Fournir des résultats puissants, synthétiques, rapidement compréhensibles, communicatifs et rationnels… C’est naturellement ce que cherche à faire tout institut d’études et c’est ce qu’exigent aujourd’hui les clients. La méthode du storytelling peut aider grandement à l’atteinte de ces objectifs. Voyons comment…
« Je voudrais vous raconter trois histoires de ma vie, juste trois histoires » c’est ainsi que débutait le discours de Steve Jobs en 2005 devant les étudiants de Stanford University. Lors de chacune de ses conférences, Steve Jobs, passé maître en l’art de communiquer, entrait en scène et racontait une histoire, généralement un élément de sa propre biographie. Le légendaire fondateur d’Apple maîtrisait à la perfection cette technique, plus communément appelé le « storytelling » ou « communication narrative » en français (expression bien moins accrocheuse et donc peu usitée). Le storytelling est aujourd’hui une méthode très en vogue auprès des professionnels du marketing et des études qui y voient un puissant outil de communication et de persuasion.
Nous aimons les histoires, notre cerveau aussi
Sartre disait que « pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se mette à le raconter ».
Raconter des histoires n’est pas un concept nouveau. Nous en avons été nourris depuis notre plus jeune âge et avons tous développé une capacité à raconter des histoires, même si l’habilité en la matière est très variable d’un individu à l’autre. C’est finalement ce que nous faisons au quotidien, dans nos conversations, nos rêves, nos pensées… Et nous aimons celà généralement. C’est en tout cas ce qu’ont montré de nombreux travaux scientifiques comme ceux, par exemple du neuroscientifique Paul J. Zak. Ce dernier a cherché à savoir comment et pourquoi les histoires étaient capables de changer nos attitudes, nos avis, et nos comportements et comment elles agissaient sur notre cerveau. Il a mené pour cela l’expérience suivante : Il a recruté 100 personnes pour visionner un court film mettant en scène un père vivant ses derniers instants avec son fils, Ben, atteint d’un cancer. Après visionnage, les tests ont révélé que les participants avaient libéré deux molécules dans leur cerveau :
- le cortisol, une hormone produite en situation de stress mais qui va
par conséquent conduire les spectateurs à prêter une grande attention à
l’histoire
- l’ocytocine, l’hormone dite du plaisir, de
l’amour et de l’empathie.
Suite au visionnage la plupart des participants ont versé des dons pour une Fondation pour les enfants malades, ce qui montre l’effet des émotions ressenties et des réactions chimiques du cerveau associées, sur le comportement des individus.
Paul J. Zak a complété son expérience en faisant visionner à un autre échantillon une autre histoire. Celle-ci mettait en scène les mêmes protagonistes mais dans une scène de la vie quotidienne. Les participants s’en sont rapidement désintéressés dans la mesure où il ne s’y passait rien de captivant, et que rien n’était donc susceptible de retenir particulièrement l’attention des spectateurs.
« Boring data », « Big Stories »
C’est dans les années 1990, aux Etats-Unis que le storytelling a investi les logiques de communication. La France a emboîté le pas depuis quelquelques années. Raconter une histoire évoque de l’intérêt, suscite la curiosité. Bien exécutée, l’histoire va permettre d’accrocher la cible visée et de la divertir. Vous réussirez à toucher plus aisément votre auditoire par l’émotion et à remporter l’adhésion.
Beaucoup d’entreprises usent du storytelling pour communiquer leur promesse de marque, l’idée étant de vendre une idée plus qu’un produit. On peut prendre l’exemple d’Oasis, la célèbre marque de boisson sucrée est devenue une vraie star en la matière. Vous avez déjà sûrement déjà croisé Vanessa Poiradis ou Habemus Papay, les fruits personnifiés d’Oasis qui ont fait un véritable buzz. Dans chacune des pubs, une grande place est donnée au storytelling et à la scénarisation.
Le monde des études s’approprie aussi le storyelling à la fois au niveau de l’architecture des projets que de la communication des résultats. Pour Alison Esse, co-fondatrice de l’agence de conseil anglaise The Storytellers, le storytelling est l’outil d’apprentissage le plus efficace et les professionnels des études auraient tort de s’en priver !
Fini les powerpoints lassants et rébarbatifs. Intégrer l’émotion au cœur des présentations est la meilleure façon d’engager et de captiver le public. Nous accueillons une histoire bien mieux qu’un discours rationnel, et l’information ainsi transmise est bien mieux mémorisée. C’est un atout non négligeable dans un monde inondé de données pour délivrer une information claire, précise et communicante aux clients. Opinion Way, qui a largement intégré cette technique dans ses méthodes de restitution des résultats, a formé tous ses collaborateurs à l’art du storytelling. « Les instituts doivent arrêter de se positionner en expert de la donnée et opter pour une attitude moins prétentieuse. Etre le garant de la fiabilité des résultats est un pré-requis ; le rôle de l’institut d’études est d’effectuer un vrai travail curatif, d’extraire les données majeures. Il faut lui fournir des chiffres utiles et le sens que cela représente que ce soit au travers du data-design, de la vidéo ou du storytelling. La charge cognitive de l’individu est limitée. L’objectif est que le client comprenne rapidement et facilement.» nous explique Yann Aledo, Directeur Associé d’Opinion Way.
A la conférence Esomar d’Athènes en 2013, Patrick Young de DVL Smith expliquait dans sa conférence sur le pouvoir du storytelling : « le storytelling est un moyen de palier à la surcharge d’informations. Les histoires ont la capacité unique de lier l’information avec l’émotion, le contexte, et le sens. Le dernier point est certainement le plus important, les clients ne veulent pas d’une encyclopédie, ils veulent connaître les enseignements de la recherche ».
En effet, les donneurs d’ordre ne veulent pas être assommés par du détail inutile ni épatés par des présentateurs soucieux de montrer leur savoir-faire ; ils veulent juste savoir ce qu’ils doivent faire. Les bons analystes savent interpréter des informations, les connecter, leur donner du sens, et utiliser leurs connaissances pour faire vivre ces données.
Le storytelling est donc un moyen qui peut être utilisé lors des présentations à l’oral, ou bien dans la remise du rapport. Vous pouvez très bien combiner cette technique avec d’autres supports (vidéos, dessins, « visual storytelling ») qui vous permettront de faire « vivre » davantage vos données et de leur donner du sens.
Le storytelling peut également être utilisé lors de la conduite d’enquêtes. Pour Alison Esse : « Les administrateurs pourraient ainsi donner vie à une enquête en commençant la conversation par une accroche de ce type : raconte-moi une époque où … c’est une bonne manière d’engager la conversation. Il en sortira des échanges beaucoup plus riches et des réponses qui auront beaucoup plus de valeur. »
Les histoires sont bien plus efficaces dans la mémorisation des informations. Pourtant nous ne sommes pas tous capables de raconter des bonnes histoires. L’art du storytelling est une technique qui doit s’apprendre.
Comment construire une histoire efficace ?
Yann Aledo nous explique « Pour construire une histoire appliquée aux études marketing, il faut proposer un schéma narratif qui répond aux problématiques énoncées par le client. L’histoire doit comporter un nœud, des péripéties, une tension (pourquoi le consommateur consomme plutôt le produit A et pas le produit B), et un dénouement. L’histoire permet de produire du sens tout en suscitant l’intérêt du client. »
L’étude menée par Paul J. Zak a mis en évidence deux points importants. Pour qu’une histoire soit efficace elle doit retenir l’attention de l’auditoire, susciter de l’intérêt, et pouvoir le transporter dans l’univers décrit. Une histoire doit captiver. Paul J.Zak insiste sur le respect de la structure dramatique développée par Gustav Freytag (qui se base sur le travail d’Aristote !) pour construire une histoire efficace :
- L’exposition : la situation avant que
l’action commence.
- L’action montante : une série de conflits
et une crise.
- Le climax : le tournant, le point culminant de
l’histoire
- L’action tombante
- Le dénouement
Pour pouvoir maintenir l’attention de l’auditoire il faut continuellement augmenter la tension dans l’histoire. C’est exactement ce qui est mis en œuvre dans l’histoire de Ben, le petit garçon atteint du cancer : comment le père de Ben va-t-il réussir à profiter des dernières semaines d’existence de son fils ? Comment va-t-il surmonter cette épreuve ?
Au fil de l’histoire, l’auditeur essaye de rattacher les faits à ses expériences vécues. Ce travail inconscient du cortex cérébral favorise la mémorisation de l’histoire. L’attention est maintenue et les spectateurs commencent à s’identifier aux personnages. C’est ce que les spécialistes appellent « le transport narratif » pour décrire cet état : les auditeurs se « plongent » complètement dans l’histoire. C’est l’oxytocine qui en serait l’origine.
Dans ‘How stories change the brain’, Paul J.Zak précise : « Nos études ont démontré que lorsque le cerveau synthétise de l’oxytocine, les gens sont plus dignes de confiance, généreux, charitables et compatissants. J’ai surnommé l’oxytocine ‘la molécule morale’ et d’autres l’appellent l’hormone de l’amour ». L’effet que produit une histoire sur le cerveau humain, et sur son comportement, justifie l’aspect attractif qu’elle représente et son emploi croissant dans plusieurs domaines de l’activité humaine (politique, marketing, management, etc.).
Mise en œuvre
George Kuhn, Directeur des Services de recherche de la société d’études américaine Research & Marketing Strategies (RMS), propose cinq astuces pour appliquer le storytelling dans vos présentations :
- Construisez votre histoire. Si vous n’engagez pas votre audience
dans les 30 premières secondes vous avez déjà perdu leur attention.
- Utilisez des dashboards. Si vous ne pouvez pas vraiment dégager
les chiffres clés dans votre rapport, essayez de les condenser dans un
tableau de bord d’une page. C’est un outil simple qui permet
d’attirer l’attention de votre audience sur les chiffres qui
importent.
- Utilisez des thèmes. Une fois que vous avez vos diagrammes et
graphiques, prenez donc du recul et essayez de lier les données entre
elles.
- Appliquez la règle des 5 minutes : peu importe le temps que vous
avez consacré à la réalisation de cette étude, peu importe le nombre de
pages que comporte votre rapport, vous devez vous forcer à résumer les
données en cinq minutes. Quel est le message clé que vous voulez faire
passer ? Que voulez-vous qu’ils retiennent ? Vous devez vous
attarder sur ces points essentiels.
- Utilisez des annexes : de plus en plus de professionnels des
études positionnent certains résultats et autres analyses issues de
l’étude dans des annexes. Cela ne va pas dévaluer votre travail,
mais vous allez ainsi pouvoir vous assurer que le lecteur concentre
toute son attention sur ce qui est plus important
Tout cela nécessite bien sûr de l’effort et du temps ce qui freine parfois certaines ardeurs. Certains détracteurs font valoir que la recherche est un produit brut et que le storytelling pourrait lui nuire. Ces ‘puristes’ peuvent avoir raison mais vont à contre-courant, peut-être parfois par manque de confiance dans leurs capacités à s’inscrire dans le mouvement. C’est notamment à eux que David Smith de DLV Smith, a indiqué dans un congrès Esomar que ceux qui pensent « que l’art de raconter des histoires est réservé à une élite, à des gens comme Steve Jobs qui lancent des produits révolutionnaires, se trompent et auraient tort ne pas s’y essayer ».
« Je n’enseigne pas, je raconte » disait si justement Montaigne !