Survey Magazine : Faut-il s’intéresser à ce que les collaborateurs écrivent sur le web ?
Marie-Cécile Cervellon : Tout dépend de ce qu’on entend par
"s’intéresser". Une étude que nous avons conduite en 2016 pour l’EDHEC
NewGen Talent Center indique que 86% des jeunes diplômés trouvent
inacceptable que leur employeur s’intéresse à leurs activités
personnelles sur les réseaux sociaux. Il est important à leurs yeux que
l’employeur ne soit pas intrusif, qu’il respecte la frontière entre la
sphère privée et la sphère professionnelle. Cependant, l’utilisation des
réseaux sociaux rend cette frontière perméable. Chaque internaute peut
devenir porteur de la voix de son entreprise, volontairement ou
involontairement. En l’absence de règles clairement établies par
l’employeur, des informations sensibles peuvent être maladroitement
partagées. Or, moins d’un tiers des jeunes diplômés connait la politique
d’utilisation des média sociaux de son entreprise. Heureusement, un code
de conduite tacite existe. Notre étude montre que les jeunes diplômés
sont vigilants lorsqu’ils parlent de leur activité professionnelle sur
les réseaux sociaux. Ils tiennent généralement des propos que leur
employeur approuverait.
Par ailleurs, il serait dommage de ne pas tirer parti du potentiel de
brand building que représente l’engagement des collaborateurs sur les
réseaux sociaux. L’intérêt est double : d’une part, la portée (le reach)
des communications qui passent par les employés-ambassadeurs. Smarp,
plateforme leader de l’Employee Advocacy, estime qu’un
employé-ambassadeur a en moyenne 420 amis Facebook, 400 contacts
LinkedIn et 360 followers sur Twitter. Chacun de ces contacts est
potentiellement un client, un fournisseur ou un futur salarié de
l’entreprise. D’autre part, le message transmis par les salariés est
perçu comme authentique et crédible. L’étude conduite avec l’EDHEC
NewGen Talent Center indique que seuls 16% des jeunes diplômés sont
méfiants à l’égard de ce type de message partagé par leurs contacts.
Néanmoins, l’ensemble des études que nous avons publiées en
collaboration avec Pamela Lirio (Université de Montréal) dans MIT Sloan
Management Review (winter 2017, p.63-70) confirme que l’activité
d’employé-ambassadeur de marques est encore très peu développée.
Seulement un quart des salariés suit la marque de son employeur sur les
réseaux sociaux et plus de la moitié n’a jamais liké un contenu
mentionnant son employeur. L’objectif est donc d’encourager les
collaborateurs à engager des conversations de qualité autour des marques
de leur employeur et à partager les contenus postés par l’entreprise.
Attention, encourager ne veut pas dire imposer. L’engagement des
collaborateurs sur les réseaux sociaux doit être basé sur le
volontariat.
Comment favoriser et mesurer cet engagement ?
Tout d’abord, il faut favoriser la responsabilisation (empowerment) des
salariés au sein de l’entreprise. Lorsque les salariés ont le sentiment
de contribuer aux résultats de l’entreprise, lorsqu’ils se sentent
écoutés par l’employeur, ils sont plus enclins à devenir ambassadeurs de
leurs marques. Ensuite, certains salariés construisent activement leur
image, leur marque personnelle, à travers les réseaux sociaux. Il peut
être utile de mettre en place un programme de mentoring à travers lequel
les collaborateurs déjà actifs sur les réseaux sociaux vont coacher ceux
qui le sont moins. Enfin et surtout, il faut que l’entreprise partage
régulièrement des contenus de qualité. Certaines plateformes du type
Smarp permettent de créer des banques de contenu et de faciliter leur
partage sur les réseaux sociaux.
En ce qui concerne l’évaluation de l’engagement des salariés, nous avons
développé une échelle qui peut être intégrée aux enquêtes de
satisfaction anonymes et envoyées à l’ensemble des salariés de
l’entreprise. De plus, lorsque l’entreprise a la volonté d’animer un
programme d’ambassadeurs, l’engagement des participants peut se mesurer
à travers la quantité et la qualité des contenus créés ainsi que par le
partage des contenus postés par l’entreprise et les collaborateurs
(clics, comments, likes and re-shares). D’autres indicateurs peuvent
être mis en place en fonction des objectifs assignés au programme, par
exemple, l’impact sur le recrutement de salariés.
Quel est l’impact de l’Employee Advocacy sur l’évolution des services marketing ?
L’usage des réseaux sociaux par les salariés nous force à intégrer
l’ensemble des collaborateurs dans la stratégie marketing de
l’entreprise, que les salariés soient au contact direct des clients ou
pas. Les services marketing doivent donc considérer l’Employee Advocacy
comme un pilier des campagnes de marketing d’influence. De fait, la
communication interne prend toute son importance. Il faudra communiquer
en amont de façon efficace sur les actions marketing pour qu’elles aient
une chance d’être relayées sur les réseaux sociaux des collaborateurs.
Il faudra également partager plus largement certains éléments de la
plateforme de marque pour "cadrer" les contenus postés par les
employés-ambassadeurs.
Quel département doit être moteur dans l’établissement des règles, la
formation des salariés et la formalisation éventuelle d’un programme
d’employés-ambassadeurs ? Pour la moitié des répondants à l’enquête de
Hinge Marketing en 2016, les services marketing sont le moteur de
l’engagement des employés sur les réseaux sociaux. Cependant, l’Employee
Advocacy bénéficie également aux ressources humaines, aux achats, aux
commerciaux. Il favorise la collaboration au sein de l’entreprise et le
décloisonnement des services.