Les mutations sociétales et technologiques, contribuant à accorder aux Z un rôle d’acteur, rendent obsolètes les techniques du marketing, et plus particulièrement les études.
L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication a profondément modifié les rapports que les Z ont avec la consommation. Le Z apparaît aujourd’hui comme un « nouveau consommateur » évoluant dans une société digitale et interactive, s’appropriant de plus en plus les nouvelles technologies à des fins ludiques, informatives et interactives. Les Z changent de statuts et tout semble indiquer qu’ils sont de bons co-innovateurs ! Ils participent au développement de produits (mise en œuvre de la collection produit pour Brandy Merville) ou encore au développement de campagnes de communication (mise en œuvre de la communication pour la barre chocolaté Crunch de Nestlé), en étant directement co-créateurs.
Dès lors, à quoi bon administrer des questionnaires en mettant les Z dans une posture de consommateurs passifs, alors que ces derniers prennent de plus en plus de pouvoir (« empowerment »), contrôlent leur environnement et jouent un rôle de plus en plus actif, facilité par la démocratisation à l’accès aux nouvelles technologies ?
Les mutations sociétales et technologiques, contribuant à accorder aux Z un rôle d’acteur, rendent obsolètes les techniques du marketing, et plus particulièrement les études. Il ne s’agit pas seulement d’adapter les méthodologies à de nouveaux modes de recueils d’informations, mais il faut surtout comprendre un nouvel acteur en pleine évolution : le Z, qui est plus créatif et plus social. Cet article a pour objet de se pencher sur le statut co-créateur du Z afin de dégager de nouvelles pratiques d’études fondées sur la prise en considération des compétences de consommation des Z, qui se détournent des approches d’étude traditionnelles basées sur l’étude des profils des consommateurs.
1. Le Z : un consommateur complexe, s’inscrivant dans lère du « co »
On passe aujourd’hui du culte de la data à une culture de la data, avec un besoin de s’émanciper des données trop macro et des moyennes qui cachent souvent une réalité bien plus complexe. Au-delà du consommateur et acheteur Z, il y a l’individu. Le sujet Z est un consommateur aux aspirations contradictoires : quête d’autonomie et besoin de dépendance, volatile mais fidèle, compétent mais influençable, hyper-connecté mais besoin d’authenticité et de face à face… Les nouvelles relations familiales (relations plus égalitaires entre parents et enfants, familles déstructurées, recomposées), l’avènement des technologies de l’information et de la communication (mobilité accrue, dématérialisation des relations) et les conditions de vie de la société post-industrielle (surinformation, zapping, hypermédiatisation) participent à la construction du sujet Z « fragmenté », fait de caractéristiques contradictoires.
Ces conjugaisons d’aspirations contradictoires caractérisant le Z est à l’origine de nouveaux comportements de consommation s’inscrivant dans l’ère du « co », désignant « le faire ensemble » (co-promotion, co-production, co-création). Le sujet Z échappe au système marchand : il expérimente tout, y compris les différents types de rapports au marché, que ce soit le troc, l’échange, le partage mais aussi les formes alternatives de consommation plus collaborative, comme l’achat groupé (par exemple, la veste qu’on achète à quatre-cinq copines et qu’on se partage). Ces différentes formes alternatives de consommation sont un moyen d’apprendre, de « bricoler » et de découvrir le marché et renvoient à l’émergence d’un nouveau consommateur : le conso-acteur, encore connu sous le nom de « prosumer » (« prosommateur »). Le Z n’est plus seulement un consommateur passif mais c’est aussi un acteur même du marché : il est devenu source de création et d’innovation importante pour les marques et les entreprises. Prenons l’exemple du concept Follow me, entité de Gémo, qui a créé une enseigne exclusivement féminine en 2014 à Nantes et Août 2016 à Vannes, dédiée aux sujets Z urbains, offrant un service de personnalisation de sa paire de chaussures, permettant de répondre à leur besoin prégnant de créativité. Autre exemple : Brandy & Melville, marque de vêtements créée par un groupe d’amies du lycée, ayant la volonté “d’habiller les plus jolies filles de Paris”, propose des collections tendances à des prix abordables.
2. La remise en cause du market research pour scruter les insights des Z
Recourir aux approches d’études traditionnelles reposant sur les sondages et les trade off quantitatifs montrent rapidement leurs limites pour comprendre les insights des Z, inépuisables sources d’inspiration et d’innovation, pour plusieurs raisons :
1. Parce que les Z « gavés d’innovations plus formidables les unes que
les autres », aspirent à souffler ;
2. Parce que les Z se révèlent assez facilement incapables
d’exprimer d’autres attentes que les insatisfactions basiques et
récurrentes, comme « c’est compliqué », « c’est difficile »…
3. Enfin, parce que certains Z réagissent de manière désordonnée et
incohérente aux questions posées.m>Figure 1 : L’ours, le singe et la
banane (DervalResearch, imprimé avec permission)
Il est aussi peu réaliste de penser qu’il y a une seule catégorie uniforme de « Z », caractérisée par les mêmes comportements, les mêmes normes de conduite et les mêmes valeurs. Il existe de nombreuses catégories de Z qui se manifestent par des goûts musicaux, des vêtements, des façons de se comporter identiques ou ressemblantes au point que l’on parle de culture rock ou punk ou de tribu skater ou roller. Aujourd’hui, le marché des Z est de toute évidence fragmenté, d’où la nécessité de créer des segments sur le marché des jeunes pour bien cerner leurs inspirations. Le challenge du Consumer & Market Insight est de « dé-moyenniser » (De-Average en anglais) afin d’apporter une compréhension très fine du marché des Z, de leurs comportements d’achat et de consommation et de scruter leurs sources d’inspirations, qui sont des vecteurs de croissance pour l’entreprise. Si l’heure est aujourd’hui au consumer insight, les marketers s’interrogent : n’est-ce qu’un simple effet de mode ou est-ce une approche réellement pertinente et nécessaire pour innover en partenariat avec les Z ?
3. Le consumer insight : une nouvelle « arme » pour comprendre les sources d’inspiration des Z
Où aller chercher l’inspiration ? Etant donné qu’il est difficile de partir du « dire », face à une génération Z hyper connectée et fâchée avec l’orthographe, c’est le « faire » qui constitue la pierre angulaire de la nouvelle démarche. C’est en observant et en « faisant ensemble », qu’on trouvera les meilleures pistes d’innovations. La génération Z diffère de la génération précédente, la génération Y, nommée les Millenials ou génération « Petite Poussette » par Michel Serres. Cette génération Z, pourtant décrite comme hyper connectée, a besoin de sociabilité réelle en cherchant dans l’acte d’achat et de consommation un moyen de développer, maintenir et renforcer des liens sociaux. Si on s’attache au marketing, les Z recherchent dans leur expérience de shopping au point de vente physique la réalité augmentée, mais non la digitalisation à 100%. La digitalisation doit servir à renforcer les relations humaines et les expériences « émotionnelles » au point de vente.
C’est ce qu’a fait Séphora en déployant sa nouvelle expérience « Teach, Inspire, Play », portée par la technologie phygital, qui plait particulièrement aux Z. Les Z consommatrices peuvent y shopper via un Lookbook digital ou encoure utiliser le miroir connecté pour échanger en direct avec leur groupe d’amies. Si on s’attache au management, récemment, Jean-Laurent Cassely, journaliste à Slate.fr, a publié La révolte des premiers de la classe dans lequel il présente ces jeunes urbains diplômés qui quittent leurs jobs pour se reconvertir dans l’artisanat. Alors qu’ils vivent dans un monde ultra-connecté, les « Z » ont une forme d’admiration pour les métiers manuels, des métiers qu’ils jugent davantage porteurs de sens. Quelles conclusions en tirer pour les études ?
Face à la génération Z bercée par la culture de l’expérimentation et du « faire ensemble » (« do it together »), les marketers s’interrogent sur la pertinence sociologique de l’usage intensif des big data, smart data et autres « terminologies ». Il importe de ne plus se limiter aux études de profil du consommateur Z, mais plutôt de redonner une place centrale aux études structurelles, qui s’intéressent aux jeunes d’un point de vue holistique pour comprendre leur globalité de vie. Les méthodologies à mettre en œuvre débordent très largement le cadre des simples études marketing, et doivent se mettre au service de l’expérience de consommation et faisant écho à des human insights.
4. Le Z : un co-créateur dans les études
Dans ce contexte, la démarche ethnographique est une ressource pertinente qui dépasse le stade du déclaratif ainsi que les biais liés à la désirabilité sociale, pour placer les Z au cœur du processus d’innovation en s’immergeant dans leur environnement social et entrant dans leur vérité intime. Dans le domaine des jouets, la marque LEGO associe systématiquement les enfants au développement de produits Stephane Knapp, directeur marketing de LEGO déclare que « le processus d’innovation repose sur différentes étapes avec les enfants. D’abord, nous commençons par une histoire, nous cherchons à tester des thématiques qui intéressent le plus les enfants. Des story-tellers viennent raconter des histoires aux enfants. Ce sont les enfants qui tranchent et qui enrichissent l’histoire. Lorsque l’histoire est posée, nous entamons la deuxième étape, à savoir le développement des produits en lien direct avec l’histoire. Les enfants font des remarques très pertinentes, donnent leurs avis, et s’associent très rapidement au développement des produits. Les produits LEGO sont constamment testés avec les enfants ». Dans le domaine alimentaire, Findus a commandité une étude consistant à filmer dix enfants pendant quinze jours à la cantine, ainsi que certains soirs lors du repas. Ces observations ont débouché sur le lancement de plats cuisinés dédiés aux enfants proposant à la fois des féculents et des légumes. Findus a poussé l’expérimentation plus loin en reconstituant in vitro des espaces de vie réalistes – des home labs – appartement dotés de moyens d’observation sophistiqués (caméras panoramique, micro stratégiquement placés…) afin que les parents et leurs enfants puissent essayer les produits futuristes et proposer de nouvelles idées. Les consumer labs ont déjà commencé à redéfinir leur relation avec les instituts d’étude, puisque ces derniers n’ont pas la possibilité de s’équiper de véritables lieux de vie permettant la mise en situation des Z dans des conditions réelles.
Certaines entreprises ont franchi un pas en concevant des ateliers de co-création spécifiquement avec des enfants et des adolescents. Par exemple, fondée en janvier 2014, l’agence d’inspiration nantaise, spécialiste du conseil en innovation, the Insperience.co, a conçu pour la première fois une offre sur-mesure pour la mutuelle et complémentaire santé MGEN, en expérimentant des ateliers de co-création avec des enfants âgés de 7 à 11 ans. Partant du postulat que la logique d’adulte tue la créativité car elle freine la divergence, nécessaire à l’exploration créative, faire intervenir des enfants en amont pour faire remonter des idées riches et diversifiées est une solution intéressante. Autre exemple, TreZorium, implanté près de Lille, propose aussi des ateliers créatifs et numériques pour les Z, enfants et adolescents, âgés de 6 à 16 ans. Ces ateliers créatifs destinés aux enfants fournissent la voie à des outils de collecte de données originaux, comme la prise de photographies avec le smartphone ou la réalisation de journaux de bord qui sont appréciés par les Z, en complément des entretiens individuels ou de groupe. Le marketer dispose ainsi de données complémentaires (verbatims et photos in situ) qui permettront de prendre les meilleures décisions. En vue d’identifier les nouveaux moments de consommation et lancer de nouveaux produits/ services, Danone a expérimenté le carnet de consommation alimentaire dans lequel les jeunes consommateurs racontaient ce qu’ils mangeaient dans la journée. Il est important de passer du temps auprès des Z pour choisir avec eux les outils de recueil des données les plus adaptés aux situations vécues par eux. Le Z devient aujourd’hui un « prosumer » (producteur et consommateur), et il en est de même dans les études. La mise en œuvre d’études ethnographiques, dans une démarche d’innovation, nécessite de disposer de connaissances bien plus vastes que celles requises par leur champ d’application étroit, le marketing. Les études en marketing trouvent leurs racines en sociologie, psychologie, ethnologie mais également en sémiologie.
5. Le crowdsourcing: un outil marketing capital pour séduire les Z
Si l’entreprise intègre les Z dans le processus de co-production, ceci est facilité aujourd’hui par leurs compétences et leur implication grandissante en matière d’usage des réseaux sociaux numériques, des blogs, d’Internet…. Une façon de comprendre la co-création est le crowdsourcing, un irrésistible appel à la foule. Appliqué au marketing, il s’agit de solliciter sa communauté autour d’une problématique donnée, via une plateforme. Une des campagnes de crowdsourcing les plus en vogue actuellement pour cibler les Z a été la campagne de concepts créatifs mise en œuvre par Crunch (Nestlé) en janvier 2015 (source : https://fr.eyeka.com/contests/8606-cereales-crunch/brief). Les marques n’oublient pas la dimension communautaire en offrant la possibilité aux Z de partager les meilleures idées, de liker, et de taguer les innovations sur les réseaux sociaux. Lorsque les Z réussissent à dénicher un nouveau produit, les Z informent la communauté de leur achat et des bons plans. Si les enseignes veulent séduire les Z, elles devraient plutôt recourir aux réseaux sociaux numériques qu’à l’application mobile. D’après une étude récente (source : https://www.millwardbrown.com/mb-global/our-thinking/insights-opinion/articles/digital-predictions/2017/2017-digital-and-media-predictions), 74 % des Z déclarent ne pas avoir l’application de leurs magasins sur leur smartphone alors que 73 % d’entre eux déclarent réaliser un achat suite à une recommandation sur Facebook. Alors que les générations précédentes – baby boomers et X – ont un parcours d’achat très linéaire, les Z répondent plutôt à un processus de décision circulaire, qui fait qu’ils sont toujours à la recherche d’innovation et d’inspiration. Plus que le besoin d’être interconnecté, les Z ont une volonté de reconnaissance et d’existence aux yeux des marques. Le crowdsourcing et les plateformes de social shopping web permettent aux Z de délivrer une expérience de consommation valorisante, en impliquant le Z dans le processus d’innovation. Mais au-delà des produits et services innovants issus des campagnes de crowdourcing, ce qui constituera l’innovation de demain, c’est reconnaître la co-création, comme une valeur ajoutée pour les études.
6. La co-création avec les Z : une valeur ajoutée pour les études
Le Z, participant au processus de co-création des produits et des services, fait état d’un engagement plus fort. La co-création a montré une incidence non négligeable sur la qualité des réponses et la véracité des propos tenus par les Z co-créateurs. En ce sens, elle permet d’affiner la connaissance du consommateur, par le biais d’outils (surtout online) qu’elle met à disposition des co-créateurs pour favoriser le partage d’outputs créatifs. Les instituts d’étude doivent s’interroger sur leur rôle à jouer, qui dépasse la fonction de planificateur dans l’administration des questionnaires, des focus groupes ou des entretiens. Ils ont un rôle de la Voix du conso-acteur Z, en donnant un autre visage à leurs relations avec les consommateurs Z pour des rapports plus horizontaux et égalitaires. Les instituts doivent travailler en partenariat avec les Z, en construisant une relation de proximité avec eux. Pour résumé, un facteur clé de réussite pour les instituts est de comprendre l’importance de considérer les Z comme des partenaires d’étude plutôt que comme des objets d’étude.