Bonjour Madame, pouvez-vous nous parler de votre rôle en tant que professeure de l’emlyon ?
Professeure membre de la faculté permanente à emlyon business school, je suis responsable Pédagogique d'un programme qui forme plus de 130 étudiants en dernière année de pharmacie industrielle à des disciplines managériales. Cela fait 20 ans que j'encadre ce programme, en partenariat avec la faculté de médecine de Lyon. C’est intriguant de voir se succéder des promotions…cela donne à voir des évolutions de différentes natures sur deux décades !
Lors de notre appel à contribution, vous avez mentionné une évolution intéressante en pédagogie. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette évolution, notamment en ce qui concerne l'intégration de l'IA et de la data dans les cours de marketing pour les étudiants en pharmacie ?
Dans les années 2000, cette population de jeunes pharmaciens trouvait intriguant les cours de marketing, les étudiants se sentaient souvent peu concernés. Comment leur industrie, si encadrée par le Code de la Santé Publique, serait-elle concernée par le marketing ? Ils abordaient tout juste le rôle clé des représentants médicaux, reconnaissant au marketing un rôle tout juste commercial, très modeste et souvent minimisé par les étudiants en pharmacie.
Plus tard, en 2010, je me souviens que les débats en classe étaient ponctués d'allusions à différents scandales retentissants. Celui du Mediator et des implants mammaires PIP étaient cités très souvent par les étudiants, comme preuve des dérives du marketing qui pousserait à faire prendre des vessies pour des lanternes au lieu d'éclairer la science. Il était alors devenu évident que la démarche marketing occupait une place importante dans la gestion des laboratoires pharmaceutiques. Mais c'était sur le banc des accusés qu'il se retrouvait placé, souvent paré de tous les maux, doté d’un pouvoir surestimé par les futurs pharmaciens.
Depuis 2020, les débats en classe ont changé de nature. Une génération a passé. Il n’y a plus grand monde pour dénier le rôle du marketing, ni pour lui faire endosser des costumes de méchant trop grands pour son périmètre d’action réel en entreprise. La pandémie de Covid-19 a rappelé les effets systémiques d’une crise sanitaire. L’ayant vécue, les étudiants replacent correctement les techniques marketing à une place raisonnable. Au beau milieu de facteurs politiques, de controverses scientifiques et de campagnes de lobbying de désinformation, il leur apparait désormais nettement que les responsables marketing des laboratoires des médicaments ne sont pas dotés de liens magiques pour mettre au pas tous les prescripteurs et leurs patients, comme des marionnettistes surpuissants. Les étudiants posent beaucoup plus de questions qu’avant, ils sont très curieux !
Vous mentionnez également l'intégration du big data dans vos cours depuis 2018. Comment les étudiants réagissent-ils à ces aspects technologiques, notamment en ce qui concerne les enjeux de santé actuels ?
Effectivement, depuis 2018 j’aborde en cours de marketing les grands enjeux de la santé actuelles : la place du big data y est abordée avec un jeu de simulation qui noie les participants sous des vagues de chiffres et ils réalisent les problématiques du tri, de l’interprétation de la donnée en santé. Le cours qui a le plus de succès est celui qui aborde les marchés émergents, les signaux faibles.
Pour un grand nombre d’étudiants, les cas étudiés en cours relèvent encore de la dystopie des meilleures séries ! « Mais madame, c’est Black Mirror ! » Voilà leur gimmick préféré quand il s’agit d’étudier les exosquelettes médicaux, les nanobots capables d’aller détruire une tumeur dans une vessie ou la reconnaissance des expressions faciales par une IA entraînée à détecter les premiers signes du spectre de l’autisme. Alors pour leur montrer que le futur c’est maintenant, je me suis rendue en 2019 au CES de Las Vegas, le fameux salon des gadgets hi-fi du futurs…mais aussi des marchés prometteurs pour la santé humaine. Photos à l’appui, je leur montre les prototypes des marchés de la santé qui sont en train d’émerger : les casques de réalité virtuelle pour vaincre la dépression, le body en coton connecté pour réduire la mort subite du nourrisson, la tablette capable de détecter par touch-tracking les mouvements pathologiques d’un enfant en santé mentale précaire. Ils discutent de la portée sociétale de ces innovations, pour le pire et pour le meilleur, et personne ne reste indifférent dans la classe !
Pour conclure, pouvez-vous nous partager vos observations sur l'intégration de l'IA et de la data dans la formation des futurs pharmaciens et professionnels de la santé ?
La formation des futurs pharmaciens et professionnels de santé a bien intégré l’IA et la data, et depuis déjà cinq an au moins. Mais il reste à déconstruire l’idée que la technologie est synonyme de dystopie. Depuis une décennie, les jeunes étudiants sont imprégnés des excellents scénarios des séries comme Real humans (2012) ou des films comme Her (2013) et cette culture cinématographique ne facilite pas la tâche des professeurs ! Comme toujours lorsqu’une technologie suit la courbe d’adoption d’une innovation, selon la Théorie du sociologue Everett Rogers, c’est un combat de storytellings qui s’installe autant que de prouesses technologique…
Ça tombe bien les étudiants en management et marketing de l’innovation doivent intégrer cette théorie, je sais désormais comment les y intéresser ! Et vous savez quoi ? Mes cours pour 2024 vont désormais intégrer des débats sur les intelligences artificielles génératives utilisées dans le milieu de la santé? Alors seront-elles adoptées par les professionnels de santé…et les patients?