À plusieurs reprises, l'intelligence artificielle a été citée comme LA technologie dans laquelle investir dans le domaine du marketing et de la relation client. Du chatbot à l'automatisation, chacun peut se demander quels sont les bénéfices, les objectifs ainsi que la rentabilité de ces outils qui paraissent souvent coûteux à déployer. Survey-Magazine a rencontré Célia Doreau au sein de la direction de la deep tech Golem.ai pour échanger sur l'intégration, les freins et l'impact de l'IA en marketing notamment chez les acteurs en Banques & Assurances.
Survey-Mag : Concrètement, quels besoins métier et attentes clients la technologie de l'IA adresse-t-elle ? Pourquoi ?
Célia Doreau : Les défis des directions marketing dans le secteur de la banque et de l'assurance sont l'augmentation du panier moyen des clients existants, malgré la concurrence entre les banques traditionnelles et celles en ligne, le développement de la recommandation et la diminution du churn lors des moments clés de la vie des clients, par exemple lors de la souscription d'un prêt. Les attentes des clients, quant à elles, évoluent plus vite que les acteurs économiques ! Cela nécessite plus de réactivité, moins de paperasse, un service client et des conseillers disponibles 24/24h sur l'ensemble des canaux de communication existant... L'accroissement des contraintes réglementaires, comme le KYC et le RGPD, vient aussi limiter les moyens disponibles, et il faut en absorber les impacts sans décevoir les clients. On voit le défi à relever : proposer un service client fiable, de qualité et disponible à la demande, sans consommer des ressources majoritairement utilisées à satisfaire les contraintes réglementaires.
L'IA est une technologie prometteuse pour soutenir le secteur face à ces défis et simplifier la vie des collaborateurs. Elle permet d'ouvrir largement les canaux de communication avec les clients (mails, sms, messenger…). Elle sait répondre rapidement à une partie des demandes. Elle permet d’économiser du temps d'analyse de documents aux experts. Enfin, elle permet aux collaborateurs de se concentrer sur la relation humaine, plutôt que sur la part technique et documentaire de leur travail.
Quelles applications d'IA sont (ou ont été) déployées par les acteurs des Banques & Assurances ? Pour quels investissements et rentabilité ?
Le secteur a bien compris la valeur ajoutée de l'IA pour satisfaire ses clients : il a déjà testé une large variété d'outils. Analyse automatisée de documents, chatbots, assistants personnels, génération automatisée de texte, analyse de données pour des services personnalisés, beaucoup de champs de l'IA ont été regardés par les assureurs et les banquiers. Je dirais que la banque et l'assurance sont des « early adopters » de l'IA. Ce qu'il y a d'intéressant c'est que nos « early adopters » ne s'en laissent pas conter par le marché. Même s'ils sont enthousiastes face à ces nouvelles technologies, ils mesurent déjà ce qu'elle leur coûte en temps humain, en investissement financier et informatique par rapport à ce qu'elle leur rapporte. Cela amène quelques surprises. Par exemple, les chatbots traditionnels, basés sur du machine learning et des scénarios conversationnels, sont considérés comme peu rentables : trop de ressources mobilisées pour éduquer l'IA, des sets de données risqués en RGPD, trop d'instabilité… Pour un service client finalement parfois décevant. On a cru qu'ils allaient remplacer les collaborateurs ! On a oublié trop vite l'expérience client : aucun d'entre nous n'a envie d'avoir en face de lui une machine qui se fait passer pour un conseiller.
En revanche, toutes les solutions qui simplifient la vie des conseillers pour qu'ils se consacrent à l'écoute personnalisée de leurs clients remportent un grand succès : recherche dans la GED en texte libre, analyse automatisée de documents, génération automatisée de texte, RPA… La prise en charge par une IA de toutes ces tâches qui créaient de l'ennui au travail ou du turn-over est accueillie avec enthousiasme : 94,6% des personnes interrogées estiment que l'IA appliquée à l'analyse automatisée des documents sera rentable et 82,5% pensent que générer automatiquement des réponses est utile. En fait, que nous disent ces chiffres : que les collaborateurs de la banque et de l'assurance sont étouffés par l'administratif et qu'ils ont envie que cette partie de leur travail soit automatisée pour se (re)concentrer sur l'échange humain au travail.
Et les perspectives d'investissement suivent. Ainsi notre étude dévoile que les solutions d'IA vont toutes se développer rapidement dans les prochaines années (de 14 à 19%) avec un avantage certain pour les outils de génération automatisée de documents et d'analyse de données. Les investissements les plus importants à ce jour représentent des budgets allant de 200K€ à 500K€ (11%). Ce n'est rien comparé aux milliards investis dans l'informatique bancaire. Cependant, les prévisions d'investissement sont à la hausse, avec une majorité d'acteurs ayant prévu d'attribuer un budget supérieur à 1 M€ d'ici 3 ans.
Quels sont les principaux freins en entreprise ? Selon vous, comment parvenir à les lever ?
Comme on le voit sur l'évolution des montants investis, le marché est dans une logique de test de la révolution technologique que représente l'IA. Il entend les startups et les GAFAMI (note de la rédaction : ajout des entreprises Microsoft et IBM au terme GAFA) expliquer que les projets informatiques cathédrales vont petit à petit être remplacés par des projets d'IA hyper agiles et évolutifs, qui permettront de capter l'innovation à grande vitesse. Le marché se dit alors « pourquoi pas »... Mais nos clients vérifient, avant de se lancer à grande échelle, que l'IA est capable d'être intégrée dans leur culture, de respecter le cadre réglementaire et ses contraintes, mais aussi d'être absorbée par ses collaborateurs et ses clients. D'ailleurs, 94% des personnes interrogées estiment que l'IA nécessite des formations des collaborateurs. Il s'agit d'accompagner et pas d'imposer. Nous avons une grande responsabilité, nous les entreprises d'IA à concevoir des solutions faciles à utiliser et intuitives grâce à l'UX, mais aussi à ne pas vendre n'importe quoi et à ne pas promettre la lune. Et les futurologues qui vulgarisent l'IA dans les grandes conférences ou sur YouTube doivent aussi faire attention à ce qu'ils annoncent.
Non l'IA n'est pas une intelligence humaine et elle ne nous remplacera pas. L'IA n'est pas non plus un miracle. Je rencontre parfois des attentes et des peurs irraisonnées face à ce qui n'est finalement qu'une nouvelle révolution technologique de notre histoire.
Pour revenir à la banque et l'assurance, il faudra donc un certain temps pour persuader les donneurs d'ordre que ce cadre de référence révolutionnaire est aussi robuste que l'ancien. Le temps intangible des mentalités doit coexister avec le soulagement des collaborateurs lorsqu'ils se rendent compte des services que leur rend l'IA. En gros, aujourd'hui les Proofs (of Concept, of Value, etc) démontrent l'utilité et les possibilités d'adoption et demain d'industrialisation. Ce que l'étude met en lumière c'est que la relation client représentera entre 10 et 25% des montants totaux investis dans l'IA dans la banque et l'assurance. C'est important et notre ambition est que chaque produit que nous déployons chez nos clients leur donne envie de les accroître pour répondre aux défis de leur secteur.