Survey-Magazine : Les études marketing telles que pratiquées
suffisent-elles pour analyser le comportement du consommateur
?
Ben Voyer : En partie. Les méthodes utilisées en études
marketing se concentrent principalement sur des analyses quantitatives
(questionnaires et données de panels) et qualitatives (entretiens
semi-directifs centrés). Ces techniques ont fait leurs preuves, et
permettent de révéler les préférences des consommateurs,
d’expliquer et – dans une certaine mesure – de prédire
leurs choix. Mais n’oublions pas pour autant qu’il
n’est pas toujours possible de tester l’opinion des
consommateurs, surtout lorsqu’il s’agit de produits ou
services innovants, ou établissant une nouvelle catégorie de produits.
Steve Jobs avait pour coutume de dire qu’Apple ne faisait pas ou
peu d’études de marchés, car leurs produits étaient très
novateurs. Comment étudier les préférences des consommateurs pour la
catégorie tablette ou montre connectée lorsque celle-ci n’existe
pas encore ? Il existe par ailleurs un certain nombre de biais
méthodologiques, inhérents à chaque méthode, qui doivent être pris en
compte dans l’analyse et l’interprétation des résultats. En
terme d’études marketing, je parlerais plus de degrés
d’imperfection que de degrés de perfection.
Comment révéler les éléments sous-jacents ?
Il est souvent difficile de s’approcher au plus près des attitudes
des consommateurs. Les consommateurs eux même ont souvent du mal à
décrire leurs préférences, et n’en ont pas toujours conscience. En
outre, les travaux en psychologie montrent que les attitudes sont de
piètres prédicteurs des comportements – en clair, les consommateurs
peuvent déclarer aimer un produit ou service mais ne pas l’acheter
! Pour s’approcher au plus près des attitudes des consommateurs,
il peut être également intéressant de se tourner vers des techniques de
recherche plus avancées, afin de contourner les traditionnelles enquêtes
d’opinion déclaratives utilisant des échelles de mesure en 5 ou 7
points (e.g. « tout à fait d’accord » à « pas du tout
d’accord »). Les tests d’association implicites (Implicit
Attitudes Tests, ou IAT), issus de la psychologie sociale et cognitive,
permettent de contourner en partie la rationalisation des consommateurs
lors des tests d’attitudes. Les techniques projectives peuvent
également s’avérer intéressantes. Enfin, d’autres techniques
issues de la psychologie cognitive ou de la neuropsychologie peuvent
être intéressantes pour révéler de nouvelles facettes des comportements
des consommateurs. C’est le cas des technologies dites « eye
tracking » qui permettent de développer des packaging ou sites internet
plus efficaces. Une autre source d’information pour les équipes
marketing sont les données des forums de discussion et réseaux sociaux.
Enfin, les chercheurs en marketing mènent depuis une dizaine
d’années des « netnographies » qui permettent d’observer les
consommateurs et leurs discussions, afin de mieux cerner les
représentations que ces derniers ont des produits et services. Ce type
de recherche présente l’avantage d’être bon marché car ces
données brutes sont disponibles librement sur Internet.
Constatez-vous des évolutions quant au comportement du
consommateur ?
Les comportements des consommateurs évoluent sans cesse. On peut noter
des micro-tendances, ou changement de surface, et des macro-tendances,
ou changements de fond. Les micro-tendances peuvent être assimilées à
des transitions ou tendances, comme l’émergence d’un nouveau
parfum ou goût en Grande Consommation. Il s’agit plus
d’effets de modes, pas forcément durables mais qui peuvent être
intéressants à exploiter pour les marques. Les macro-tendances
correspondent à des changements de fond et sont susceptibles de
bouleverser une industrie sur le moyen ou long terme. Aux cours des
dernières décennies, on peut citer le nomadisme, i.e. la demande pour
des produits adaptables et faciles à transporter, ou la demande pour des
packaging et portions individuelles. Plus récemment, pour
l’industrie cosmétique, la demande des consommateurs pour des
produits perçus comme plus « naturels » avec moins d’additifs et
de conservateurs a amené tous les acteurs du marché à adapter leurs
gammes, voire à lancer de nouvelles marques à l’assaut de ce
segment. Parmi ces tendances de fond, on peut aussi noter
l’attrait des consommateurs pour les produits qui se rapprochent
de l’artisanat, qui sont perçus comme plus authentiques, et dont
l’imperfection perçue donne aux consommateurs le sentiment
paradoxal d’avoir un produit unique. Dans l’industrie du
luxe, les consommateurs, notamment sur les marchés émergents, se
détournent progressivement des produits aux logos trop visibles, pour
privilégier les produits avec une marque ou des logos plus discrets.
Le Big Data est-il une piste intéressante en la matière
?
Les volumes importants d’informations collectées par les
entreprises sont une source primordiale et souvent non utilisée
d’information. La principale difficulté est d’être capable
de les analyser pour révéler des relations entre différentes variables
mesurant les préférences et comportements des consommateurs. Trop
souvent ces compétences ne sont pas ou peu maîtrisées par les équipes
marketing traditionnelles. Le principal enjeu pour les entreprises est
de trouver des profils hybrides, capable de comprendre les
problématiques marketing tout en étant à même de mener des analyses
statistiques puissantes sur des gros volumes de données. Cela nécessite
également de mettre en place une véritable réflexion sur le Big Data –
quelles informations souhaite-t-on obtenir ? Quelles sont les
principales mesures existantes ? La qualité de l’information et
des insights obtenus se crée dès le stade de la collecte de données –
même le meilleur des analystes sera incapable de faire parler de
mauvaises données.
Que conseillez-vous à une marque qui souhaite optimiser sa
connaissance client ? Quelles actions concrètes mener
?
Le premier conseil est de bien comprendre la différence entre le type
d’actions qui peuvent être menées pour optimiser la connaissance
client et leur complémentarité. Il est important de comprendre que
l’intérêt des études marketing réside dans la révélation et la
compréhension des préférences des consommateurs plutôt que dans la
validation d’idées. Trop souvent, les études marketing ne sont
utilisées que pour valider une intuition ou opinion du chef de produit.
Il faut accepter de se laisser surprendre par les résultats d’une
étude.
L’autre conseil est de mieux comprendre la relation entre
recherche quantitative et qualitative. Les études quantitatives
permettent de comprendre les grandes tendances de la consommation pour
un marché ou produit en s’appuyant sur un large échantillon. Les
études qualitatives permettent d’apprécier la complexité des
processus de décision, et de générer de nouvelles pistes et idées. Les
études sectorielles peuvent également être intéressantes.
En termes d’actions concrètes, et plus spécifiquement pour le
secteur de la Grande Consommation, une première étape est de se
familiariser avec les données disponibles sur Internet à travers les
forums de discussion ou réseaux sociaux. La connaissance de ces
informations doit permettre d’établir une série de questions clés
qui seront adressées par les études ultérieures. Une autre source
d’information non négligeable – et gratuite ! – consiste à
utiliser les alertes par mot clés des principaux moteurs de recherche
sur Internet (e.g Google Alert). Il est ainsi intéressant de prévoir des
alertes pour sa marque et celles des principaux compétiteurs ainsi que
des mots clés liés à l’industrie. Les alertes permettent aux
équipes marketing de mieux appréhender en temps réel les informations
susceptibles d’affecter le panorama compétitif.