La stratégie de segmentation consiste à diviser le marché en différents segments dont les consommateurs recherchent des bénéfices identiques et à se concentrer sur le(s) segment(s) les plus prometteurs pour l'entreprise en leur adressant des produits spécifiques.
L'ÂGE CHRONOLOGIQUE : UN CRITÈRE A PRIORI OBJECTIF POUR ÉTUDIER L'ADOLESCENCE
L'âge chronologique, défini par la date de naissance, est considéré, par un bon nombre de chercheurs en marketing, comme une caractéristique démographique explicative des comportements de consommation. Des spécificités par grands groupes d'âge se dégagent – enfants, adolescents, adultes. Dès lors, l'âge semble être un critère a priori objectif, facilement accessible et mesurable pour étudier l'adolescence.
Cet article se concentre sur cette période de la vie socialement reconnue sous le nom d'adolescence, transition entre le monde de l'enfance et celui de l'adulte, qui ne se laisse pas facilement définir. Chacun a une représentation de l'adolescence et une caractérisation qui lui est personnelle.
La psychologie cognitive, s'intéressant plus particulièrement au développement et à la structuration de la pensée logique chez l'individu, indique que l'adolescence correspond au stade ultime du développement de la pensée, celle qui débute à 12 ans. Le droit pénal propose une approche nuancée concernant la catégorie des mineurs, en distinguant les mineurs pénalement intouchables puisqu'ils sont considérés comme non responsables de leurs actes (les moins de 13 ans), des mineurs susceptibles de faire l'objet de poursuites et de peines adaptées à leur cas (les 13-17 ans d'une part, et les 17-18 ans d'autres). Le droit pénal identifie donc les 13-17 ou 13-18 comme une catégorie spécifique qui paraît correspondre à l'adolescence. La sociologie préfère, en général, parler de jeunesse que d'adolescence et certains sociologues se méfient même de cette catégorie. Quant à la sociologie, les chercheurs n'adoptent pas la même définition de la jeunesse : certains s'en tiennent aux limites légales et fixent à 18 ans la fin de la jeunesse, tandis que d'autres la prolongent jusqu'à 25 ans, pour les « jeunes adultes ». Si la plupart des sociologues n'hésitent pas à remettre en cause les « bornes » d'âge pour délimiter la jeunesse, ils reconnaissent néanmoins que c'est l'institution « Ecole » qui recouvre de facto en grande partie le développement historique de la jeunesse.
Une première définition opérationnelle de l'adolescent, mise en œuvre
par Fosse- Gomez (1991), a vu le jour en marketing: « un adolescent est
un individu entre 12 et 18 ans qui vit au sein d'une famille et
fréquente un établissement scolaire », reposant sur des critères
préétablis :
- Des limites d'âge, fixées par la psychologie cognitive (12 ans, le
début de la pensée formelle) et le droit (18 ans, l'accession à la
majorité) ;
- De l'intégration au système scolaire. L'adolescent s'inscrit dans
les périodes où l'individu fréquente un collège (6ème à la 3ème) puis un
lycée (seconde à la terminale). Cette définition reprend l'institution «
Ecole », comme l'a fait la sociologie pour fixer les bornes de
l'adolescence.
- De la dépendance par rapport à la famille. En sociologie
notamment, on souligne fortement la relation existante entre adolescence
et dépendance : un jeune de 16 ans travaillant, ayant une indépendance
financière et vivant en dehors d'un cadre familial, ne correspondrait
pas à la notion d'adolescent.
La majorité des études en marketing en France sur l'adolescent a adopté la définition opérationnelle de l'adolescent proposé par Fosse-Gomez (1991) en fixant les bornes de l'adolescence principalement selon deux critères : l'âge et le cursus scolaire. En particulier, l'âge est la variable la plus fréquemment utilisée par les professionnels du marketing pour segmenter le marché des adolescents. En guise d'exemple, Chastellier (2003) distingue deux segments chez les adolescents : les 12-14 ans qu'il qualifie de « badge marketing » et les 14-18 de « pur marketing ».
L'ÂGE EST-IL UN CRITÈRE PERTINENT AUJOURD'HUI POUR SEGMENTER LE MARCHÉ DES ADOLESCENTS ?
Selon une étude australienne publiée dans la revue « The Lancet » en janvier 2018, l'adolescence devrait être redéfinie selon la fourchette 10-24, s'appuyant à la fois sur l'abaissement de l'âge de la puberté vers l'âge de 10 ans, et non 12 ans ; et l'évolution du cerveau qui continue de se développer même après 20 ans. Selon les résultats de cette étude, l'adolescence commence à 10 ans et pourrait se poursuivre jusqu'à 24 ans. Les transitions de rôles sociaux majeurs ont changé : l'âge de l'achèvement de l'éducation, le mariage et la parentalité continue font évoluer les perceptions de la fin de l'adolescence et le début de l'âge adulte.
L'âge offre ainsi des bornes flexibles et certaines études en marketing étudient les 8-15 ans, regroupant les enfants et les adolescents, sous le dénominatif commun de « children ».
Face à la polémique sur les bornes de l'âge pour définir l'adolescence,
on peut se poser la question de la pertinence de l'âge comme seul
critère de segmentation du marché des adolescents. La méthode de
segmentation classique des jeunes par l’âge souffre de deux lacunes
majeures :
1. elle se limite aux critères biologiques et de ce fait, elle
n'intègre pas la réalité sociale, prenant en compte le besoin
d'autonomisation de la famille par exemple ;
2. elle annihile l'individualité de l'adolescent, en le fragmentant
et en le limitant à son état individuel.
Les lacunes
La méthode de segmentation classique des jeunes par l’âge se limite aux critères biologiques et n'intègre pas leur réalité sociale. A l'heure où la tendance actuelle décelée est à l'allongement de la période de l'adolescence, la définition des segments par l'âge est-elle encore d'actualité ? L'âge est un indicateur du développement corporel, cognitif et affectif de l'adolescent. Comme présenté ci-dessus, le droit, la psychologie ou encore la sociologie reconnaissent comme critère pertinent de différenciation l'âge des individus. Cependant, en matière de consommation, la force des effets de l'âge chronologique sur le comportement du consommateur demeure relativement limitée. Les 12-18 ans constituent une catégorie hétérogène. Certains jeunes ont déjà des attitudes de « petits adultes » alors que d'autres au contraire présentent encore des comportements puérils. L'âge ne semble donc pas une variable explicative suffisante pour caractériser l'adolescence : elle n'est que l'indicatrice, le signe objectif, d'autres phénomènes sous-jacents. Les professionnels du marketing s'interrogent sur la pertinence de recourir à d'autres critères de segmentation en complément de l'âge.
La méthode de segmentation classique des jeunes par l’âge donne l'impression qu'on attribue des individus dans des cases et annihile l'individualité. Peut-on avoir une réflexion suffisamment large autour du lien adolescent-adulte en ne prenant en compte que le critère d'âge ? En d'autres termes, la segmentation par l'âge ne traduit-elle pas une vision analytique de l'adolescence, risquant de perdre de vue la vision globale qui fait l'unicité du comportement du consommateur ? La plupart des études en marketing s'intéressent à l'adolescence comme une tranche d'âge déconnectée de ce qui la précède – l'enfance – et de ce qui la suite – l'âge adulte. Une tout autre logique pourrait consister à prendre en compte la vision globale de l'individu. Il conviendrait, dans ce sens, de s'intéresser au développement du projet personnel de l'adolescent en s'interrogeant sur ce qu'il deviendra à l'âge adulte. Dans ces conditions, l'adolescence pourrait être étudiée comme une période de construction identitaire vers l'âge adulte. La problématique de la construction identitaire à l'adolescence ne relève pas seulement d'une logique de l'individualisation, mais d'une logique du continu et du « devenir » ,c'est «l'esquisse d'une vie » . L'adolescence s'inscrit dans le projet global d'une existence. Les identités possibles que l'adolescent construit constituent le matériau de la découverte expérimental de soi.
Par conséquent, la segmentation uniquement par l'âge pour étudier le marché des adolescents semble réductrice, inefficace et risque de fausser le positionnement des marques qui n'intègrent pas les codes de consommation des jeunes. Il est donc important de comprendre les codes de consommation ainsi que les spécificités de comportements de consommation des adolescents afin de les intégrer en amont du processus d'élaboration de l'offre.
L'AUTONOMIE : UN CRITÈRE PERTINENT AUJOURD'HUI POUR SEGMENTER LE MARCHÉ DES ADOLESCENTS
Une des seules façons de développer une politique marketing pertinente et adaptée pour des offres ciblant les adolescents est d'étudier de manière approfondie les spécificités des comportements de consommation. La relation entre l'adolescence et la consommation est complexe. S'il est difficile de cerner la complexité de ces jeunes consommateurs, c'est que la consommation répond à des attentes spécifiques de cette population. Une fonction de la consommation mérite d'être soulignée dans le cas des adolescents, membres de la génération Z : la consommation en tant que champ de découvertes et terrain d'expérimentation de l'autonomie. L'adolescence est une période de la vie de l'individu où la question de l'autonomie est cruciale. Plus particulièrement, la consommation est une activité centrale de la vie de l'adolescent, qui lui permet d'affirmer son autonomie et lui sert de terrain d'expérimentation : les premières séances de shopping entre ami(e)s, l'adoption de certains comportements déviants (premiers essais en matière d'alcool, de cigarette…), l'accès aux technologies numériques… sont des marqueurs d'autonomie de l'adolescent.
L'approche « Privacy by Design » consiste à assurer la confidentialité des données tout le long du cycle de vie d'une application, de sa conception à son retrait. C'est une exigence explicite du RGPD. Les lacunes dans le flux des données ou dans le cycle de vie des données engendrent des risques de défaut de conformité et doivent être comblées.
Pour qu'une variable puisse être retenue comme critère de segmentation, elle doit être mesurable, discriminante et stable. Pour ces raisons, une première échelle de mesure de l'autonomie de l'adolescent en marketing a été mise en œuvre auprès d'un échantillon de 1113 adolescents, âgés de 12 à 18 ans, en s'appuyant classiquement sur le paradigme de Churchill (1979). Les analyses factorielles exploratoires et confirmatoires ont permis de dégager des résultats convergents sur la dimensionnalité du construit autonomie : elle se compose de deux dimensions – la dimension affective, mesurant la capacité de l'adolescent à prendre des distances par rapport à sa famille ; et la dimension cognitive, mesurant la capacité à faire des choix et prendre des décisions. Les qualités psychométriques de l ' échelle d'autonomie sont satisfaisantes, ainsi que les validités convergentes et discriminantes.
Sur un échantillon de 496 adolescents, j'ai ensuite comparé l'importance des effets respectifs de l'âge et de l'autonomie de l'adolescent sur ses comportements de consommation. Les résultats ont montré la supériorité de l'autonomie sur l'âge pour expliquer les comportements de consommation des jeunes.
Cette proposition de segmentation selon l'autonomie permet de repenser la relation des marques et des entreprises avec les adolescents, issus de la Génération Z, en mettant davantage l'accès sur le besoin de construire sa propre personnalité tout en étant dans la norme sociale. Au-delà de répondre aux besoins fonctionnels des jeunes, les marques doivent proposer des expériences de consommation à vivre, en jouant sur la valeur symbolique des objets de marque, par exemple en permettant aux jeunes d’affirmer leur autonomie. Tel est le cas pour certaines enseignes comme UCPA, Nike, Adidas ou encore Quiksilver qui s'intéressent au besoin d'autonomisation vis-à-vis de la famille pour cibler le marché des adolescents. D'autres ont créé des espaces en magasin pour répondre au besoin d'autonomie, à l'instar de la FNAC qui a lancé Young Adult. BNP Paribas segmente le marché des 12-18 ans en deux groupes : les collégiens dans le processus d'apprentissage de l'autonomie et les lycéens, dans la consolidation de l'autonomie. BNP Paribas développe deux alors stratégies différentes : pour le collégien, BNP Paribas communique autour de l'autonomie bancaire simple et sécurisée ; alors que pour le lycéen, BNP Paribas communique autour de l'accompagnement de l'autonomie en proposant des solutions adaptées et sécurisées (1er compte chèques, 1ère carte de retrait et de paiement…).
Les marques qui attirent les Z sont celles qui mettent en œuvre des campagnes de communication efficaces en jouant sur les valeurs de liberté et d'individualisme pour répondre à leur besoin d'autonomisation.