De récentes recherches scientifiques en marketing se sont intéressées sur le pourquoi les individus - comme vous et moi - ne font pas appel aux services et outils d’aide mis à disposition par les entreprises et les marques pour les consommateurs. Survey-Magazine a rencontré Marion Sanglé-Ferrière, maître de conférence en marketing à CY Cergy Paris Université et diplômée de HEC et l’ESCP. Marion a conjointement mené ces recherches avec le Prof Ben Voyer, contributeur au Survey-Magazine (dont vous pouvez découvrir les articles publiés sur notre média en cliquant ici).
Survey-Magazine : Comment expliquer le comportement d’évitement remarqué chez une partie des consommateurs ?
Marion Sanglé-Ferrière : Au-delà des raisons contextuelles, nous
avons décidé avec Ben Voyer de travailler sur les raisons individuelles
et personnelles qui font que, dans une même situation, un consommateur X
va demander de l’aide et qu’un consommateur Y ne le fera pas. En la
matière, la littérature est riche en psychologie sociale.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons observé deux principales
raisons :
- La gêne, l’embarras voire le rejet de la demande d’assistance :
en effet, ce comportement peut s’apparenter à un sentiment d’altération
de l’autonomie ou des compétences et présenter un risque de perte de
maitrise de la situation pour le consommateur.
- Puis, la façon dont on considère celui à qui on demande de
l’aide.
Sur ce deuxième point, comme nous nous intéressons à l’aide apportée par l’entreprise, nous interrogeons la mesure dans laquelle les clients considèrent que l’entreprise peut changer la donne. Le consommateur se demande alors : « est-ce que cette entreprise va avoir la volonté de m’aider ? Est-ce qu’elle va avoir les compétences pour le faire ? »
Survey-Magazine : Pouvez-vous présenter l’outil de mesure développé dans le cadre de vos recherches ?
Marion Sanglé-Ferrière : Il s’agit d’une échelle psychométrique de type attitudinal avec des éléments cognitifs ainsi que des éléments affectifs. Elle vise à prédire l’intention chez les consommateurs de demander ou non assistance. Elle se constitue de 7 items classés en 2 catégories : d’une part, l’attitude vis-à-vis du comportement de demande d’assistance, par exemple : « Lorsque je rencontre des problèmes avec des produits et services, je suis très gênée de demander de l’aide à mon fournisseur », et d’autre part l’attitude vis-à-vis de « l’aidant », avec des items comme « J’ai le sentiment que les services d’assistance ne me prennent pas au sérieux lorsque j’ai des problèmes. »
Cette échelle a été élaborée puis testée sur 4 échantillons différents (soient plus de 1200 individus) et dans des contextes produits différents (télécoms, assurance, équipement automobile, hôtellerie/tourisme et e-commerce). Elle apparait ainsi robuste et applicable dans différents secteurs et contextes d’assistance.
Comme on le voit à travers ces items, l’échelle est formulée de façon négative dans le but de capturer l’évitement ressenti chez le consommateur. Il est plus difficile de cerner ou prévoir un non comportement qu’un comportement. Pourtant c’est bien ce non-comportement que l’on souhaite cibler et modifier. En effet le fait de ne pas demander assistance est préjudiciable pour le consommateur qui ne peut pas utiliser son produit ou service et pour l’entreprise qui se voit privée d’informations importantes.
Cet outil peut être utilisé dans le cadre d’études marketing pour identifier quels types de profils sont sujets à l’évitement. Il peut être également intéressant de recouper ces éléments avec d’autres données consommateurs disponibles au sein des entreprises afin de cerner, par exemple, si tel segment de clients est plus évitant qu’un autre.
Survey-Magazine : Selon vous, comment les entreprises peuvent inciter de « façon douce » les consommateurs à demander de l’aide ?
Marion Sanglé-Ferrière : Il nous semble tout d’abord utile de mentionner que les entreprises ont tout à gagner à prendre le temps d’aider leurs clients, et de s’éloigner sensiblement d’une logique pure de coûts. Les avantages peuvent être multiples tant en termes d’amélioration produit ou service qu’en terme de fidélité et de bouche à oreille positif. C’est selon nous un moment de vérité (Moment of Truth - note de la rédaction : lien vers article Survey-Magazine qui explique le concept) à maîtriser et qui peut véritablement transformer la relation de façon positive et durable.
Pour les entreprises désireuses de le faire, il y a plusieurs pistes. Le
premier levier serait de rendre moins présent le sentiment d’embarras et
de gêne perçu chez le consommateur. La médiation, comme le recours à un
chat interactif en ligne qui serait ajouté sur le site web de
l’entreprise par exemple, peut être un moyen de réduire voire de retirer
cette gêne. En effet, le fait de passer par un écran diminue
l’impression d’être jugé comme incompétent lorsqu’on demande de l’aide.
Le deuxième levier sur lequel les entreprises peuvent jouer se base sur
les croyances d’une partie des consommateurs autour du manque de
compétences de l’entreprise ou de sa non-volonté d’aider son client.
Nous proposons 2 pistes qui peuvent être faciles à déployer :
- Mettre en évidence les canaux de contacts, d’autant plus que
certains consommateurs ont l’impression que certaines entreprises
tentent de cacher les numéros d’appel ou de contact aux consommateurs.
- Communiquer sur des éléments de réassurance tels que :
o le taux de réponse ou de satisfaction après un appel passé avec le
service clients,
o le fait que les conseillers soient formés et disponibles, avec des
mentions sur le pourcentage d’appels entrants pris en charge et traités,
le nombre de formations administrées au cours de l’année, etc.
De plus, les entreprises présentes en ligne disposent de données comportementales complémentaires et obtenues en temps réel. Ces data peuvent servir à mesurer l’utilisation faite d’un applicatif par les consommateurs pour, par la suite par exemple, déclencher des appels sortants lorsqu’il ne semble pas y avoir d’utilisation, ce qui peut être le signe d’un problème, dans une démarche proactive de relation client. Ce contact d’assistance est généralement vécu de façon positive chez les clients. D’ailleurs, en la matière, les études montrent qu’un client est deux fois plus satisfait lors d’un rappel après une déconvenue. Cette forme de reconnaissance peut donner lieu à une nouvelle relation client-marque/entreprise.