La technologie de l’enquête en ligne introduit un bouleversement important dans les méthodes et habitudes de travail des professionnels du secteur. Elle implique des investissements humains et matériels importants que certains acceptent avec enthousiasme au vu des avantages de la technologie et que d’autres rejettent avec vigueur, en faisant valoir avant tout ses inconvénients. Ce processus obéit à des règles bien connues en matière d’adoption des technologies nouvelles.
Lorsqu’une technologie nouvelle arrive, tout le monde ne l’adopte pas au même rythme et au même moment. Un schéma de diffusion des innovations a été théorisé par le sociologue américain Everett Rogers dans les années 60 et a été complété au début des années 90 par Geoffrey Moore. Ces modèles éclairent le rythme de diffusion de la technologie des études en ligne.
La théorie de la diffusion des innovations de Rogers
D’après Everett Rogers une innovation va intéresser successivement 5 groupes d’utilisateurs potentiels :
- Les innovateurs, toujours à l’affût des dernières idées et des concepts
les plus récents, se lancent dans l’aventure dès le départ, en ne voyant
que les apports positifs potentiels et en acceptant de prendre des
risques importants. Ces techno-enthousiastes représentent environ 3% des
utilisateurs potentiels d’un produit ou d’un service.
- Les visionnaires (ou early adopters) moins aventuriers que les
innovateurs, sont capables de s’intéresser à une technologie prometteuse
bien avant la grande masse des utilisateurs. Cette catégorie accepte de
faire des efforts pour s’adapter à la nouveauté, à la faire évoluer dans
le bon sens et à en tirer les bénéfices sans trop se focaliser sur les
inconvénients (considérés comme passagers). Ces visionnaires
représentent environ 13% des utilisateurs.
- La majorité précoce est constituée d’acheteurs pragmatiques qui
n’adoptent la technologie qu’une fois que celle-ci est arrivée à
maturité. Ces acheteurs n’acceptent de prendre le risque d’intégrer une
technique nouvelle que si celle-ci améliore de manière prouvée leurs
pratiques actuelles et leur apporte un prolongement à valeur ajoutée.
Cette majorité précoce représente environ un tiers du marché.
- La majorité tardive regroupe des acheteurs très conservateurs, qui
voient les innovations techniques avec une certaine crainte. Ils
n’acceptent de franchir le cap que lorsque la nouveauté s’est
complètement imposée et qu’il leur faut l’adopter pour “rester dans le
coup”. Cette catégorie correspond également à un tiers des utilisateurs
potentiels.
- Les traînards ou réfractaires composent la minorité qui restera à
l’écart de la nouveauté, par scepticisme ou idéologie. Ils représentent
généralement 16% du marché.
Le gouffre de Moore
Dans son ouvrage “Crossing the Chasm” paru en 1991, qui est devenu rapidement un best-seller et a inspiré de nombreux stratèges sur les marchés des nouvelles technologies, Geoffrey Moore vient apporter un éclairage intéressant sur le rythme d’adoption des nouvelles technologies par les différents groupes. Il met notamment en évidence ce qu’il désigne par “Gouffre” et qu’il situe juste avant l’acceptation de la nouvelle technologie par la majorité précoce.
Certaines innovations franchissent le gouffre et passent dans le marché de masse en faisant d’abord la conquête de la majorité de pragmatiques puis, tout naturellement, le reste des utilisateurs potentiels. D’autres sombrent dans le gouffre faute de convaincre la majorité précoce. La clé de la réussite se situe donc dans ce passage délicat, ce qui s’explique par la très grande différence des valeurs et des attentes entre les visionnaires et les pragmatiques.
En effet, alors que les visionnaires perçoivent avant tout le potentiel de l’innovation, les pragmatiques attendent comme nous l’avons indiqué plus haut, que le produit ou service ait atteint sa maturité. Celle-ci est évaluée en fonction de la fiabilité de l’innovation, de ses apports concrets sur les processus existants mais aussi et surtout, de l’environnement du produit ou service.
En effet, les pragmatiques cherchent à s’assurer que le marché offre une infrastructure suffisante pour supporter l’innovation. Ils ne sont en confiance que sur des marchés proposant plusieurs offres concurrentes et disposant d’une large gamme de services associés. Paradoxalement, ils sont encore plus rassurés par l’éclosion sur le marché d’un leader clairement identifié.
La situation sur le marché des études en ligne
Les études en ligne se développent à grande vitesse et promettent de représenter, dans les prochaines années une part significative de l’ensemble du secteur.
L’Amérique du Nord et les pays Scandinaves semblent avoir pris une avance importante dans le domaine. Il est vrai que dans ces pays, plus de 70% des habitants ont accès à Internet à leur domicile. Dans des pays où ce taux avoisine les 55% comme l’Allemagne et surtout la Grande Bretagne, les enquêtes en ligne connaissent également un développement important.
En France, le taux d’équipement approche, selon les dernières études, les 50%. Mais nous sommes le pays qui connaît l’augmentation la plus forte en Europe du nombre d’internautes. Malgré la grande tradition française en matière d’études de marché qui a parfois ralenti l’appropriation de nouvelles méthodologies telles que l’enquête en ligne, on assiste aujourd’hui sur le marché français à un foisonnement d’initiatives et à un développement important de l’offre.
Dans tous ces pays et dans beaucoup d’autres (Australie, Japon et certains autres pays d’Asie…), on peut considérer que les enquêtes en ligne ont déjà franchi le gouffre et concernent aujourd’hui la majorité des utilisateurs.
Tous les paramètres s’accordent avec les critères de maturité du marché évoqués plus haut :
- Les entreprises et les instituts qui s’intéressent à cette nouvelle
technologie trouvent aujourd’hui très facilement des offres diversifiées
émanant de différents fournisseurs : plateformes logicielles, services
ASP, service bureau de sous-traitance.
- De plus en plus de fournisseurs proposent les services annexes
essentiels comme, par exemple, les panels permettant de constituer
rapidement des échantillons.
- L’enquête en ligne a prouvé qu’elle pouvait remplacer
avantageusement une bonne partie des méthodes classiques, en offrant la
même sécurité et en permettant d’arriver aux mêmes résultats.
Logiquement, on devrait donc assister, dans les mois et années à venir à
la généralisation de cette nouvelle technologie d’enquêtes à l’ensemble
des utilisateurs potentiels (hors la minorité de “traînards”), d’autant
que les taux de pénétration de l’Internet devraient, selon toutes les
études prospectives dépasser d’ici 2007, dans les principaux pays
consommateurs d’études, le taux de 60% de la population.