Au-delà de la politique, comment faire du sondage d’opinion un véritable outil d’aide à la gestion de votre collectivité ?
L’enquête d’opinion : pour quoi faire ?
Les termes « enquêtes d’opinion » renvoient presque immanquablement
– dans l’esprit du grand public, et parfois également des
professionnels – aux résultats de sondage que publient quasiment
quotidiennement les organes de presse.
Or, les commanditaires de ces enquêtes d’opinion poursuivent bien
souvent des buts à cent lieues des préoccupations d’une collectivité :
- Obtenir une matière rédactionnelle relativement peu onéreuse : acheter
une question à Ipsos ou TNS Sofres coûte certainement moins cher qu’un
reportage en profondeur sur un thème de société ;
- Bénéficier d’une couverture médiatique ;
- Incidemment alimenter les colonnes des commentateurs politiques
On conçoit aisément que de telles enquêtes soient utiles aux états-majors
; il n’est pas incongru pour les amis de Jean-Marc Ayrault de déterminer
par voie d’enquêtes l’image résultant du passage à Matignon de leur
candidat.
Mais lorsque les spécialistes du Marketing Politique transposent à
l’échelon local de tels sondages, le paysage se gâte.
En effet, autant il est certain que tout français-électeur s’est un tant
soit peu formé une opinion sur l’action du gouvernement Ayrault et que
donc il est possible de mesurer cette image, autant rien ne prouve que
l’image de l’action du Conseil Général de l’Ardèche mesurée auprès des
ardéchois n’ait pas quelque peu été induite… par le sondage.
A ce propos, Patrick Champagne défendait déjà en 1990 dans son ouvrage «
Faire l’opinion – le nouveau jeu politique » – un ouvrage trop peu
commenté – la thèse que les sondages créent l’opinion publique
plus qu’ils ne la mesurent :
- Pour les 1000 personnes sondées : leur poser une question qu’ils ne se
seraient jamais posé par eux-mêmes revient à leur imposer à la fois la
question et les réponses ;
- Pour les millions de téléspectateurs auxquels les résultats sont
communiqués, cette communication possède une puissance normative
évidente ; on leur dit quelle question se poser, et comment y répondre.
Ces quelques réflexions devraient rester à l’esprit de tout utilisateur
d’un sondage destiné à une collectivité.
Par manque de « conscience politique » locale, par la faute d’une
mauvaise diffusion de l’information à l’échelon local sur des
politiques, et d’une manière générale par le fait de la faiblesse des
vies politiques locales comparées à la vie politique nationale, le
risque est grand de voir les sondés adopter une opinion grâce au
sondage. Par évidence, cette opinion ne sera pas partagé par l’immense
majorité de leurs concitoyens qui auront eu la malchance de ne pas avoir
été sondé.
Tout professionnel des sondages sait à quel point une question peut
devenir un très subtil outil de manipulation ; l’ennui provient du fait
que celle-ci intervient parfois de manière involontaire !
C’est donc bien à juste titre, qu’un élu local et son conseil en
communication peuvent se poser la question de la contribution effective
des enquêtes dans l’accomplissement de leurs missions essentielles :
- Définir des politiques,
- Evaluer l’impact des décisions à prendre,
- Sensibiliser leurs concitoyens à leur action,
Le présent dossier vise précisément à apporter notre réponse de professionnels à ces questions.
Le marketing des collectivités
Avant de tenter une re-définition de l’étude d’opinion adaptée aux collectivités, il est inutile de revenir sur ce qui différencie – pour ne pas dire oppose – le Marketing d’une collectivité au Marketing stricto sensu.
Ne pas se tromper de « produit »
La tendance naturelle des hommes de Marketing est de tenir tous les
objets d’étude pour des « produits » ; pour eux une collectivité est un
« produit » ; très vite elle risque de devenir un produit comme un
autre.
Or, l’application pure et simple des concepts du Marketing-produit à une
collectivité n’est pas opérationnelle.
La théorie voudrait que l’on mette sur le marché un produit qui réponde
à un tel point aux attentes des acheteurs qu’il se vende presque de
lui-même.
Chacun des termes de cette proposition est contestable, si on les
applique à une collectivité.
Le produit, c’est le marché
On peut difficilement dissocier d’un côté les équipes élues en charge de
la gestion de la collectivité, les Institutions du pouvoir politique
local de l’autre côté des populations. Les premières ne sont pas un
produit que l’on propose aux dernières. Il existe au contraire une
imbrication profonde.
Par exemple, l’institution départementale, bien que bicentenaire, est
encore trop effacée dans le jeu politique pour vivre d’une manière
autonome ; elle a besoin de s’appuyer sur un terroir, un territoire,
voire un certain chauvinisme départemental donc sur l’identification de
la population à son département.
Pour pousser l’analogie, il ne s’agit pas tant de « mettre sur le marché
» un produit départemental acceptable sur les habitants que de « créer
le marché ».
Un élu n’est pas un produit
Le propos de cette boutade ne relève pas seulement de la préservation de
l’amour-propre de certains. En Marketing, un produit est une entité
malléable que l’on modèle à l’image des attentes des acheteurs afin d’en
faciliter les ventes. En politique locale, il est plus opérationnel de
considérer l’inverse : les élus ont leur personnalité propre, leur
sensibilité propre ; il n’est pas réellement question qu’ils reviennent
sur l’une comme sur l’autre, guidés en cela par des sondages.
Il en va de même des politiques locales ; la très grande majorité des
élus locaux ont résisté à la tentation de proposer des politiques
locales d’inspiration démagogique (i.e. en langage Marketing collant aux
attentes de l’opinion) uniquement dans le but « de faire de la notoriété
».
Au contraire, les politiques locales semblent plutôt discrètes ; dans le
meilleur des cas, elles sont définies en ayant recours à des procédures
plus ou moins complexes de consultations de groupes d’habitants.
Les acheteurs n’ont pas d’attentes
L’expérience prouve que la recherche des attentes des électeurs
habitants/acheteurs pose plus de questions qu’elle n’en résout.
Tout d’abord, si l’on reste très vague (non-directif), les attentes
remontées par les enquêtes n’apportent rien de nouveau :
- Elles se limitent à des généralités pour lesquelles on aurait pu faire
l’économie d’une étude : « que la commune soit bien gérée », « que les
impôts locaux n’augmentent pas » ….
- A l’inverse, elles sont trop précises (réparer les trottoirs,
réaménager les berges) ou sectorielles (aider les agriculteurs, …)
- Ou alors, elles sont en dehors des compétences de la collectivité
qui commandite l’enquête …
Les études prouvent surtout une chose très saine : les sondages ne sont pas très utilisables afin de définir les politiques qu’une collectivité doit mettre en place.
Un marché d’acheteurs
En fait, les habitants/électeurs attendent leurs hommes politiques locaux
au tournant : à eux d’innover dans la définition des politiques ; aux
habitants d’apprécier – s’ils sont en mesure de le faire,
c’est-à-dire s’ils sont informés avec efficacité.
Dès lors l’important n’est pas de concocter des politiques dans le but
de plaire, mais plutôt de faire en sorte que l’institution locale soit
perçue comme « agissante », c’est-à-dire qu’elle mette en œuvre
des actions politiques efficaces – là où un besoin plus ou moins
flou se fait sentir ; ou bien de sensibiliser les habitants à la
nécessité des politiques que leurs élus ont adopté.
C’est le cas typique des politiques en matière de transport en commun :
comment faire comprendre la nécessité dans un premier temps d’investir
lourdement dans des transports en commun en site propre, puis de
l’obligation de restreindre la circulation en centre-ville alors que de
tous les Européens, les Français sont les plus attachés à la liberté
d’usage de l’automobile individuelle ?
Les objectifs du marketing des collectivités
Des quelques considérations que nous venons d’évoquer, il ressort que le
Marketing des Collectivités poursuit des objectifs qui ne sont ni ceux
du Marketing stricto sensu, ni du Marketing des Etats-Majors.
Les institutions locales se doivent en effet :
- Dans le pire des cas d’être perçues comme « existantes », dans le
meilleur des cas d’obtenir l’adhésion sur les politiques qui sont
conduites,
- Plus prosaïquement, imaginer des projets qui répondront à des
besoins effectifs des populations,
- Plus globalement, provoquer la satisfaction de leurs
concitoyens-administrés-usagers.
Obtenir l’adhésion
En démocratie locale, l’essence d’une collectivité réside bien dans la
mise en œuvre de politiques qui correspondent à l’intérêt général
(analysé au travers de la sensibilité politique des élus).
S’il est vrai que l’on fait le bonheur de gens malgré eux, appliquer
trop à la lettre cet adage procède à la fois du suicide politique et
institutionnel.
Une saine répartition des tâches consiste pour les pouvoirs politiques
locaux à être imaginatifs dans la définition de politiques utiles à la
collectivité, dans l’affirmation par ce biais de leur « existence »,
puis aux habitants de manifester leur adhésion ou leur rejet.
Par évidence, l’objectif premier du Marketing des collectivités est donc
bien de rechercher les moyens d’éveiller l’adhésion.
Valider les projets
Chacun sait bien que l’indice qu’une collectivité se découvre surtout
dans la concrétisation de ses projets ; l’ont bien compris toutes les
institutions qui agrémentent leurs travaux de signalisations puisés dans
la même rivière : « le Conseil général améliore les routes », « la Ville
de … investit » …
Les projets sont la « signalétique » ; la tangibilisation des politiques
d’une collectivité. Maximiser leur impact est donc bien le second
objectif du Marketing des collectivités.
Encore convient-il de ne pas se tromper d’objectif : à notre sens,
l’important n’est pas de maximiser l’impact de la communication autour
du projet (qui à n’en pas douter sera de toute manière éphémère), mais
l’impact du projet en lui-même.
Profiter de l’effet de levier d’un équipement nouveau, c’est
successivement :
- être certain qu’il répondra à des besoins, c’est-à-dire qu’il aura des
usagers,
- être certain qu’il soit acceptable : autant par son esthétique,
que par son impact sur la fiscalité locale par exemple,
- savoir comment valoriser cet équipement auprès des futurs usagers.
Donner satisfaction
Une collectivité n’échappe pas à la problématique générale de la satisfaction :
- comment définir la satisfaction qu’une collectivité peut apporter aux
populations à l’égard des politiques qu’elle conduit ?
- comment être certain que les critères sur lesquels l’on est jugé
sont ceux auxquels l’on pense (et dans lesquels croient surtout vos plus
fervents partisans) ?
- comment isoler les actions qui entrainent véritablement un
surcroit de satisfaction de celles qui sont parfaitement neutres ?
Re-définition de l’enquête d’opinion
A ce stade, on comprend aisément le besoin de re-définir ce que doit apporter une enquête d’opinion à une collectivité car les problématiques usuelles de l’enquête d’opinion, comme celles du Marketing Politique (de type Etats-Majors) sont généralement inopérantes.
De l’image des élus à l’image de la collectivité
Selon nous, les praticiens des études d’opinion doivent inciter l’homme
politique local respectueux du sens du mandat qui lui est confié non pas
à mesurer sa propre image personnelle mais plutôt celle de sa
collectivité auprès de ses concitoyens.
Sans parler de l’éthique de la fonction, uniquement sous un aspect
méthodologique, la mesure de l’image des élus locaux nous semble dans la
majorité des cas relativement vaine.
Rappelons qu’il est impératif pour que la mesure soit valide, que
l’image que l’on aspire à mesurer précède le sondage (objectivement, peu
d’élus peuvent s’en targuer). A l’inverse, la mesure d’image obtenue ne
témoignera de rien, sauf peut-être de la velléité des enquêteurs à
obtenir une réponse des personnes qu’ils auront en charge
d’interroger.
Un simple conseil à tout élu local à qui l’on propose un sondage d’image
: qu’il demande à l’institut de sondage de faire réaliser un « pilote »;
un test en réel avec le questionnaire envisagé en enregistrant les
réactions des personnes interrogées, puis qu’il écoute lui-même les
enregistrements audio ou vidéo. Il n’est pas meilleur moyen de se rendre
compte du réalisme des réponses aux questions posées.
Par ailleurs, quel type de décision une collectivité peut-elle prendre
grâce à la connaissance de l’image que leurs concitoyens se font de
leurs élus ? Une collectivité peut-elle se permettre d’investir dans une
enquête à fond d’auto-satisfaction ou d’auto-flagellation ?
S’il est important de glisser du terrain des images personnelles au
terrain de l’image de la collectivité, c’est parce que c’est sur ce
terrain que se situent les enjeux :
- la connaissance des compétences effectives de la collectivité est-elle
suffisante auprès de la population ? Le vote local est-il perçu comme
utile ?
- les populations perçoivent-elles véritablement l’exécution et les
effets des principales politiques mises en œuvre par la collectivité ?
- peut-on déceler un début d’adhésion ou de rejet de ces politiques
?
De l’opinion au comportement
Les visées d’une enquête dite d’opinion sont parfois très pragmatiques ;
pour une collectivité, beaucoup plus que pour l’Etat qui identifie ses
politiques avec la loi, une politique locale se confond généralement
avec un projet d’aménagement.
La politique « éducative » des collectivités équivaut généralement à la
construction ou la rénovation de lycées, collèges et écoles … Une
politique des transports publics, c’est l’ouverture de lignes… Une
politique des déplacements, c’est la construction de parcs souterrains…
L’urbanisme, c’est l’aménagement du centre-ville…
Autrement dit, l’adhésion à une politique égale le plus souvent l’impact
des équipements que cette politique sous-tend. Une médiathèque inadaptée
et désertée traduit vite l’échec d’une politique culturelle.
Il s’en suit que les études de faisabilité (avant la décision
d’aménagement) puis d’impact (après la décision) sont en définitives
plus lourdes de sens que les seules études d’opinion.
Le titre de ce chapitre s’explique alors très naturellement : l’opinion
des habitants sur une réalisation compte peut-être moins que les
comportements effectifs des habitants (usagers potentiels) à son égard :
- un équipement culturel n’a de sens que s’il répond aux pratiques et
sorties culturelles de ceux à qui il se destine ;
- une desserte inter-urbaine n’est un acte justifié de politique des
transports que si elle capte réellement des déplacements;
- et cætera
L’étude des comportements avant la décision d’un équipement nouveau, la prévision de l’usage qui sera fait de cet équipement sont de très bon prédicateurs de l’adhésion qu’une collectivité peut remporter grâce à ses projets.
Des besoins de l’offre
Ce n’est pas au sondeur de faire l’inventaire des besoins des habitants
(i.e. en leur demandant de les énoncer) ; définir les besoins est la
tâche du technicien : urbaniste, sociologue, assistant social,
économiste, … Dans une collectivité, les besoins sonnent le plus souvent
comme des évidences.
Quasiment par définition, les besoins sont « insondables » : multiples,
contradictoires, à des niveaux de priorité souvent équivalents. Avec
l’appui de techniciens, la tâche de l’élu est de répondre à ces besoins
par des offres cohérentes, techniquement viables et faisables.
L’expert en enquêtes dites d’opinion est l’un de ces techniciens dont
l’apport saura être conséquent :
- Par le biais de l’étude des comportements actuels, par la prévision des
comportements induits par les projets à l’étude, il prend une part
active au « ficelage » du projet : qui est concerné ? Quel bénéfice la
population en retire effectivement ?
- Egalement, par le biais de l’étude de l’environnement social d’un
projet (étude basée sur un quartier par exemple), il valide le projet
quant à son acceptabilité globale.
Pour résumer, une enquête permet de « tester un projet sans avoir à le
réaliser ; il s’agit en cela d’une aide à la décision de la plus grande
utilité.
Les élus qui se sont livrés à l’expérience du référendum municipal ont
bien ressenti cette exigence : évaluer l’adhésion des habitants à un
projet. Le référendum n’est certes pas sans inconvénient : créateur de
remous, il laisse planer quelque peu le doute sur la capacité de
l’équipe municipale à décider en toute responsabilité ; enfin, en cas
d’échec, il fige la situation en l’état et retarde la résolution de
problèmes qui de tout manière se posaient. L’enquête, plus discrète,
plus fouillée et minutieuse, permet à l’inverse de « prendre le pouls »
tout en fournissant une contribution à la prise de décision.
Comment réaliser une enquête par questionnaire ?
L’enquête par questionnaire est une méthode de récolte d’informations à
la fois rapide et efficace si elle est bien pratiquée.
Par certains aspects, elle donne l’impression de facilité : les
questionnaires que nous voyons dans les journaux semblent simples à
réaliser. Pour d’autres, elle parait complètement inaccessible : les
résultats des sondages préélectoraux semblent le fruit de calculs
complexes que seuls des statisticiens chevronnés peuvent
effectuer.
La réalité se situe entre ces deux extrêmes. L’enquête par questionnaire
est une technique qui demande à la fois de la rigueur et du bon
sens.
La connaissance de quelques garde-fous est indispensable pour éviter les
nombreux écueils qu’elle comporte.
Sélection d’un échantillon
Qui interroger ?
Souvent l’échantillon est rapidement associé à la fiabilité des résultats
obtenus ; l’expression « échantillons représentatif » est passée dans le
vocabulaire presque-courant.
Il ne faut cependant pas se limiter à ces seules considérations mais
plutôt se poser les bonnes questions :
- Qui détient l’information que nous souhaitons obtenir ?
- Tous les habitants sont-ils également « intéressants »,
c’est-à-dire porteurs de réponses pertinentes à l’égard du phénomène
étudié ?
- Peut-on à priori supposer que les comportements et opinions sur le
phénomène étudié sont plutôt homogènes ou hétérogènes au sein de la «
population de référence » ?
- En quoi veut-on que l’échantillon soit représentatif de la
population ?
Ainsi, à chaque problématique d’enquête, il existe généralement une
méthode d’échantillonnage spécifique (i.e. choisir qui l’on souhaite
interroger). Se contenter d’un « traditionnel » échantillon dit
représentatif constitué selon la méthode des quotas n’est pas toujours
pertinent.
La « population de référence », celle que l’on souhaite représenter,
n’est pas nécessairement l’ensemble de la population de la collectivité
: il peut s’agir d’un quartier, mais aussi d’une catégorie
particulière.
Par exemple, dans une étude sur l’usage de l’automobile en centre-ville,
la population de référence est la population des « automobilistes
usagers » du centre-ville ; la définition se complique alors : doit-on
considérer les seuls habitants de la commune ? à partir de quelle
fréquence d’usage est-on « usager » : à partir d’au moins un déplacement
motorisé par semaine en centre-ville ou plus ? Si telle est la
définition retenue, ne faut-il pas également enquêter auprès des usagers
moins fréquents si l’on s’aperçoit qu’ils représentent 20% du trafic
?
Une fois la population de référence déterminée, se pose la question de
l’« unité statistique » : qui interroge-t-on ? les individus ? les
ménages ? les usagers à l’intérieur du ménage ? les répondants
doivent-ils compter pour eux-mêmes ou bien pour leur « quantité d’usage
ou de consommation » ?
Concrètement : dans une étude d’urbanisme s’attachant aux besoins en
logements des résidents d’une collectivité, il faut considérer le ménage
du répondant car c’est le ménage en tant que tel qui souhaite améliorer
sa qualité de vie par un logement plus adapté à ses aspirations. Mais
les besoins en logement émanent aussi de la « dé-cohabitation », des
jeunes qui quittent leurs parents. Une telle enquête concerne donc deux
unités statistiques : les ménages, ainsi que les futurs « dé-cohabitants
».
Combien de personnes interroger ?
Tous les facteurs considérés, ce n’est pas nécessairement la taille de
l’échantillon qui fait la qualité d’un sondage : un mauvais
questionnaire posé à 1000 personnes mal choisies donne l’apparence de la
fiabilité là où 100 enquêtes minutieusement préparées auraient pu
suffire.
A ce propos, contrairement aux apparences, la fiabilité d’un échantillon
n’est pas tout à fait proportionnelle à sa taille. En effet, à partir
d’un certain seuil, les formules statistiques indiquent que la fiabilité
de l’échantillon augmente dans des proportions infimes quelque soit la
taille de la population de base. C’est pour cette raison que certains
sondages politiques se contentent de 600 personnes.
A quelques nuances près, un sondage effectué en Chine auprès de 500
personnes est aussi fiable que le même sondage auprès de 500
Quimpérois.
La théorie fournit pour chaque taille d’échantillon un « intervalle de
confiance », fourchette à l’intérieur de laquelle la « vraie » mesure
devrait graviter. Nous écrivons « devrait » au conditionnel car il ne
s’agit en fait généralement que d’une forte probabilité !
De fait, l’important c’est d’opter pour une taille d’échantillon qui
produise un intervalle de confiance « acceptable » ; l’acceptabilité
dépend donc beaucoup du phénomène étudié. On peut parfois tolérer de se
tromper de 10%…
Dans la pratique, il faut considérer qu’un échantillon est admissible
(susceptible de donner des ordres de grandeur) à partir de 100 personnes
et qu’il devient suffisamment fiable à partir de 250 à 300 personnes. A
partir de 500 personnes, les gains en fiabilité sont minimes.
Les critères de représentativité
« …auprès d’un échantillon national représentatif de 1012 personnes âgées
de 18 ans et plus, et constitué selon la méthode des quotas. » : peut-on
lire dans un article de l’express concernant les sondages politiques en
2012.
Faut-il user de mimétisme et appliquer cette désormais classique méthode
des quotas à un sondage réalisé par une collectivité.
Tout d’abord, cette méthode n’est pas unique ; il lui existe une
alternative : le sondage aléatoire, qui consiste à tirer au hasard les
répondants.
La difficulté de reconstituer un vrai « hasard », les doutes des
praticiens devant les faibles populations ont peu à peu fait préférer la
méthode des quotas, qui présente l’avantage d’être rassurante.
Le postulat de base de la méthode des quotas est de dire qu’un
échantillon qui reproduit certaines caractéristiques de base de la
population de référence doit bien « représenter » cette population mère
: par exemple si l’échantillon présente la même structure par sexe, âge
et professions que la population mère il sera réputé être représentatif
de cette dernière, y compris pour toutes les autres questions
posées.
Généralement les critères choisis sont ceux précédemment cités, plus la
catégorie d’agglomération, la taille et la composition du foyer.
Surtout, il n’est inutile de se demander si ces « quotas » sont les plus
pertinents au regard du thème de l’enquête que l’on souhaite conduire.
Par exemple, dans le cas du logement, il semblera opportun de rajouter :
l’habitat (individuel ou collectif), ou le statut d’occupation
(locataire ou propriétaire).
Technique d’interview
Pour les enquêtes auprès de vastes échantillons, quatre techniques
d’interview coexistent actuellement : l’interview en face-à-face
(généralement à domicile), l’interview téléphonique, l’interview
web et l’interview mobile.
Toutes présentent des avantages et des inconvénients :
Souvenons nous que la pertinence de la méthodologie à l’égard du thème de l’enquête doit primer sur la facilité : parfois le recueil d’information sera plus astucieux :
- Interrogation des parents d’élèves empruntant les transports scolaires
au moyen d’un questionnaire remis aux enfants dans les autobus ;
- Interrogation des automobilistes venant de stationner sur la
voirie ;
- Questionnaire auto-administré remis aux usagers d’un service
public ;
- L’enquête auto-administrée reste néanmoins à déconseiller : la
constitution de l’échantillon est alors totalement incontrôlée ;
- Enfin, aucune méthode ne peut écarter le phénomène de rumeur
provoqué par une enquête réalisée dans une ville de petite taille ; il
convient alors d’être très circonspect sur les tailles d’échantillon :
en effet, 300 questionnaires vont aisément nécessiter de prendre contact
avec de 900 à 1200 ménages, c’est-à-dire de solliciter environ 2200 à
3500 personnes.
Rédaction du questionnaire
Le (ou les) questionnaire(s) constituent la pièce maitresse d’une enquête. C’est le questionnaire qui détermine la richesse des résultats d’une étude. Il serait impensable de lancer une enquête sans avoir soigneusement étudié le questionnaire même si l’on demande à un prestataire extérieur de le concevoir.
Les qualités d’un « bon » questionnaire
Le questionnaire a pour objet de susciter de la part du répondant la
remontée des informations (sous forme de réponses) que l’on a jugées
nécessaires de détenir pour conclure.
Ainsi, un questionnaire ne se rédige pas au petit bonheur la chance. Il
convient avant toute chose de se demander quelles informations on
souhaite obtenir, puis si les répondants disposent effectivement de la
capacité à répondre.
Enfin, les répondants ne sont pas sollicités pour répondre exactement
aux questions que se pose le commanditaire de l’enquête. Un bon
questionnaire est un questionnaire qui décortique la problématique de
base en questions élémentaires auxquels le répondant saura parfaitement
répondre.
Par exemple, si l’enquête a pour but de mesurer l’impact de la
communication municipale, la question que se pose la municipalité (« ma
communication est-elle efficace ? ») ne doit pas devenir une question du
questionnaire d’enquête (« trouvez-vous la communication de votre ville
efficace ? »). Objectivement, un habitant ne peut pas répondre à cela.
Tout au contraire, il conviendra par un faisceau de questions
d’apprécier cette efficacité de la communication :
- La prise en main, la lecture des journaux municipaux
- L’utilisation de l’information municipale pour tel ou tel acte de
la vie courante
- La mémorisation d’événements de la vie municipale
- C’est à l’analyse que, reconstituant le puzzle des questions, l’on
parvient à conclure sur la problématique de base.
La formulation des questionsv
Un questionnaire doit contenir des questions :
- Claires pour les répondants : les termes doivent appartenir au langage
courant, avoir une signification identique pour tous ; en cas de doute,
ils doivent être définis dans la question. La question « faites-vous une
différence entre le conseil régional et le conseil général ? » est le
modèle même de question « incontrôlable » à laquelle les réponses
risquent d’être assez aléatoires.
- Concises : les questions trop longues sont à bannir surtout au
téléphone, il convient alors de s’efforcer de les scinder en plusieurs
sous-questions.
- Univoques : leur interprétation doit être claire : « à votre avis,
qui de l’état ou de votre département devrait financer le RSA » est une
question presque ininterprétable.
- Neutres : les questions ne doivent pas « dicter » les réponses.
- Précises : le rédacteur du questionnaire doit penser à l’analyste
: la question « combien pourriez-vous consacrer par mois pour vous
abonner à un parc de stationnement » sera une question toujours moins
probante que : « seriez-vous prêt à vous abonner à un parc de
stationnement pour 75 euros par mois ? ».
- Impliquant le répondant : « utilisez-vous les places de
stationnement payantes, gratuites ou non autorisées ? ».
Les garanties
Les garanties de disposer d’un questionnaire efficace sont au nombre de deux :
- Effectuer un « pilote », c’est-à-dire tester le questionnaire afin
d’évaluer le « fonctionnement » des questions.
- Si la nature des réactions des répondants aux questions est
difficilement prévisible, on lancera avant toute chose une « phase
qualitative ».
La « phase qualitative »
Cette phase préparatoire est une mini-enquête comportant toutes les phases d’une enquête complète :
- Problématique : déterminer comment les habitants réagissent à un thème
d’étude
- Questionnaire : rédaction d’un questionnaire ouvert visant à
laisser au répondant une liberté de réponse assez étendue afin de bien
inventorier les réactions possibles
- Administration : auprès d’un échantillon d’une trentaine de
personnes d’horizons assez diverses par des enquêteurs aguerries aux
méthodes non directives
- Préconisation : d’un questionnaire définitif constitué de
questions fermées qui traduisent effectivement les opinions possibles
des répondants, et non pas les aprioris des questionneurs.
L’exploitation des enquêtes
A la fin de la phase d’administration, le chargé d’étude se retrouve avec
une masse importante d’informations brutes (les questionnaires
d’enquête).
Il s’agit maintenant de produire des résultats présentés synthétiquement
qui doivent permettre de répondre aux objectifs de l’étude.
Il est utile, surtout quand le questionnaire contient de nombreuses
questions ouvertes de feuilleter un par un les exemplaires remplis. Ce
survol permet de se faire une première idée sur les opinions générales
exprimées mais également sur la manière, dont le remplissage a été
effectué (questions mal posées au vu des réponses, occurrences trop
fréquentes pour un enquêteur, trop de questions sans réponse).
Le dépouillement des questionnaires nécessite le recours à des moyens
informatiques. En effet, il serait fastidieux de relever manuellement
tous les résultats récoltés et surtout de croiser entre elles plusieurs
variables (ex : répartition des répondants à une question particulière
selon différentes tranches d’âge).
Tout dépouillement d’enquêtes comprend trois phases :
- Le paramétrage du questionnaire qui consiste à entrer dans l’ordinateur
la liste des questions contenues dans le questionnaire avec les
modalités de réponses proposées et le type de réponses attendues ;
- La saisie des questionnaires remplis, un par un ;
- La phase de traitement qui consiste à demander à l’ordinateur
l’édition des résultats sous formes de tableaux de tris à plat (sur une
seule variable) de tris croisés (deux variables) ou de tris multiples
(plusieurs variables). Certains logiciels de dépouillement d’enquêtes
comme Ethnos
permettent de représenter ces résultats sous forme graphique.