La recherche marketing a pour objectif de comprendre les besoins, les attentes et les appréciations des consommateurs, en vue d’optimiser la stratégie et les décisions des entreprises (lancement d’un nouveau produit, actions commerciales ou publicitaires…).
Pour assurer cette compréhension, l’investigation se base principalement sur des études quantitatives et qualitatives, dans lesquelles des consommateurs sont interrogés sur leurs opinions, leurs goûts, leurs comportements…
Ces consommateurs sont généralement choisis sur la base de critères signalétiques de manière à représenter l’ensemble de la population du marché visé. L’interrogation d’un tel échantillon représentatif doit permettre de généraliser le résultat obtenu à l’ensemble de la population.
Validité des échantillons
Du point de vue statistique, le meilleur moyen d’obtenir un échantillon vraiment représentatif d’une population donnée consiste à effectuer un tirage totalement aléatoire dans l’ensemble de cette population, en assurant à chacun de ses membres une chance strictement égale d’être choisi (voir encadré sur la loi des grands nombres). Ce caractère aléatoire de l’échantillon correspond à l’approche probabiliste, au coeur de la théorie statistique. Théoriquement, c’est seulement dans ce cadre que les notions statistiques usuelles d’erreur d’échantillonnage et d’intervalle de confiance sont vraiment applicables et valables.
Dans les faits, l’impossibilité technique de mener de tels tirages aléatoires en grandeur réelle a poussé la profession des études à adopter la technique plus empirique des quotas, qui consiste à bâtir l’échantillon comme un modèle réduit de la population-mère, vérifiant la même répartition sur un certain nombre de critères (dont la répartition dans la population-mère doit par conséquent être connue au préalable).
Ce mode d’échantillonnage s’est rapidement généralisé en France (pas dans les pays anglo-saxons qui continuent à privilégier les méthodes probabilistes), au point d’être considéré aujourd’hui comme scientifiquement incontestable, alors qu’il s’agit en réalité d’un arrangement empirique permettant certes d’approcher la réalité mais dans certaines conditions seulement.
Parmi ces conditions, il en est une essentielle et de bon sens : la validité d’un échantillonnage par la méthode des quotas est étroitement liée à l’importance des critères choisis au regard des comportements à observer. Ainsi, le choix d’une répartition intégrant un quota sur le sexe suppose, a minima, que les réponses qui vont être recueillies sont liées, conditionnées ou influencées par le sexe des personnes interrogées.
Pour admettre la validité de cette règle, imaginez seulement un instant l’absurdité de quotas portant sur la couleur des cheveux, l’initiale du prénom ou le sexe du facteur ! Ces variables qui n’ont certainement rien de discriminant au regard des objectifs généralement poursuivis dans les études, n’ont pas à être utilisées. On a beau avoir la même répartition sur ces critères dans l’échantillon et dans la population-mère, le résultat ne voudra absolument rien dire.
Or à force d’automatismes dans le choix des critères, ce genre d’évidences a fini par être oublié. L’utilisation de quotas quasiment identiques quel que soit l’objet de l’étude a fini par s’imposer et se perpétuer d’étude en étude et de professionnel à professionnel.
Cette standardisation a été renforcée par la nécessité de disposer en amont de la répartition globale des variables de quotas dans la population-mère, ce qui a fatalement limité le nombre de critères potentiels à ceux disponibles auprès de l’Insee suite aux recensements. Aujourd’hui, la plupart des chargés d’études utilise, sans trop se poser de questions, les traditionnels quotas sur le sexe, l’âge, la profession et éventuellement une variable de localisation géographique.
Or, tant que ces variables étaient significativement corrélées avec les habitudes et les modes de consommation, les résultats obtenus dans les études sur les consommateurs étaient acceptables et permettaient d’approcher la réalité de manière satisfaisante. Malheureusement, la situation a changé, ce qui peut expliquer la difficulté que rencontrent désormais beaucoup d’études à atteindre leurs objectifs et à rendre compte correctement des véritables besoins et attitudes des consommateurs.
Des repères mouvants
C’est un fait, on ne consomme plus aujourd’hui comme on le faisait il y a quelques années. Dans des sociétés traversées par des courants contradictoires d’individualisme et d’universalisme et où l’offre est de plus en plus pléthorique, le consommateur est moins déterminé dans ses choix et ses attitudes par son statut social, son âge, sa situation familiale, etc. Les critères habituels de catégorisation des individus utilisés dans la méthode des quotas (et notamment la PCS, comme nous le verrons dans ce dossier) sont donc de moins en moins pertinents.
Comme le constate Michael Silverstein, vice président du Boston Consulting Group, « les consommateurs des classes moyennes n’hésitent pas à monter en gamme et à déséquilibrer leur budget ». Parallèlement, tous les consommateurs, y compris les plus aisés, peuvent s’orienter, pour certains produits, vers des offres low cost. Il n’est pas rare de voir aujourd’hui des voitures de haut de gamme garées sur les parkings des magasins de hard-discount, ou de trouver des matériels électroniques coûteux dans des foyers de consommateurs à faible pouvoir d’achat. Il est facile de constater ce phénomène en observant simplement ses voisins dans le métro, dans un bus ou au bureau. Il est fort probable que beaucoup d’entre eux arborent un ou plusieurs articles de marques de luxe : sacs Lancel, Vuitton ou Longchamp, foulards Hermès, montres Rolex ou Cartier, chaussures Gucci ou Dolce & Gabanna, lunettes Chanel, etc. C’est comme si chacun devait avoir sa part de luxe, quitte à la faire voisiner avec des produits communs acquis au prix le plus bas.
Ce constat est développé par le philosophe Gilles Lipovetsky, pour qui la consommation n’est plus statutaire mais seulement orientée vers la recherche de sensations et de satisfactions privées. « Un Homo consumericus de troisième type voit le jour, une espèce de turbo-consommateur décalé, mobile, flexible, largement affranchi des anciennes cultures de classe, imprévisible dans ses goûts et ses achats, à l’affût d’expériences émotionnelles et de mieux-être, de qualité de vie et de santé, de marques et d’authenticité, d’immédiateté et de communication ».
La crise de fidélité
Le corollaire de cette quête du bonheur dans la consommation est une infidélité croissante aux marques et aux enseignes. Le consommateur est désormais un « zappeur » qui s’autorise à changer de fournisseur au gré des envies du moment, sans se sentir engagé sur la base d’une précédente expérience de consommation ayant donné satisfaction.
Les sollicitations croissantes auxquelles il est confronté et les multiples sources de comparaison qui lui sont ouvertes notamment avec l’Internet (sites web, forums, blogs…) lui donnent les moyens de comparer et de remettre continuellement sur la sellette ses arbitrages précédents.
Le rapport quasi automatique que l’on faisait entre satisfaction et fidélité n’est donc plus de mise. Un consommateur satisfait n’est pas forcément reconnaissant et peut choisir d’être infidèle sans culpabilité ni remords. La fidélité, jadis valeur patrimoniale de l’entreprise, est désormais une quête permanente auprès de clients de plus en plus exigeants qu’il faut bien entendu continuer à satisfaire mais qu’il faut aussi séduire, étonner et convaincre en permanence.
Dans ces conditions, les études de satisfaction des clients, qui représentent aujourd’hui une bonne partie de l’activité des professionnels des études, ne suffisent plus à prédire à elles seules le succès des entreprises.
Les contradictions du consommateur
Insaisissable et infidèle, le nouveau consommateur est aussi pétri de contradictions inconscientes ou pleinement assumées.
Certaines proviennent des différences d’angles de vue selon la position à partir de laquelle les situations sont analysées (consommateur, travailleur, citoyen, parent…). Ainsi, une même personne peut s’élever contre les délocalisations et rechercher dans le même temps des produits à très bas prix, provenant généralement d’usines en Chine. Il peut être à la fois opposé à l’aliénation publicitaire et très attaché aux marques, préoccupé par l’avenir de la planète et capable de laisser une fenêtre ouverte en plein hiver sur son lieu de travail ; attaché au commerce de proximité et faisant l’essentiel de ses courses en grande surface ; favorable à la culture bio et utilisateur intensif de pesticides et d’engrais chimiques dans son jardin…
Le tableau ainsi dressé laisse perplexe. Comment faire désormais pour cerner cette entité mouvante qu’est le consommateur ? Comment obtenir une information objective lorsque la subjectivité occupe chaque jour une part plus importante ?
Certains comme François Laurent affirment que « Le marketing est né de, et avec, la société de consommation.
Aujourd’hui, c’est avec elle qu’il s’effondre ! ». Dans son ouvrage « Etudes Marketing », il introduit la notion de consumer insight, qui permet d’appréhender les individus dans leur globalité, en tant que citoyens mais aussi consommateurs et d’identifier les tendances émergentes. On assiste aussi, sur le web, à de nombreuses initiatives des opposants au marketing traditionnel. Ainsi, le « Pinko Marketing » ou « We are the market » viennent affirmer que le consommateur passif n’existe plus et que le bouche à oreille communautaire sur le web leur permet désormais de prendre le pouvoir.
Dans le cadre de démarches moins radicales, beaucoup d’instituts revoient de leur côté leurs grilles de lecture du marché en établissant de nouvelles catégorisations et segmentations intégrant les nouvelles caractéristiques du consommateur.
Devant cette nouvelle problématique, les solutions s’organisent donc pour chercher à rendre le chaos intelligible.