Survey-Magazine : Que nous apprend l'étude du comportement sur les émotions ?
Benjamin Voyer : Les émotions revêtent un rôle fondamental en comportement du consommateur. Les chercheurs qui s'intéressent à la persuasion ont mis en avant il y a plusieurs décennies le rôle des émotions. On oppose souvent les émotions – qui ont un coté irrationnel, car on obéit à une sorte de force qui s'impose à nous – à la persuasion et la réflexion, qui nous fait prendre des décisions sur la base de critères définis et réfléchis. Ces deux opposés constituent les deux manières de persuader le consommateur. Les travaux de recherche de Petty et Cacciopo ont en effet mis en évidence les deux 'routes' de la persuasion. D'un côté, la voie dite 'centrale', qui se base sur la rationalité – c'est le cas, par exemple, de beaucoup de campagnes qui mettent en avant la supériorité technique de tel ou tel produit. Ou des campagnes qui synthétisent de l'information dans un tableau ou un comparatif. De l'autre la voie 'périphérique', où le processus d'influence est la conséquence d'éléments qui emportent la décision sans qu'une réflexion approfondie ait eu lieu. Dans ce cas, des éléments telles que la présence d'une personne célèbre sur la publicité, ou une campagne mettant en avant la dimension émotionnelle du produit ou service, vont changer les attitudes du consommateur. Évidemment, le type de produit ou service est susceptible d'augmenter ou de diminuer l'influence des émotions sur le comportement d'achat. Par exemple, les émotions sont plus susceptibles de jouer un rôle dans l'achat d'un parfum ou d'un soin pour le visage que pour l'achat d'une tondeuse électrique ou le choix d'un hébergeur de site web. Le rôle des émotions va aussi varier selon le consommateur cible : un homme retraité sera peut-être plus sensible au rôle des émotions dans le processus d'achat d'une tondeuse qu'une femme jeune mère au foyer.
Le meilleur moyen d'influencer les humeurs, sentiments et émotions est de jouer sur l'importance de l'identité sociale.
La recherche en sciences comportementales a aussi montré le rôle fondamental de certaines émotions comme la peur dans le comportement des consommateurs. La peur est utilisée, par exemple, de manière régulière dans le secteur de la santé publique. On peut citer les campagnes contre le tabagisme, ou les campagnes de la sécurité routière. Ce type d'émotions primaires agit sur les réflexes évolués de l'être humain, qui à l'ère des chasseurs cueilleurs devaient prendre des décisions instantanées. Ces réflexes ont été conservés, et constituent des traits psychologiques qui continuent d'influencer notre comportement quotidien.
Humeurs, sentiments, émotions : quels sont les moyens pour les influencer ?
Pour influencer les émotions, il faut avant tout être capable de parfaitement cibler les consommateurs, et cela requiert donc un travail d'étude de marché en amont, afin d'identifier les différents segments d'un marché, et les déterminants démographiques, géographiques, psycho-sociaux ou comportementaux des consommateurs potentiels. En effet, ce qui va positivement influencer un jeune consommateur de 18 ans est très différent de ce qui va influencer un consommateur de 35 ans avec enfants. Pour influencer les émotions, il faut donc avoir une idée précise du consommateur cible, de ses centres d'intérêts, de ses motivations profondes. Souvent, les études qualitatives permettent de plonger dans le quotidien des consommateurs cibles et de mieux cerner ses motivations profondes. Le meilleur moyen d'influencer les humeurs, sentiments et émotions est de jouer sur l'importance de l'identité sociale.
L'identité sociale est un aspect important de la psychologie, et s'articule autour des groupes auxquels un individu appartient et auxquelles il s'identifie. On peut bien sur penser aux groupes tels que les clubs de sports – que l'on soit joueur ou non, on se dit 'supporter' de telle ou telle équipe de football. Mais il peut également s'agir de la famille, d'un club de bridge, ou d'une commune ou département. L'identité sociale, et l'appartenance à des groupes qui en découle est un vecteur important d'émotions positives. Si mon équipe de rugby gagne, je me sens fier. Si mon équipe de rugby perd, cela m'affecte et je peux me sentir irritable. En jouant sur ces associations positives, les marqueteurs peuvent ainsi créer, au travers de leurs campagnes, des scénarios qui sont générateurs d'émotions positives. Enfin, on peut également citer les travaux de recherche s'intéressant au rôle des éléments sensoriels sur le comportement du consommateur. Par exemple l'étude de l'effet de la musique – e.g. musique classique vs musique contemporaine - sur les comportements d'achat. L'impact sur l'humeur et les émotions peuvent ici jouer un rôle important. De même, les campagnes olfactives et la diffusion d'odeurs agréable peut contribuer à influencer positivement le comportement du consommateur.
Pouvez-vous nous citer des cas concrets de communications basées sur le ressort émotionnel ?
Les campagnes sportives fournissent de bons exemples de publicités jouant avant tout sur le rôle des émotions. On peut citer, par exemple, les campagnes durant la coupe du monde de football 2018. Les campagnes Nike durant et après la coupe du monde mettait parfaitement en avant les sentiments de fierté de devenir – ou être – champion du monde pour une deuxième fois. Mais un classique du genre est la célèbre publicité du CNP Assurance des années 1990. On y suivait l'évolution des grands stades de la vie – de la petite enfance à l'adolescence, le mariage, la famille, le tout sur un fond de musique classique. Alors que les produits d'assurance sont typiquement des services qui génèrent une réflexion et sont traditionnellement traités par la voie 'centrale', cette publicité était une manière efficace de renforcer le rôle des émotions dans le processus de décision.