Stéphane Amarsy, co-fondateur et dirigeant de Inbox
Stéphane Amarsy est un spécialiste du marketing relationnel et de la connaissance client. Auteur de plusieurs publications, il anime de nombreuses conférences et enseigne le marketing et la data science.
Survey-Magazine : Comment et vers quoi va évoluer le métier marketing selon vous ?
Stéphane Amarsy : Le marketing d’aujourd’hui n’est plus
celui d’hier alors imaginez celui de demain. Le marketing était linéarité,
stabilité et humainement contrôlable. Nous sommes aujourd’hui dans une
grande complexité issue des technologies et du digital. Le marketing est
devenu non linéaire, instable, prédictif et totalement mesurable.
Dans le même temps, la compréhension que les entreprises ont de leurs
consommateurs a évolué. Hier, les entreprises leur imposaient leur
marque et leurs produits via des communications « de masse ».
Aujourd’hui, « l’irrationalité » du consommateur est enfin reconnue et la
clé est de considérer chaque consommateur comme une entité particulière :
partir du client est le nouveau paradigme qui doit animer les marketeurs. Il
y a quelques années, le marketing reposait essentiellement sur des constats.
On savait pressentir et identifier les attentes des clients en travaillant
et en parlant avec eux. Les marketeurs devaient faire preuve d’importantes
qualités interpersonnelles. Aujourd’hui, le marketing ne dépend plus de ces
qualités car nous disposons d’une information objective. Les besoins des
marketeurs sont complètement différents car ce qui nous guide
aujourd’hui, ce sont d’abord les données. Les nouvelles
technologies nous permettent d’accéder à une connaissance profonde
(relationnelle et transactionnelle) des consommateurs. Cette quête de la
connaissance individuelle de chaque client doit devenir une
priorité.
Quelles seront les compétences-clefs en lien à développer pour les hommes et femmes de marketing ?
Concrètement les marketeurs vont voir leurs rôles profondément changés, la
seule interrogation qui persiste se résume par quand ?
Le marketing s’est jusqu’alors toujours focalisé sur l’analyse de
comportement à posteriori. Avec l’avènement du temps réel, du prédictif et
surtout de la capacité à l’utiliser, la maîtrise de la relation se
rééquilibre au profit de chaque client. Il va devoir accepter cette
situation et se métamorphoser in fine en fournisseur de possibilités
(offres, prix, contenus, …) qui seront gérées opérationnellement par des
algorithmes car impossible humainement.
PREVOIR est devenu le maître mot du moment. Jusqu’à
maintenant, les modèles de prévisions étaient construits avec des logiques «
macro-économiques » où les « toutes choses égales par ailleurs » régnaient.
Ce temps-là est révolu, il faut maintenant prendre en compte les stimuli (ou
facteurs exogènes) du moment pour expliquer les ventes d’aujourd’hui et de
demain. Tout est prévisible : aujourd’hui n’est plus comme hier d’autant
plus que mes décisions/actions d’hier ont impacté mon comportement
aujourd’hui.
Le besoin de création/conception va donc considérablement augmenter
avec l’hyper personnalisation. Les produits, messages, visuels,
offres seront concernés. Chaque composante de la communication sera
démultipliée afin de pouvoir être utilisée en personnalisation. A court
terme, les marketeurs vont devoir tester de nombreuses approches qu’il
convient d’imaginer. Les algorithmes prendront ensuite le relais laissant
aux humains (tout en l’influant) la part la plus créative.
L’IA se chargera de prendre les décisions pour chacun des clients :
prévision, arbitrage et mise en oeuvre. Le marketeur ne ciblera
plus, ne décidera plus opérationnellement, il orientera la démarche
relationnelle en fonction de la stratégie, des objectifs. Il
sera guidé dans ces choix par toutes les informations mesurées de façon
automatisée. Il sera juste nécessaire de bien définir les méthodes et les
KPI.
Débarrassés de tâches qui seront reprises et améliorées par les algorithmes,
les marketeurs pourront donc aller beaucoup plus loin dans les analyses
créant ainsi plus de valeur pour l’entreprise. Cette évolution nécessitera
de la part des humains l’obligation de créativité. Cette particularité ne se
décrète pas et contrairement à ce que beaucoup pensent, elle n’est pas
qu’innée. Elle s’apprend et s’entretient.
Nos méthodes de travail vont évoluer, c’est inéluctable. Les organisations
seront toujours plus agiles, plus mobiles, plus malléables. Le changement se
vivra au quotidien. Des tâches humaines seront reprises par des IA,
certaines disparaitront, d’autres naitront. Tout ira plus vite amenant son
lot de progrès et de régressions. Les usages et les règles vont évoluer, à
nous d’en tirer le meilleur.
Quels conseils et/ou recommandations donnez-vous au métier ?
Compte tenu des avancées algorithmiques, l’avenir du marketing, et encore plus celui des marketeurs, pourrait se révéler enthousiasmant. Les algorithmes nous seconderons dans les tâches techniques : fourniture d’informations toujours plus complètes et précises sur les clients, nous rendant plus performants dans l’omnicanalité, le temps réel et la personnalisation. Les marketeurs pourront alors se concentrer sur leurs véritables valeurs ajoutées : stratégies et créativité au service de la relation client. La créativité et l’intuition restent des qualités bien humaines qui, jusqu’à preuve du contraire, ne sont pas des attributs de machines. Finalement, les marketeurs vont devenir plus humains grâce aux algorithmes. Mais n’attendons pas de connaître le scénario, agissons dès maintenant en libérant la créativité. Cela ne se décrète pas, il faut être pro actif et créer les conditions de son éclosion. Au-delà de cette question légitime pour le futur, il est impossible de nier les transformations à venir des métiers marketing. L’IA va réaliser au fur et à mesure de plus en plus de tâches aujourd’hui confiées à des humains. Notre productivité, notre intelligence vont de ce fait considérablement augmentées à condition de savoir collaborer avec les algorithmes. Lutter contre ces changements est vain, préparons-nous à en tirer le maximum de profit et à inventer de nouveaux métiers et nouvelles fonctions. Pour cela il faut dès à présent accepter plusieurs vérités :
Nous calculons moins vite et prenons moins de paramètres en considération que
des algorithmes
Ils sont plus nombreux et moins chers que nous
Nous sommes plus créatifs et de meilleurs communicants
Ne projetons surtout pas notre passé/habitudes/savoir-faire car nous devons en changer dans un univers professionnel qui n’attend pas. Acceptons cela et valorisons nos singularités.
Quel(s) impact(s) sur la fonction études marketing en particulier ?
Bonne nouvelle, le remplacement total des humains n’est pas pour tout de
suite malgré la capacité grandissante des algorithmes à faire ce que nous
considérions comme des tâches exclusivement humaines. Nous allons tous
travailler ensemble.
Comme tous les métiers du marketing, la fonction « Etudes » va évoluer mais
l’impact sera modéré au regard d’autres fonctions comme les gestionnaires de
campagnes par exemples.
Ils resteront référents dans l’analyse et la compréhension du consommateur
mais ils devront s’appuyer sur ces nouveaux collaborateurs (IA) pour
continuer à préconiser des actions et leur mise en oeuvre opérationnelle en
réponse aux problématiques marketing. Les parties analytiques pures
seront petit à petit délaissées au profit de la recherche et de la
créativité. Ces métiers subsisteront s’ils acceptent de
travailler de façon étroite avec des algorithmes. L’humain devra se
recentrer sur ses valeurs humaines : créativité, communications,
explications,…