Le Nudge signifie en anglais ‘coup de coude’, ce qui
peut paraître déroutant à première vue ! L’idée du Nudge est
que l’on n’a pas forcément besoin de sortir l’artillerie
lourde pour changer les comportements des individus, et que parfois,
une légère incitation ou ‘tape sur l’épaule’ peut
suffire.
Survey-Magazine : Qu’est-ce que le Nudge ?
Benjamin Voyer : En pratique, le Nudge se base sur les
travaux de recherche portant sur la prise de décision, et plus
précisément sur les biais de décision. L’idée du Nudge est
d’exploiter les biais de décisions pour changer les comportements.
Il s’agit donc de techniques d’influences comportementales
plus que de persuasion. Ces travaux de recherche, issues des sciences
économiques, de la psychologie cognitive, ou de la psychologie sociale,
peuvent être exploités pour guider les décisions que les individus vont
prendre. Le boom du Nudge remonte au début des années 2010 en
Angleterre, ou le gouvernement britannique a mis en place un cabinet
spécialisé (le Behavioural Insight Team, BIT), surnommée la ‘Nudge
unit’, charger d’améliorer l’efficacité des politiques
publiques en utilisant les théories du Nudge. L’utilisation du
Nudge a ainsi permis des avancées diverses comme améliorer
l’efficacité des campagnes anti-tabac, augmenter la proportion des
contribuables qui paient leurs impôts à temps, ou encore inciter plus de
gens à avoir une activité physique. Suite à ce succès, le BIT fut
privatisé et commença à proposer ses services au-delà du secteur
gouvernemental. Dans la foulée, de nombreux organismes privés se sont
mis à proposer des services issus des théories de l’économie
comportementale. Certaines des techniques proposées ne sont pas
nécessairement nouvelles. Par exemple, les programmes de fidélité des
compagnies aériennes utilisent l’aversion à la perte pour
encourager les clients à continuer à voyager avec la compagnie (afin de
ne pas perdre les avantages acquis, comme l’accès aux salons,
embarquement prioritaire, etc).
Existe-t-il des biais ? Si oui, lesquels ?
Les biais de décisions utilisés dans le Nudge sont multiples, et
certains peuvent être considérés comme des biais
‘classiques’ et sont relativement anciens. Citons par
exemple l’aversion à la perte, c’est-à-dire que les
individus sont plus sensibles et réagissent plus à l’idée de
perdre quelque chose, que de gagner quelque chose. Un autre biais, le
biais de temporalité, suggère par exemple que les individus favorisent
le court terme sur le long terme, et préfèrent, par exemple, obtenir
moins sur le court terme (e.g. 5 euros tout de suite), que plus sur le
long terme (10 euros dans 4 semaines). Un des autres aspects important
du Nudge est la dimension expérimentale dans l’implémentation des
Nudges. Dès lors qu’un principe ou une théorie du Nudge est
utilisée, il convient de tester son efficacité dans le cadre d’un
design expérimental, afin de s’assurer de l’efficacité de
celui-ci.
Tout est-il « nudgable » ?
C’est une excellente question ! En théorie, beaucoup de
comportements peuvent être « nudgés », c’est-à-dire influencés.
Les organismes publics qui utilisent le Nudge le font sur des sujets
extrêmement variés, allant des comportements de santé au respect du tri
des déchets. Les entreprises privées se focalisent plus sur certains
comportements. Par exemple, l’industrie pharmaceutique va utiliser
le Nudge afin d’augmenter l’observance des patients à leur
traitement. Une salle de fitness peut utiliser le Nudge afin de
renforcer la fidélité des clients, et optimiser l’utilisation et
la fréquentation de la salle. En revanche, certains types de biais sont
probablement plus adaptables à certains types d’individus /
décision. Les biais de décisions liés à la temporalité, par exemple,
sont plus susceptibles d’affecter le comportement
d’adolescents ou de jeunes adultes. En somme, pour qu’un
Nudge fonctionne, il faut que l’entreprise ait bien identifié et
définit un comportement cible à changer, car le Nudge se focalise sur le
comportement, plus que sur les attitudes et perception. Un des intérêts
principaux du Nudge réside dans le fait qu’il est très facile de
mesurer quantitativement ses effets, et donc de mesurer le retour sur
investissement.
Quelles sont les limites du Nudge appliqué au marketing
?
La principale limite est que les consommateurs peuvent s’habituer
au Nudge, comme ils s’habituent à toute autre forme de techniques
de persuasion et d’influence. Comme en marketing, si un magasin
solde ou propose des remises toute l’année, les consommateurs
s’y habituent et n’achètent plus hors période de remise ou
solde. De la même manière, utiliser les mêmes techniques de Nudge tout
le temps sur les mêmes consommateurs peut faire perdre de son efficacité
à ces techniques. Pour remédier à cela, il convient de combiner ou
d’alterner différents Nudges entre eux, et de mesurer leur
efficacité respective grâce à des protocoles expérimentaux. Etant donné
que les principes du Nudge sont nombreux, et que de nouveaux biais de
décisions sont régulièrement découverts par de nouveaux travaux de
psychologie, le Nudge a un bel avenir devant lui. Il existe également
des questions éthiques liées à l’utilisation du Nudge.
L’influence étant souvent imperceptible, l’utilisation du
Nudge au-delà de la sphère publique fait parfois l’objet de
débats, même si certains biais exploités sont proches des techniques
marketing traditionnelles. Enfin, le futur du Nudge passe également par
la combinaison du Nudge avec d’autres outils modernes du
marketing. Par exemple, le Nudge se marie très bien avec la
‘gamification’, qui transforme les comportements désirés en
jeux. De même, les données collectées grâce aux ‘Big Data’
peuvent permettre de mieux concevoir un Nudge, en adaptant les principes
utilisés aux profils des personnes ciblées. L’analyse des Big Data
peut par ailleurs permettre de mettre en évidence de nouveaux biais de
décision.