façon plus subtile (Amazon Go). Face à des consommateurs qui sont intrinsèquement omnicanaux, nombre d'entreprises ont donc conservé des réflexes hérités du cross-, voire du multi-canal d'antan.
Comment peuvent-elles alors tenter d'agir pour contribuer positivement à l'expérience omnicanal de leurs clients ? L'intégration des canaux est ici centrale tant pour le consommateur que pour l'entreprise. En effet, la psychologie montre que le consommateur peut soit intégrer, soit comparer les canaux. S'il les intègre, les complémentarités naturelles des canaux sont préservées et valorisées ; s'il les compare, le canal qui lui semble apporter le moins de valeur ajoutée disparaît presque fatalement (le catalogue d'abord, certains types de magasins à présent).
Mais, cette intégration n'est en rien monolithique. Elle repose en effet sur différents types d'intégration, dont deux principaux : une intégration marketing très visible du client, qui s'appuie sur une cohérence de contenu (offres et prix congruents, et non pas similaires entre les canaux), puis une intégration technologique et organisationnelle plus ou moins invisible des clients, qui renvoie à une cohérence de processus et à la recherche de synergies internes (fusion et partage des bases de données, direction unifiée, systèmes d'information, d'approvisionnement et de logistique communs à tous les canaux).
Ces éléments peuvent parfois être antinomiques. Une intégration totale, si souvent invoquée pour bâtir une expérience omnicanal réussie, risque donc d'être impossible à atteindre. Elle pourrait aussi s'avérer dommageable pour les entreprises en aboutissant dans ses formes les plus extrêmes, à une cannibalisation contre-productive de certains canaux. Il ne s'agit donc pas de viser le niveau maximal, mais un niveau optimal d'intégration. Celui-ci étant fortement dépendant des objectifs et de la structure de l'entreprise étudiée, il est non seulement souhaitable, mais possible de l'ajuster au cas par cas.