Sur Internet, la réinterrogation d’une même population est naturelle et évidente. Rien de plus simple que de demander à un interviewé son adresse e-mail pour le solliciter à nouveau plus tard. Cette faculté de réinterrogation, impensable auparavant, invite aujourd’hui à repenser des dispositifs d’enquête, et le processus de sélection des échantillons, à imaginer des enquêtes de type progressif. Elle ouvre la voie vers des enquêtes à la fois macro et micro en combinant une phase de cadrage et une phase d’approfondissement.
Beaucoup de sujets d’études exigent à la fois d’interroger une cible large (vision Macro) et une cible précise (vision Micro). L’interrogation d’une cible large permet de prendre en compte l’ensemble du public potentiel et de situer la population la plus en affinité avec le sujet. En face à face ou au téléphone, cette cible large a souvent la forme d’un échantillon de 1000 à 2000 individus représentatifs de la population française ou du marché en général. L’interrogation d’une cible précise permet quant à elle d’approfondir l’étude auprès d’un public concerné par le sujet (par exemple des consommateurs de la catégorie de produits). Une marque de produits alimentaires bio destinée aux bébés souhaitera à la fois interroger l’ensemble des mères sur leur perception du bio par rapport aux autres solutions alimentaires et interroger les mères sensibilisées au bio sur leurs perceptions des offres du marché.
Les filtres et les tris
En face à face et au téléphone, l’approche macro et
l’approche micro sont prises en compte dans la même enquête, à
travers des tris et un système de filtres. Les tris ont pour but de
comparer la population cible par rapport à la population générale et les
filtres permettent de ne poser certaines questions qu’à un public
sélectionné. Avec cette contrainte de l’enquête unique, les
filtres sont nécessairement limités et impérativement prévus à
l’avance. La métaphore est celle du pistolet à un seul coup : il
faut viser juste car on ne peut tirer qu’une fois. Le filtrage est
accompagné par un enquêteur qui peut expliquer avec diplomatie les
raisons d’arrêt du questionnaire.
Sur Internet, le processus de sélection de l’échantillon utile
peut se faire différemment même si la plupart des enquêtes online
fonctionnent sur le modèle du face à face et du téléphone avec des
filtres et des tris.
L’usage des filtres sur Internet, malgré leur facilité apparente,
est cependant beaucoup plus problématique :
- En auto-administré, les internautes peuvent être frustrés d’être
interrogés puis d’être éliminés de la suite de l’enquête.
Les questions filtres qui « remercient » et excluent les interviewés qui
ne répondent pas aux critères peuvent même se révéler nuisibles car
elles découragent les interviewés vis-à-vis des futures enquêtes, et
finissent par user le panel.
- Par ailleurs, il y a toujours le risque que les filtres soient
déjoués par des interviewés qui répondent afin de ne pas être éjectés de
l’enquête. Plus on complexifie les filtres pour éviter
d’être déjoué, plus on construit un parcours du combattant pour
les interviewés qui s’avère pesant si on n’est pas
sélectionné.
- Enfin, un autre problème réside dans le mécanisme de filtre
lui-même, qui suppose toujours plus ou moins de connaître à
l’avance les caractéristiques de la cible utile alors que
c’est parfois ce qu’on cherche justement à connaître. Dans
certains cas, on croît savoir alors qu’on ignore les contours
exacts de la cible utile, les comportements discriminants, et
c’est justement ce qu’une enquête en deux temps, avec un
pistolet à plusieurs coups, permettrait de découvrir.
L’enquête de cadrage pour explorer et filtrer
Pour éviter les désagréments des filtres online, il suffit de concevoir
une première et courte phase d’enquête autonome avec peu ou pas de
filtre. Cette mini-enquête d’une durée de 3 à 10 minutes devient
une enquête de cadrage ou de « repérage » qui explore une population
importante en amont. Cette première phase est prévue pour qu’une
large partie de la population interrogée soit éligible. Les non
consommateurs ne sont pas écartés et sont invités à s’exprimer sur
leurs freins à la consommation ou sur leur connaissance de la marque et
du produit. Les interviewés n’ont pas le sentiment d’être
éliminés parce qu’ils ne correspondent pas aux critères.
L’enquête de cadrage permet de sélectionner la cible utile pour
l’approfondissement à partir de l’ensemble des questions
fermées et ouvertes de la première phase. L’interrogation large en
phase de cadrage autorise en effet une analyse des profils de
populations répondantes pour mettre en évidence les particularités
significatives de la cible micro. On peut se donner ainsi le temps de la
réflexion avant de sélectionner la cible utile. Comme les délais sur
Internet sont considérablement raccourcis, il serait dommage de
s’interdire ce confort dont dépend parfois la justesse du résultat
final. Ces modalités de sélection sont très confortables comparées à la
sélection en temps réel opérées par les filtres du questionnaire. Le
découpage en 2 phases permet aussi d’affiner les questions de la
phase d’approfondissement en tenant compte des premières réponses.
Le découpage en deux temps constitue également un moyen de rendre une
enquête plus digeste pour les interviewés du fait de l’espacement
dans le temps.
L’implication relative des interviewés
La longueur des questionnaires doit si possible tenir compte de l’implication des interviewés. Plus un interviewé est impliqué par un sujet, plus il est prêt à passer du temps sur un questionnaire. S’il est peu impliqué et qu’on veut néanmoins le toucher, on a intérêt à lui proposer un questionnaire assez court. Un questionnaire de 5 mn convient à une cible large incluant un public peu impliqué. Un questionnaire de 20 mn voire plus est tout à fait acceptable pour un public impliqué. On comprend mieux l’intérêt d’une enquête de cadrage assez courte.
L’interrogation en deux temps permet également de combiner différents registres de questions. Lors de la phase de cadrage, on sera plutôt sur des questions de mémoire alors que dans la phase d’approfondissement on pourra utiliser un bon nombre de stimuli. Si on reprend l’exemple de l’alimentation bio, la phase de cadrage aura un titre large tel que « enquête sur l’alimentation des bébés » afin d’impliquer l’ensemble des mères de bébés sans exclusive. Le titre de la phase d’approfondissement fera explicitement référence à l’alimentation bio des bébés. Cette phase permettra de passer en revue auprès d’un public sensibilisé les labels, recettes, visuels de packs qui auraient laissé indifférentes une partie du public de la phase 1.
Plusieurs enquêtes d’approfondissement en parallèle
La phase de cadrage peut donner lieu à plusieurs enquêtes
d’approfondissement. Par exemple, avec une phase de cadrage auprès
des spectateurs de la chaine Equidia, on peut mener en parallèle deux
enquêtes d’approfondissement : une auprès des turfistes et une
auprès des cavaliers. On peut aussi intercaler entre la phase de cadrage
et la phase d’approfondissement un volet qualitatif. Du coup, la
première phase quantitative va fonctionner comme un exploratoire à
grande échelle tandis que la deuxième phase quantitative servira à
quantifier et approfondir certains résultats issus de la phase
exploratoire et du volet qualitatif.
Ce type de dispositif en deux temps s’avère très intéressant à
l’expérience. Il permet de constituer un vivier de volontaires à
partir de différentes sources. Il permet de mesurer le taux de retour
des populations interrogées et de voir l’intérêt respectif pour le
sujet.
Un dispositif optimal du point de vue économique
La combinaison enquête de cadrage de 5 minutes sur 500 à 2000 individus + approfondissement de 20 minutes sur 150 à 300 personnes présente aussi des avantages économiques. Elle permet d’optimiser le recueil de données et la gestion de l’incentive. Les questions à quantifier sur un large public sont posées lors de la phase 1. Les questions nécessitant une base de population plus étroite sont réservées à la phase 2. On évite ainsi de poser certaines questions à un public inutilement large. Pour la phase 1, il est préférable de distribuer des incentives par tirage au sort. C’est possible car le questionnaire est assez court et c’est plus économique car il y a une large population à récompenser. L’incentive lors de la phase 2 pourra être distribuée de façon plus systématique. C’est juste, vu le temps demandé aux interviewés et c’est raisonnable compte tenu de la taille de la population.
Cette approche en deux temps serait quasi impossible dans les conditions du téléphone ou en face à face. Joindre un interviewé par téléphone 2 fois s’avère beaucoup plus difficile que de joindre une autre personne. Et en face à face, on peut demander à un interviewé de revenir mais ce type de dispositif est très coûteux et doit être fortement incentivé. Sur internet, ces contraintes disparaissent grâce à l’adresse e-mail. On peut facilement mettre en relation les données recueillies lors de la première phase avec celles recueillies en phase 2. On peut même interroger des consommateurs sur 3 phases voire plus. Il faut simplement prévoir une légère déperdition (de l’ordre de 10 à 20%) compte tenu des taux de retour lors de la réinterrogation.
Article réalisé par Daniel Bô, Pdg-fondateur de l’institut d’études QualiQuanti. Retrouvez le site de Quali Quanti à cette adresse : http://www.qualiquanti.com/