par Pierre Bruneau et Thomas Skorucak
Les entreprises ont depuis bientôt 30 ans recours aux clients mystère pour mesurer la qualité délivrée de leurs équipes commerciales. Cette démarche consiste à envoyer dans les points de vente des « visiteurs mystère » qui jouent le rôle de prospects ou de clients (sur la base de scénarios prédéfinis) pour évaluer les performances des équipes commerciales. Faisons le point sur les innovations et les tendances sur ce marché.
Les innovations
Les besoins des Directions et des équipes animatrices des réseaux commerciaux connaissent une triple évolution : premièrement, elles sont de plus en plus demandeuses d’outils réactifs et pointus pour mesurer leur attractivité commerciale ; deuxièmement, elles ont des exigences accrues quant aux profils des enquêteurs employés : âge, sexe, CSP, habitudes de consommation, etc. doivent être adaptés afin de correspondre le plus exactement possible au profil de leurs véritables clients ; troisièmement, elles attendent des outils à la pointe de l’évolution technique, ergonomiques, ludiques et performants.
L’apparition et la popularisation des Smartphones et tablettes
transforment radicalement les pratiques des visites Mystère et ouvrent
des perspectives nouvelles.
Aux clients mystère traditionnels, ils offrent la possibilité
d’une évaluation presque immédiate de la prestation observée : les
problèmes liés à la mémorisation de l’environnement, du
merchandising ne se posent plus. Ces éléments constituaient
traditionnellement une source possible de litige et de contestation, ce
n’est désormais plus le cas. La mesure peut-être en outre
complétée par la prise d’une photo, ou l’enregistrement
audio d’un avis sur sa visite, ce qui apporte un impact et des
éléments de preuve qui rendent les résultats incontestables vis-à-vis
des équipes. Enfin, les résultats sont traités en temps réel : la
Direction peut alors les suivre et mettre immédiatement en place des
actions correctives en cas de situations jugées non conformes.
Les technologies portables transforment également la pratique des visites Mystère dans la mesure où ils rendent possible la sélection d’enquêteurs « non-traditionnels ». Jusqu’à présent, les visites Mystère supposaient le recrutement et la formation d’enquêteurs spécifiques. Le briefing incluait des éléments de contexte (comprendre le besoin du demandeur), des consignes techniques complexes (scénario très détaillé, condition de remplissage, compréhension des critères de la grille, etc.), et un profil de client à adopter. Les nouvelles technologies simplifient tous ces aspects de la logistique des études parce qu’ils permettent l’emploi des véritables clients de l’entreprise évaluée. Le profil des clients n’est plus alors simplement « adapté », il est authentique ; les consignes techniques sont implicitement comprises car elles s’adressent à des habitués dans le cadre d’une prestation qui a réellement eu lieu. Enfin, ils conjurent les éventuelles réticences du personnel évalué quant à la mauvaise réputation des visites mystère. On ne peut plus les suspecter d’être un dispositif de surveillance, par la rupture du couple voir / être vu qu’elles organisaient (le client mystère représentant une possibilité d’observation toujours possible, mais jamais observée), parce qu’elles mobilisent des personnes qui sont avant tout clients, et occasionnellement mystère.
Le développement des outils informatiques constitue également une étape
essentielle dans l’évolution des visites mystère. La logistique
des études permet désormais d’associer les visites mystère à des
solutions qualitatives globales, qui rendent compte en intégralité des
quatre axes traditionnels de la qualité (qualité délivrée, qualité
perçue, qualité voulue, qualité attendue). Certaines entreprises vont
jusqu’à mettre en place un véritable Portail Qualité à destination
du réseau ! A partir d’un simple lien internet, une page web
propose au réseau et aux animateurs les résultats de chaque outil de
mesure de la qualité : les visites mystère, les enquêtes de satisfaction
clientèle, les audits sont intégrés dans une vision globale de la
qualité. Ce portail interactif permet une approche transversale et le
partage des « bonnes pratiques » et donne accès aux actions entreprises
par chaque établissement pour améliorer ses prestations, etc. La
Direction et les animateurs peuvent ainsi suivre les démarches impulsées
par le réseau lui-même : en réduisant les délais de collecte, de
traitement et d’exploitation des données, un portail crée de
nouvelles opportunités de pilotage des équipes.
De fait, les changements initiés par les évolutions techniques suscitent
également de nouveaux besoins en termes d’accompagnement : la
technicité et la méthodologie des prestations exigent désormais
l’emploi de profils de plus en plus spécialisés. Les Directions
ont ainsi plus systématiquement recours à des animateurs extérieurs, en
complément de leurs propres animateurs réseaux, soit pour débriefer
directement leur réseau, soit pour former leurs animateurs au débriefing
des visites Mystère. Les outils de mesure doivent inciter le réseau à
définir des actions pour mieux convaincre et fidéliser les clients ;
pour cela des débriefings « à chaud » auprès des responsables
d’établissement, des témoignages clients (enregistrements audio
juste après la visite mystère), des conseils de consultants spécialisés
permettent aux équipes d’analyser les résultats et les enjeux des
visites, et d’engager en conséquence les actions qui amélioreront
à terme la fidélité et la satisfaction des clients.
Les nouvelles tendances
Les nouvelles technologies induisent de nouvelles pratiques. La tendance générale consiste à insérer les visites Mystère dans des solutions qualité globales. D’une part, la visite Mystère en tant que telle est de plus en plus considérée comme un instrument d’analyse parmi d’autres. Le client mystère multi-canal se développe avec par exemple des appels mystère (en boutique ou auprès du service relation client), des analyses du site Internet, des commandes mystère par mails ou des « leads » mystère. D’autre part, si les visites Mystère avaient auparavant tendance à être considérées comme « l’outil du patron », les nouvelles possibilités d’animation entraînent en quelque sorte une plus grande transversalité managériale de l’outil : désormais, ce sont non seulement les managers de point de vente qui sont plus directement mobilisés, mais les employés évalués eux-mêmes qui deviennent acteur de leur propre management qualité ! Evolution que seule l’intervention de consultants extérieurs, spécialisés dans le débriefing des visites, rend possible.
D’un point de vue logistique, les nouvelles méthodes de collecte
sont également synonymes d’une consolidation accrue des données.
Le degré de fiabilité extrême des visites autorise la mise en place de
primes liées aux résultats des visites mystère avec un confort
managérial jamais atteint auparavant. Par exemple, des critères
fondamentaux, le plus souvent sélectionnés par la Direction, ouvrent
droit à une prime s’ils sont respectés régulièrement. Aussi, le
gain de temps qu’implique une logistique facilitée permet de
coller à l’actualité quotidienne des enseignes ; des visites
peuvent être ainsi définies en fonction d’une opération
commerciale précise, la mise au point de scénarios peut évoluer en
fonction des résultats obtenus en cours d’opération, etc. !
Enfin, la tendance peut-être la plus révolutionnaire consiste
aujourd’hui à associer les visites Mystère à des enquêtes de
satisfaction « expérience client J+1 » : le lendemain de son passage
dans l’entreprise évaluée, le client réel devient le client
mystère car il est en mesure de se souvenir des éléments de process dont
il a fait l’objet. Cela suppose bien sûr que le questionnaire lui
est adressé rapidement (par mail ou par SMS). Cet outil ne remplace pas
les visites mystère dans la mesure où les questionnaires ainsi envoyés à
de vrais clients ne peuvent avoir le même niveau de complexité et de
finesse. La visite Mystère reste donc nécessaire pour mesurer un process
précis, selon un scénario prédéfini, mais la complémentarité et la
réactivité de la « shopper experience J+1 » offre sans doute une
alternative séduisante.
Enfin, la tendance générale des visites Mystère à s’insérer dans un dispositif qualité global ne peut manquer d’interroger les acteurs du marché quant à l’évolution que connaîtra l’outil à l’arrivée des Big Data dans les entreprises. Les visites Mystère resteront sans doute nécessaires par la nature unique des données qu’elles permettent de collecter. Reste à savoir comment évoluera leur exploitation.